L’accompagnement social est-il devenu une tarte à la crème ?

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Cela fait plusieurs années que l’accompagnement social s’est imposé comme un concept incontournable, presque omniprésent. Mais à force d’être invoqué à tout propos, ne risque-t-il pas de perdre de sa substance et de son sens ? Examinons de plus près cette notion, son évolution et ses enjeux actuels.

L’essence de l’accompagnement social

À l’origine, l’accompagnement social désigne une démarche clinique visant à soutenir les personnes en difficulté dans leur parcours d’insertion ou de réinsertion. Il s’agit d’une relation d’aide individualisée, basée sur l’écoute et le respect de la singularité de chacun. Comme le souligne l’association M.A.I.S., « accompagner, c’est se joindre à quelqu’un pour aller où il va, en même temps que lui ». Cette approche implique une posture professionnelle spécifique, centrée sur l’autonomisation de la personne plutôt que sur sa normalisation.

L’accompagnement social repose sur des principes fondamentaux tels que le respect de la dignité humaine, la promotion de l’autonomie et l’accès aux droits fondamentaux. Il vise à « permettre l’émergence du désir du sujet, moteur essentiel de l’existence, support de la parole et de l’échange, levier pour le développement de l’autonomie ». Cette démarche s’inscrit dans une vision émancipatrice du travail social, comme le rappelle le Code de l’action sociale et des familles : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté ».

L’institutionnalisation et la généralisation du concept

Au fil des années, le terme « accompagnement » s’est progressivement institutionnalisé et généralisé dans le champ des politiques sociales. On le retrouve désormais accolé à de nombreux dispositifs : accompagnement personnalisé, renforcé, vers l’emploi, vers le logement, à la parentalité, etc. Cette prolifération nous montre une évolution des modes d’intervention sociale, passant d’une logique de prise en charge globale en institution à une approche plus individualisée et ponctuelle.

Cette évolution s’inscrit dans un contexte de transformation des politiques sociales, marqué notamment par la mise en place du RSA (et avant lui du RMI). L’accompagnement social du RSA conduit à considérer le chômage de très longue durée comme une responsabilité du demandeur d’emploi et non comme un phénomène sociétal lié à la fin du plein emploi depuis le milieu des années 1970. Le travail a aussi évolué, demandant une plus grande expertise et une disponibilité accrues. Tout cela a provoqué une extension du champ de l’intervention sociale en direction de l’accompagnement d’un public plus large, particulièrement les chômeurs de longue durée. N’oublions pas non plus les nouvelles formes d’exclusion qui existent. Exclusions liées aux statuts (sans papiers) liées à l’omniprésence du numérique (illectronisme) ou encore l’uberisation de certains emplois qui ne permettent pas de vivre décemment. Toutes ces situations justifient désormais d’être accompagnées.

Une diversité des formes d’accompagnement

Il est important de noter que l’accompagnement dit « social » ne se résume pas à une pratique uniforme. Comme l’avait souligné Cristina De Robertis, l’accompagnement n’est qu’une des fonctions du travail social et ne peut remplacer le terme plus large d’ « intervention sociale ».

En réalité, il existe quatre grandes formes d’accompagnement à caractère social, chacune ayant ses propres caractéristiques :

  1. L’accompagnement lié aux pratiques professionnelles : Il s’agit de l’accompagnement enseigné dans les centres de formation pour les travailleurs sociaux, avec des spécificités selon les métiers (assistants sociaux, éducateurs, conseillers en économie sociale et familiale)
  2. L’accompagnement lié à un mandat donné par une autorité : Ce type d’accompagnement est inscrit dans la loi, comme les mesures d’accompagnement éducatif à domicile (AED) ou les mesures d’accompagnement social personnalisé (MASP)
  3. L’accompagnement institutionnel lié à un dispositif : Il peut être délégué à un service spécialisé, comme dans le cas du Fonds de solidarité au logement (FSL) ou de l’accompagnement vers l’emploi dans le cadre du RSA
  4. L’accompagnement structurant le dispositif : Cette pratique s’est développée depuis la mise en œuvre du RMI puis du RSA, avec des rendez-vous négociés avec l’allocataire et  rythmé par les échéances du contrat d’insertion.

 

Les dérives potentielles

La généralisation du terme accompagnement peut être vue comme une avancée. Mais  elle n’est pas exempte de risques et de dérives potentielles.

Premièrement, l’utilisation extensive du terme « accompagnement » peut conduire à une dilution de son sens et de sa portée. À force d’être employé pour désigner des interventions très diverses, le concept perd en substance et en précision. Comme le note le sociologue Ali Boulayoune cité par l’IGAS, « la notion d’accompagnement se présente comme une notion vertueuse et consensuelle (…) acceptable sur l’ensemble de l’éventail politique ». Cette apparente consensualité peut masquer des réalités et des pratiques très différentes. « Qu’elles soient à visée sociale ou formative, l’essor des pratiques d’accompagnement a conduit à rendre confuse la spécificité de ce type d’action, qui peut finalement s’adresser à un large public dans des domaines variés. L’accompagnement semble désormais être devenu un cadre d’action incontournable, auquel on recourt de façon quasi automatique » écrit le sociologue.

Deuxièmement, la multiplication des dispositifs d’accompagnement peut paradoxalement conduire à une forme de standardisation des interventions. Le risque est de voir l’accompagnement se réduire à une série de procédures et de « bonnes pratiques » normalisées, au détriment de l’approche personnalisée et créative qui devrait le caractériser. Comme le souligne l’association M.A.I.S., l’accompagnement devrait ouvrir « une possibilité de création qui est autre que le prêt à penser modélisable dans le prêt à agir modélisé ».

Enfin, l’accent mis sur l’accompagnement individuel peut parfois occulter les dimensions collectives et structurelles des problèmes sociaux. En se focalisant sur la responsabilité et l’autonomie individuelles, on risque de négliger tous les autres facteurs.  Les injustices, les discriminations et les inégalités dans de multiples domaines, les « accidents de la vie » sont eux aussi à l’origine de nombreuses situations de précarité.

Irons-nous vers un renouveau de l’accompagnement social ?

Face à ces dérives potentielles, il me parait essentiel de réaffirmer les fondements et les spécificités de l’accompagnement de service social. Celui-ci devrait se caractériser par :

– Une approche globale de la personne, prenant en compte son histoire, ses ressources et ses aspirations.
– Une relation de confiance et de réciprocité entre l’accompagnant et l’accompagné.
– Une temporalité adaptée aux besoins et au rythme de chaque personne.
– Un équilibre entre le soutien individuel et l’action sur l’environnement social.
– Une articulation entre l’action individuelle et celle liée à son environnement dans une démarche collective.

 

L’accompagnement de service social doit rester un espace de créativité et d’innovation. Il doit être en capacité de s’adapter à la diversité des situations et des parcours. Il doit également s’inscrire dans une perspective plus large de transformation sociale, comme le rappelle la définition internationale du travail social : « Le travail social est une pratique professionnelle et une discipline. Il promeut le changement et le développement social, la cohésion sociale, le pouvoir d’agir et la libération des personnes ».

Conclusion

L’accompagnement social, loin d’être une simple « tarte à la crème », demeure un concept riche et porteur de sens. S’il a pu être galvaudé par un usage excessif et parfois inapproprié du concept accompagnement, il n’en reste pas moins un pilier essentiel de l’intervention sociale. Le défi actuel consiste à lui redonner toute sa substance et sa portée transformatrice. Pour cela, il nous faut pouvoir réaffirmer ses valeurs fondamentales. Nous avons aussi à adapter cette pratique de service social aux réalités actuelles.

L’accompagnement de service social doit rester cet art subtil qui consiste à cheminer aux côtés des personnes, dans le respect de leur dignité et de leur pouvoir d’agir, tout en œuvrant pour une société plus juste et solidaire.

Sources pour aller plus loin :

 

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Photo : kuprevich sur DepositPhotos

 

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