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Paul Christophe et Agnès Canayer aux Solidarités : Un duo de choc ou un un traitement homéopathique pour le social ?

Dans un contexte politique très fragile pour le gouvernement de Michel Barnier, deux nouvelles figures sont désormais aux manettes du  ministère des Solidarités. Paul Christophe, député du Nord, prend les rênes en tant que ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes, tandis qu’Agnès Canayer, sénatrice de Seine-Maritime, est nommée ministre déléguée chargée de la Famille et de la Petite Enfance. Ces nominations, annoncées samedi, posent question et méritent une analyse approfondie de leurs parcours et des enjeux auxquels ils devront faire face.

Paul Christophe : de Zuydcoote à Matignon

Paul Christophe, 53 ans, n’est pas un novice en politique. Originaire des Sables-d’Olonne, c’est dans le Nord qu’il a forgé sa carrière politique. Son parcours est celui d’un homme qui a gravi les échelons de la vie publique, passant du local au national avec une constance qu’il faut noter. Bref, c’est un homme politique « à l’ancienne » issu d’élections locales et ancré sur le terrain, ce qui ne sera pas pour déplaire aux élus des collectivités territoriales puisqu’il est l’un d’entre eux.

Élu maire de Zuydcoote en 2008, Paul Christophe a d’abord fait ses armes dans la gestion municipale pendant neuf ans. Cette expérience de terrain lui a permis de se confronter directement aux réalités quotidiennes.  Son ascension politique s’est poursuivie avec son élection au Conseil départemental du Nord en 2015, où il a rapidement été nommé vice-président. Cette fonction lui a permis d’élargir son champ d’action et de se familiariser avec les problématiques sociales à l’échelle départementale.

De l’Assemblée nationale au ministère

L’année 2017 a marqué un tournant dans sa carrière. Élu député de la 14ᵉ circonscription du Nord, il a fait cette année-là son entrée à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle responsabilité l’avait obligé à renoncer à son mandat de maire, conformément à la loi sur le cumul des mandats.

À l’Assemblée, il s’est particulièrement investi dans les questions sociales, devenant membre de la commission des Affaires sociales dès son arrivée. Son travail parlementaire a été marqué par plusieurs initiatives législatives d’importance. Il est notamment à l’origine de six propositions de lois, toutes adoptées à l’unanimité. Ce qui n’est pas rien. Parmi celles-ci, on peut citer la loi visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap, publiée en juillet 2023. Cette loi témoigne de sa capacité à fédérer autour de projets sociaux.

En juillet 2024, Paul Christophe franchit une nouvelle étape en étant nommé président de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Cette nomination préfigurait déjà son futur rôle ministériel, démontrant la reconnaissance de ses pairs et de l’exécutif pour son expertise dans le domaine social. On peut dire que c’est plutôt une bonne chose quand on la compare aux compétences des ministres qui l’ont précédé à ce poste. Pour autant, ce parlementaire adepte des sujets consensuels, est-il en mesure de se positionner en défense et promotions de son ministère ? En tout cas il ne faudra pas compter sur lui pour les dossiers dit « clivants ».

On retiendra aussi que Paul Christophe est signataire de la demande transpartisane de création d’une commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Les travaux de cette commission, suspendus en raison du renouvellement des députés de l’Assemblée Nationale, devraient redémarrer sur les bases similaires à ce qui existait lors de la précédente législature. Ce qui est un soulagement pour ses membres qui craignaient que ce sujet soit enterré.

Il ne faut pas s’illusionner

Pour autant, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Ce gouvernement est si fragile que beaucoup d’observateurs ne lui donnent que quelques mois de répit. À peine arrivé, le ministre peut être démis de ses fonctions rapidement. Autre limite d’importance : les annonces d’économies budgétaires : elles vont très probablement toucher une nouvelle fois le ministère qui manque cruellement de moyens.

On retiendra toutefois que la Solidarité redevient un ministère de plein exercice. Ce qui n’était pas le cas auparavant. C’est une bonne chose. Cela devrait permettre au Haut conseil du Travail social de renouer un dialogue disparu depuis huit mois sous le ministère de Catherine Vautrin.  Le président du HCTS va pouvoir tenter de mettre à nouveau le gouvernement face à ses responsabilités en portant les préconisations et demandes du Livre blanc du Travail social auprès de l’exécutif. Quant à espérer des réponses rapides et positives… Il ne faut pas rêver.

En tant que ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Paul Christophe hérite d’un portefeuille vaste et complexe.  Son expérience à la tête de la Commission des Affaires sociales sera sans doute un atout pour naviguer dans ces eaux tumultueuses. Cependant, il devra également faire preuve de doigté et continuer de prendre des initiatives qui font l’unanimité s’il souhaite aller au-delà de la gestion des affaires courantes. Il y a pourtant beaucoup à faire.

De leur côtés, les associations de handicapés s’inquiètent de ne pas voir figurer le handicap dans l’intitulé du ministère de Paul Christophe Celui-ci a tenté les rassurer. L’APHPP (Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées), dit regretter sur X, le fait que « le mot handicap a été littéralement supprimé du gouvernement ». « Comment avoir confiance en un gouvernement qui supprime de son organigramme le handicap ? » demande l’association. Paul Christophe a vite réagi. Il a voulu les rassurer sur X : « J’ai toujours eu à cœur de défendre les droits fondamentaux des personnes handicapées et une société plus inclusive. Ce n’est pas demain que cela va changer. Je m’y engage comme désormais ministre » a-t-il écrit.

Agnès Canayer au service de la famille ?

Autre bonne nouvelle, nous n’avons pas une ministre de la famille adepte de la manif pour tous, positionnée contre le droit à l’IVG. La sénatrice actuellement élue de la circonscription de Rouen a été, en février dernier, rapporteure du projet de loi au Sénat sur l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse, dans la Constitution. Elle a voté pour ce projet de loi, mais il faut quand même souligner qu’elle fut d’abord réticente face aux anciennes versions de la proposition de loi à inscrire dans la Constitution. Pour elle, cette inscription n’est pas historique mais seulement symbolique.

Agnès Canayer est aussi présidente des Missions locales en Normandie et présidente de la mission locale de la région havraise. Elle connait donc les problématiques sociales des jeunes et les besoins en terme de moyens à engager pour l’insertion des jeunes.

Sa nomination intervient dans un contexte où la politique familiale est au cœur de nombreuses discussions. Elle aura à traiter de la politique en faveur des familles, des questions de la natalité, de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, ou encore de l’accueil de la petite enfance actuellement dans la tourmente.

La situation des crèches privées attend la ministre déléguée

Un premier dossier attend la ministre, celui des défaillances graves des crèches privées : La parution du livre de Victor Castanet « Les Ogres » a révélé les maltraitances systémiques dans des groupes de crêches privées devenues des usines à profit. Des enfants sont maltraités soit par manque de moyens, soit par manque de formation des salariées qui interviennent dans les crèches. Ce scandale public attend une réponse politique.

« À la lumière de ces nouvelles révélations, il faut que les politiques prennent enfin à bras-le-corps la situation du secteur ». C’est ce qu’a déclaré mardi dernier Julie-Marty Pichon, représentante du collectif « Pas de bébé à la consigne ». Ce collectif réunit une cinquantaine d’associations et d’organisations du secteur de la petite enfance. Toutes réclament un « plan d’urgence », avec un encadrement du nombre d’enfants par professionnel, des revalorisations salariales et une meilleure formation.

Des ministres face à l’incertitude

Au terme de ces rapides portraits, il convient de s’interroger sur la portée réelle de ces nominations dans un contexte politique aussi fragile. Paul Christophe et Agnès Canayer, malgré leurs expériences respectives et leurs parcours de terrain, pourront-ils véritablement imprimer leur marque sur la politique sociale ? Ces deux élus sont des proches d’Édouard Philippe qui, quant à lui, vise les élections présidentielles. Clairement marqués à la droite de l’échiquier politique, adeptes de la rigueur budgétaire, nul doute qu’ils iront dans le même sens que lui : « responsabilisation » des allocataires des minimas sociaux, refonte des aides sociales, mais aussi soutien des CCAS, soutien aux aidants…

La fragilité du gouvernement Barnier soulève des questions quant à la pérennité de leur action. Auront-ils le temps et les moyens nécessaires pour mener à bien des réformes attendues dans le domaine des Solidarités, de la Famille et de la petite enfance ? Les contraintes budgétaires annoncées vont très certainement limiter considérablement leur marge de manœuvre.

Par ailleurs, si le retour d’un ministère des Solidarités de plein exercice est un signal positif, cela suffira-t-il à répondre aux attentes des acteurs du secteur social et aux besoins criants de la population qui vit l’exclusion ? La gestion des dossiers urgents comme la situation alarmante des crèches privées sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? Enfin, dans un paysage politique en constante mutation, quelle sera la capacité de ce duo ministériel à transcender les clivages partisans pour construire des consensus autour des questions sociales ? Leur nomination marque-t-elle réellement le début d’une nouvelle approche des solidarités, ou n’est-elle qu’un réaménagement de façade pour un gouvernement aux abois ? Je pencherai plutôt pour la seconde hypothèse.

Seul l’avenir nous dira si Paul Christophe et Agnès Canayer parviendront  à apporter des réponses concrètes aux problématiques sociales qui préoccupent nos concitoyens. Dans l’immédiat, il convient de rester prudent quant aux attentes placées en eux.

Sources :

 


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