Une méthode est la manière de faire quelque chose suivant certains principes et avec un certain ordre. Selon Madeleine Grawitz, auteure du livre « Méthodes des sciences sociales », il s’agit « d’un ensemble concerté d’opérations, mises en œuvre pour atteindre un ou plusieurs objectifs […]. Elles [les méthodes] constituent de façon plus ou moins abstraite ou concrète, précise ou vague, un plan de travail en fonction du but ».
J’ai demandé à Cristina De Robertis de bien vouloir nous rappeler ce qui fait la particularité des méthodes de travail en service social. En effet, de nombreux professionnels semblent avoir oublié combien la méthodologie est nécessaire pour éviter le développement de pratiques non pensées. Agir au « doigt mouillé » ou en ne s’appuyant que sur sa propre expérience pose de réelles questions. Être pro, c’est aussi savoir dérouler une « façon d’intervenir » spécifique à une profession. Qui de mieux que Cristina De Robertis pour nous en parler avec précision ? Je lui ai posé quatre questions sur ce sujet afin de mieux comprendre ce qui fait la spécificité des interventions des assistantes sociales dans notre pays.
Bonjour Cristina, peux-tu nous rappeler ce qu’est la méthodologie d’intervention de l’assistante sociale ?
« La méthode en service social est, en effet, le principe organisateur. C’est la façon de faire de l’assistante sociale depuis sa première rencontre avec la personne jusqu’à la clôture de l’action avec elle. La méthodologie quant à elle est la partie d’une science qui étudie les méthodes auxquelles elle a recours.
La profession de service social a élaboré ses méthodes à partir de l’accumulation et la systématisation d’expériences pratiques et à partir des contributions apportées par les sciences sociales. Cette élaboration à partir des expériences pratiques spécifiques, nous permet de retrouver les points communs entre des situations dissemblables, de retrouver le général en partant du particulier.
Cet effort de théorisation a été particulièrement important aux Etats-Unis d’Amérique, au début du XXème siècle, avec l’apport de Mary Richmond, qui publia en 1917 le premier traité de méthodologie du service social intitulé « Social Diagnosis ». Ce livre théorise la méthode à partir de l’étude de 2.800 situations de pratique. Son livre « What is social casework ? », publié en 1922, présente les caractéristiques de la méthode à partir de l’étude de six situations choisies avec des critères précis. Ce dernier fut traduit en français en 1926 et a servi de texte d’étude aux assistantes sociales de la toute première époque.
Depuis lors, la profession n’a cessé de construire et de transformer les méthodes auxquelles elle a recours pour mener à bien son action. Rappelons-nous que le programme d’études des assistantes sociales de 1962 établissait l’enseignement de cinq méthodes professionnelles : Service social individualisé, service social de groupe, service social communautaire, recherche et administration. Le référentiel de formation de 2004 regroupait les méthodes en Intervention sociale d’aide à la personne (ISAP) et Intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC) ».
Depuis les référentiels ont évolué notamment en 2018 avec plusieurs autres référentiels. Celui de fonction/activité, de compétences, de formation et enfin de certification. Par exemple, l’ISIC est devenu dans le référentiel fonction/activité « Accompagnement social collectif ». Le référentiel de compétences est agrémenté d’indicateurs qui tentent de lister en quelque sorte les savoirs faire de l’assistante sociale. La méthodologie, quant à elle, est présentée comme un des domaines du référentiel de formation. (Il ya aurait beaucoup à dire et à écrire sur ce sujet)
Peux-tu nous rappeler les principales phases de la méthodologie d’intervention des assistantes de service social ?
« L’assistant de service social suit une démarche méthodique dont les phases différentes sont repérables et peuvent être séparées aux fins d’étude et d’analyse. Mais, dans la pratique, ces phases se confondent, se chevauchent et se présentent de façon simultanée, il s’agirait plutôt d’un processus. En fait, la tentative de séparer et de délimiter chaque phase de la méthode est, malgré son caractère artificiel, utile dans un but de formation et dans un but de systématisation de la pratique.
Les phases de la méthode d’intervention peuvent se décrire de la façon suivante :
- Le repérage du problème social ou de la demande: cela nécessite de clarifier : Qui demande quoi ? Pour qui ? À qui est adressée la demande ?
- L’analyse de situation: consiste en un recueil d’informations sur la personne, sa situation, le contexte global, les institutions et organismes sociaux ; le travailleur social mobilise les connaissances issues des sciences sociales, de la législation, etc. afin de comprendre et cerner la réalité sociale complexe et globale ;
- L’évaluation diagnostique (diagnostic social) : construire, à partir des éléments recueillis dans l’analyse de situation, une synthèse et une interprétation des données et formuler des hypothèses de travail. Seront ainsi décryptées les forces internes et externes sur lesquelles l’intervention pourra s’appuyer de même que les points plus faibles ou les freins L’évaluation diagnostique organise la connaissance compréhensive de la situation et aboutit à l’élaboration d’un projet d’intervention ;
- L’élaboration d’un ou plusieurs projets d’intervention co construits entre la personne et l’assistante sociale, confrontation de ce projet avec celui de l’organisme employeur, aboutissant au contrat ; c’est-à-dire à définir des objectifs précis de changement ;
- La mise en œuvre du projet commun et des interventions choisies ; pendant la mise en œuvre de l’action, le travailleur social mobilise différentes formes d’interventions en fonction des objectifs de changement poursuivis et du niveau d’intervention choisi ;
- L’évaluation des résultats: consiste à mesurer le chemin parcouru, à évaluer les changements produits dans la situation entre le début et la fin de l’intervention ;
- La clôture de l’action: l’intervention dans une situation individuelle ou familiale, ou encore de groupe, ne peut être que limitée dans le temps.
Chacune de ces phases revêt des caractéristiques particulières et fait appel à des techniques et connaissances spécifiques qui sont acquises en formation ».
Est-ce que cette méthodologie a évolué au fil du temps et des réflexions professionnelles ?
En effet, il y a eu différentes périodes largement explicités par Henri Pascal dans notre livre (1). Si au départ la méthodologie a été puisée à des sources nord-américaines avec l’influence de Mary Richmond et de la première Conférence internationale de service social (Paris, 1928), par la suite, dans les années 1940 à 1950, le service social fut analysé en termes d’actes et de techniques. Parmi lesquelles on trouve des écrits sur l’enquête sociale, la visite à domicile, la permanence, les démarches, les fiches et supports administratifs, etc.
Après la deuxième guerre mondiale, avec les séminaires sur les méthodes du service social promus par les Nations Unies, les assistantes sociales européennes ont repris la démarche méthodologique. Cette fois ce sera sous l’influence croissante de la psychologie clinique et de la psychanalyse et donnera lieu à la période où le « casework » deviendra hégémonique (2). A la même époque les méthodes de service social de groupe et communauté furent enseignés et valorisés dans les écoles et les grandes institutions sociales. Ils auront plus de peine à s’implanter malgré leur mention dans le programme d’études de 1962. Ils reprendront un certain élan dans la période après 1968.
Au cours des années 1970 l’influence croissante de la sociologie, la psychosociologie et l’analyse systémique ont apporté une nouvelle réflexion sur les méthodes professionnelles. Comment les articuler ? Comment les décloisonner ? Ce fut le temps de « l’approche globale » et un peu plus tard la théorisation de la « méthodologie d’intervention ».
En quoi la méthodologie de l’assistante sociale est-elle distincte de celle concernant l’ensemble des travailleurs sociaux ? (éducateurs spécialisés, des conseillères ESF, EJE…)
« En France, le travail social comporte différentes professions qui se sont structurées à des époques distinctes et en réponse à des problématiques de populations spécifiques. Ceci est une situation spécifique française, car rappelons-nous que dans le reste du monde l’appellation « travail social » correspond à ce qu’on appelle en France « assistant de service social ». D’ailleurs, l’appellation « travailleuses sociales » existait déjà en France en 1922 lors de la création de la première association professionnelle, même avant la création des premiers diplômes officiels.
Dans le contexte actuel, la profession d’assistante de service social reste la plus généraliste. C’est celle qui déploie son activité dans les champs les plus diversifiés et avec la vision la plus globale et complexe de la situation des personnes, tant sur le plan individuel que collectif.
Les professions telles que les Educateurs de jeunes enfants (EJE) ou Conseillères en économie sociale et familiale (CESF) ont surgi très tôt dans l’histoire sous d’autres appellations : jardinières d’enfants (après la Première Guerre mondiale), monitrices d’enseignement ménager (au début du XXe siècle). Leur population était bien délimitée aux jeunes enfants pour les unes, aux femmes au foyer pour les autres. Quant aux éducateurs spécialisés (ES), ils se professionnalisent au cours et après la seconde guerre mondiale, centrés sur les jeunes et les adolescents.
Chacune de ces professions a développé ses propres méthodes et techniques pédagogiques et éducatives en fonction de ses champs d’activité et populations cibles. Mais il n’existe pas, à ma connaissance, une théorisation aussi aboutie et aussi reconnue que celle produite par les assistantes sociales.
Toutefois, la tendance aujourd’hui est à une plus grande proximité dans les pratiques et à une certaine uniformisation des formes d’intervention. De plus, les derniers référentiels de formation en travail social, celui de 2004 et surtout celui de 2018, tendent vers un rapprochement dans la modélisation des méthodes d’intervention de ces différentes professions. D’ailleurs, mon livre, « Méthodologie de l’intervention en travail social », initialement adopté uniquement par les assistantes de service social, est progressivement utilisé en formation, d’abord chez les conseillères en économie sociale, familiale, et aujourd’hui aussi pour les éducateurs spécialisés dans certains centres de formation.
Merci Cristina !
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