J’ai eu le plaisir d’intervenir jeudi dernier à Talence à l’occasion des 80 ans de l’ANAS et des 50 ans de l’IRTS de Grande Aquitaine en compagnie de Mouna Abdesselem cheffe du bureau des professions sociales à la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS). Après l’avoir entendu nous présenter le projet de redéfinition de l’architecture des formations, mon intervention a porté sur la spécificité du travail des assistant(e)s de service social. En voici l’essentiel :
Nous vivons dans un contexte social et sociétal en constante évolution, marqué par de nombreuses incertitudes. Les différentes formes de précarité, les inégalités et la « complexification » des problématiques individuelles et collectives, demandent un savoir-faire et un savoir-être pour tous les travailleurs sociaux et notamment les assistant.e.s de service social (ASS). En effet, cette profession a développé au fil des ans une approche spécifique de l’aide et de l’accompagnement. Elle articule expertise technique, engagement humain et vision holistique des situations. Cet article se propose d’explorer quelques particularités qui font de l’intervention des assistant(e)s de service social un maillon qui me parait indispensable de notre système de protection sociale.
Rappelons aussi, avant d’entrer un peu plus dans le détail, que ces professionnel(le)s sont formé(e)s pour intervenir auprès de tous les publics. De l’enfance à la vieillesse, quelle que soit leur situation sociale ou encore leurs ressources. (Leurs actions ne se limitent pas aux seules personnes qui sont pauvres et qui vivent de minimas sociaux). Pour preuve, il existe des services sociaux au sein des entreprises pour des salariés et peu importe leurs revenus. Les « accidents de la vie » concernent tout le monde. Cette profession n’est pas circonscrite à un secteur (enfance, minima sociaux, éducation, etc.) c’est ce qui fait la richesse de ce métier et l’une de ses particularités.
Disons-le tout de suite, les assistantes sociales n’ont pas le monopole de l’aide ni des façons d’agir avec les personnes, mais elles ont développé des compétences particulières qu’il est utile de connaitre.
Une approche multidimensionnelle des situations sociales
L’une des caractéristiques fondamentales de l’intervention des ASS réside aussi dans leur capacité à appréhender les situations en tenant compte d’éléments multifactoriels. Contrairement à une approche segmentée qui traiterait les problématiques des personnes de manière isolée, les ASS considèrent que c’est un ensemble des facteurs qui peuvent influencer la situation d’une personne ou d’une famille. Cette vision à 360 degrés prend en compte les aspects liés au logement, à l’emploi, à la santé, mais aussi aux relations familiales et de solidarité, sans oublier les dimensions psychologiques, sociétales et environnementales.
Ainsi, par exemple, une assistante sociale à qui il est demandé d’instruire une demande d’APA, aura plus tendance à tenter de bien saisir l’environnement dans lequel la personne âgée évolue. Elle ne se satisfera pas de remplir une grille AGGIR. Elle recherchera les solutions possibles dans l’environnement proche de la personne face à telle ou telle difficulté. Cela peut lui être reproché dès lors qu’il lui est demandé de simplement renseigner un imprimé. Pour autant, en devenant évaluatrice APA, la professionnelle tentera de garder sa façon d’agir en tant qu’assistante sociale.
Cette approche multifactorielle permet aux ASS de prendre en compte les différentes problématiques rencontrées par les personnes accompagnées quels que soient les niveaux de priorité. Elles savent que la résolution d’un problème peut avoir un impact positif sur d’autres aspects de la vie, créant ainsi un effet domino bénéfique. Cette compréhension fine des situations les amène à développer des stratégies d’intervention et à mobiliser un réseau diversifié de partenaires pour répondre de manière adéquate aux besoins identifiés.
Un accompagnement sur mesure et évolutif
une autre spécificité de l’intervention des ASS se manifeste aussi dans leurs capacités à élaborer des plans d’action individualisés et adaptés. Chaque personne ou famille accompagnée présente des caractéristiques qui lui sont propres dans un contexte particulier. C’est pourquoi les ASS co-construisent avec les personnes concernées un projet d’accompagnement qui tient compte de leurs ressources, de leurs aspirations et des contraintes de leur environnement.
Un plan d’action n’est pas figé dans le temps. Les ASS font preuve d’une grande flexibilité en ajustant constamment leurs interventions en fonction de l’évolution de la situation et des besoins changeants des personnes accompagnées. Cette adaptabilité constitue une force majeure de leur pratique, leur permettant de rester en phase avec les réalités vécues par les individus et les familles.
La promotion de l’autonomie et du pouvoir d’agir
Rappelons à ce sujet l’adage repris par les militants d’ATD Quart Monde : Tout ce qui se fait pour moi, sans moi, se fait contre moi. Les ASS ont bien en tête cette maxime même si parfois, elles peuvent être conduites dans des cas particuliers – par exemple pour protéger des enfants – à agir sans tenir compte de la volonté des adultes. Mais elles agissent autant que faire se peut en accord avec les personnes et les familles qu’elles reçoivent. Elles cherchent à être transparentes dans leurs actions. Il est loin le temps où tout ou presque se faisait dans le dos des familles.
La promotion du pouvoir d’agir des personnes est au cœur de l’intervention des ASS. Loin de se contenter d’apporter des réponses ponctuelles aux difficultés rencontrées, les ASS travaillent à renforcer les capacités des individus à prendre en charge leur propre vie. Cette démarche s’inscrit dans une perspective d’empowerment, visant à développer l’autonomie des personnes sur leur environnement et leur parcours de vie.
Pour atteindre cet objectif, les ASS encouragent la participation active des personnes accompagnées dans le processus d’aide. Cela se traduit par une implication dans la prise de décisions, la définition des objectifs et la mise en œuvre des actions. Cette approche participative permet non seulement de respecter la dignité et les choix des personnes, mais aussi de renforcer leur confiance en elles et leur compétence à mobiliser leurs propres ressources. Bien évidemment, ces professionnel(le)s ont aussi la nécessité de rappeler le réel, la réalité des choses aux personnes qui s’en éloignent et qui risquent, en oubliant la réalité, de sérieuses déconvenues. Mais ils le font avec tact et progressivement pour ne pas rompre le fil de la confiance qui est nécessaire pour toute intervention réussie.
Une méthodologie d’intervention rigoureuse
Une autre spécificité de l’intervention des ASS repose aussi sur une méthodologie d’intervention structurée et réfléchie. Cette approche méthodologique apporte cohérence et rigueur à leurs actions, permettant d’organiser les interventions, de prioriser les tâches et de suivre les évolutions de manière efficace. Elle se décline en plusieurs phases comme l’explique Cristina De Robertis :
- Le repérage du problème social ou de la demande : cela nécessite de clarifier : Qui demande quoi ? Pour qui ? À qui est adressée la demande ?
- L’analyse de situation : consiste en un recueil d’informations sur la personne, sa situation, le contexte global, les institutions et organismes sociaux ; le professionnel mobilise les connaissances issues des sciences sociales, de la législation, etc. afin de comprendre et cerner la réalité sociale complexe et globale ;
- L’évaluation diagnostique (diagnostic social) : construire, à partir des éléments recueillis dans l’analyse de situation, une synthèse et une interprétation des données et formuler des hypothèses de travail. Seront ainsi décryptées les forces internes et externes sur lesquelles l’intervention pourra s’appuyer, de même que les points plus faibles ou les freins L’évaluation diagnostique organise la connaissance compréhensive de la situation et aboutit à l’élaboration d’un projet d’intervention ;
- L’élaboration d’un ou plusieurs projets d’intervention coconstruits entre la personne et l’assistante sociale, confrontation de ce projet avec celui de l’organisme employeur, aboutissant au contrat ; c’est-à-dire à définir des objectifs précis de changement ;
- La mise en œuvre du projet commun et des interventions choisies ; pendant la mise en œuvre de l’action, le travailleur social mobilise différentes formes d’interventions en fonction des objectifs de changement poursuivis et du niveau d’intervention choisi ;
- L’évaluation des résultats : consiste à mesurer le chemin parcouru, à évaluer les changements produits dans la situation entre le début et la fin de l’intervention ;
- La clôture de l’action : l’intervention dans une situation individuelle ou familiale, ou encore de groupe, ne peut être que limitée dans le temps.
La méthodologie employée par les ASS offre un cadre clair qui permet de s’y retrouver dans des situations parfois très complexes. C’est l’une des compétences de ces professionnelles : savoir agir dans des environnements changeants où interviennent de multiples personnes. Comprendre le sens d’une décision ou d’un acte, son origine, pourquoi elle est posée et ce qu’elle sous-tend.
Un rôle de médiateur et de défenseur des droits
Les ASS se distinguent aussi par leur fonction de médiateur entre les personnes en difficulté et les institutions. Elles et ils jouent un rôle dans la navigation au sein des systèmes administratifs et juridiques complexes. Elles aident les personnes à accéder à leurs droits et à bénéficier des services auxquels elles peuvent prétendre. Cette mission de défense des droits est particulièrement importante pour les personnes dites vulnérables, qui peuvent se sentir démunies face à la logique administrative qui imprègnent de très nombreuses démarches.
Dans ce rôle de médiation, les ASS mobilisent leur connaissance approfondie des dispositifs sociaux, des politiques publiques et des ressources du territoire. Ils servent de pont entre les besoins individuels et les réponses institutionnelles, travaillant à l’adaptation des dispositifs aux réalités vécues par les personnes.
Une pratique ancrée dans l’éthique et la recherche de sens
L’intervention des ASS se caractérise par une forte dimension éthique et déontologique. Leur pratique est guidée par des principes stricts, incluant le respect du secret professionnel et la recherche constante du consentement et de la participation des personnes accompagnées. Cette posture éthique est essentielle pour établir une relation de confiance avec les personnes, fondement de toute intervention sociale efficace.
Au-delà des aspects techniques de leur intervention, les ASS sont animés par une recherche de sens dans leur action. Ils s’efforcent de comprendre en profondeur les situations rencontrées, dépassant une approche purement administrative pour s’intéresser aux enjeux humains et sociaux sous-jacents.
Cette quête de sens leur permet de rester motivés et engagés, même face aux défis et aux difficultés inhérents à leur profession. C’est d’ailleurs la perte de sens à leur travail qui érode pour une grande part leur volonté de continuer dans le métier et contribue à sa perte d’attractivité.
Conclusion : vers une reconnaissance accrue du rôle des assistant(e)s de service social ?
À relire ce texte, je me rends compte que ces compétences que je nomme spécifiques aux ASS sont pour certaines partagées avec les autres métiers de niveau 6. Ainsi, la promotion de l’autonomie des personnes et de leur pouvoir d’agir vaut tout autant pour les éducateurs spécialisés que pour les conseillères en économie sociale, familiale. De là à dire que nous exerçons le même métier, il y a un pas que je ne franchirai pas. En effet, chacun d’entre eux dispose de ses spécificités d’approche, de son public et de ses modes d’intervention.
Quelles que soient les réformes successives de leurs formations, les spécificités d’intervention des assistant.e.s de service social en font des acteurs incontournables de l’action sociale actuelle. Leur approche globale, leur capacité d’adaptation, leur engagement pour l’autonomie des personnes et leur méthodologie rigoureuse constituent des atouts majeurs pour répondre aux problèmes sociaux actuels et futurs.
Cependant, pour que ces spécificités puissent pleinement s’exprimer, il est nécessaire de reconnaître et de valoriser davantage le rôle de ces professionnel(le)s au sein de notre société. Cela passe par une meilleure reconnaissance institutionnelle de leur expertise, par l’allocation de ressources adéquates pour mener à bien leurs missions, et par le développement de formations continues leur permettant d’actualiser leurs compétences face à l’évolution des problématiques sociales. De nombreux freins existent qui limitent leurs possibilités d’intervention.
En définitive, grâce à sa formation généraliste et son ancrage dans les réalités de terrain, le travail de l’assistant(e) de service social représente un levier important pour aider à construire une société plus juste et solidaire. Il est de notre responsabilité collective de soutenir et de renforcer la profession. En effet, en respectant son cadre d’intervention, elle garantit un accompagnement social de qualité pour toutes celles et ceux qui en ont besoin.
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