La nécessité pour les travailleurs sociaux de connaître le terrain : pour une approche écosystémique du travail social

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Il est un sujet peu abordé dans le champ du travail social, c’est celui de la compréhension approfondie du terrain d’intervention des professionnels. Par le passé, il était important que tout travailleur social s’imprègne de son futur lieu d’intervention en découvrant les particularités du territoire où il allait agir. C’était logique, il s’agissait non seulement de découvrir ses futurs partenaires, mais aussi de comprendre les caractéristiques du terrain.

Cette approche, que l’on peut qualifier d’écosystémique, s’inspire un peu des sciences naturelles. Elle vise à prendre connaissance des interconnexions des problématiques sociales au-delà les personnes et les groupes. Un écosystème social, à l’instar de son homologue biologique, se définit comme une communauté d’individus interagissant dans un environnement donné. Bref, c’est ce que nous appelons le contexte d’intervention.

L’approche écosystémique en travail social invite les professionnels à adopter une perspective élargie, prenant en compte l’ensemble des systèmes et sous-systèmes qui composent leur territoire d’intervention. Cette vision grand angle permet aux travailleurs sociaux de saisir les dynamiques complexes à l’œuvre dans les milieux de vie qui composent un quartier, une cité ou un habitat dispersé en zone rurale. Il s’agit dès en arrivant sur un nouveau poste d’identifier les ressources potentielles pour accompagner les personnes en difficulté et leurs groupes sociaux d’appartenance (familles, amis, voisins).

Aujourd’hui, il faut être vite « opérationnel » dès sa prise de fonction. Le temps dédié à la découverte du terrain, à l’immersion dans une réalité sociale se réduit comme peau de chagrin et c’est dommageable. Fini le temps où le professionnel disposait d’une semaine ou plus pour aller à la rencontre de la population, des associations et des élus. Aujourd’hui, les assistant(e)s de service social qui travaillent dans une mission de proximité sont invités, dès leur prise de fonction, à rencontrer les usagers qui prennent rendez-vous sans connaitre en détail ce qui fait la réalité des lieux de vie de leur public. C’est fort regrettable. Une approche écosystémique est pourtant utile et produit beaucoup plus de résultats dans des délais relativement courts, surtout lorsqu’il faut traiter des urgences individuelles, familiales, mais aussi et surtout s’il y a à traiter les effets de catastrophes (logement, climatique etc).

L’assistant social : un explorateur du territoire

Pour mettre en œuvre cette approche, l’assistant de service social doit endosser le rôle d’un véritable explorateur. Il lui incombe de cartographier les forces vives, les ressources et les communautés qui animent son champ d’action. Cette démarche implique une posture d’ouverture, une capacité à adopter un « grand angle » pour appréhender la réalité sociale dans toute sa complexité.

Cette exploration ne se limite pas à un simple recensement des structures existantes. Elle vise à comprendre les interactions, les réseaux d’appartenance et les dynamiques relationnelles qui façonnent le quotidien des personnes accompagnées. L’assistant social doit être capable d’identifier dans un quartier les liens familiaux, amicaux, de voisinage, de solidarité, mais aussi de repérer ce qui se passe en l’absence de ces connexions sociales essentielles.

De l’individuel au collectif : une vision élargie de l’intervention sociale

L’approche écosystémique permet de dépasser la dichotomie traditionnelle entre accompagnement individuel et action collective. En effet, la connaissance fine du terrain offre la possibilité de concevoir des projets individualisés tout en les inscrivant dans une dynamique plus large d’ancrage local et de développement social local.

Cette vision élargie ouvre la voie à des interventions qui s’appuient sur les ressources potentielles du territoire. Le travailleur social peut ainsi envisager des actions de groupe, des projets collectifs ou des initiatives de développement local qui viennent compléter et renforcer l’accompagnement individuel. Souvent, il faut plusieurs mois de pratique de terrain pour s’engager dans cette voie. Pourtant, c’est dès son arrivée que le professionnel peut prendre la température du lieu où il intervient, en s’appuyant sur des collectifs de travail qu’il a pu identifier ou repérer.

L’alliance comme posture professionnelle

Dans cette perspective écosystémique, l’assistant social est amené à développer une posture d’alliance, non seulement avec les personnes accompagnées, mais aussi avec l’ensemble des acteurs du territoire. Cette approche collaborative vise à mobiliser les compétences et les ressources de chacun pour favoriser l’autonomie et l’empowerment des individus et des groupes. C’est une évidence direz-vous ? Pas si sûr. Le concept d’alliance n’a pas toujours été bien vu, surtout s’il s’agissait de « faire alliance » avec les bénéficiaires des aides sociales ou encore les familles avec des difficultés éducatives.

En 2007, le Conseil Supérieur du Travail Social, ancêtres du HCTS insistait sur « l’alliance nécessaire entre le travailleur social et la personne accompagnée : « Nous définissons cette alliance comme un nécessaire accord entre les personnes, professionnels et usagers […]. Ceci en évitant complicité, connivence, fusion… tout autant que domination, soumission, dépendance » était-il écrit.

L’objectif est de permettre aux personnes accompagnées de devenir véritablement actrices de leur vie. Comment ? Tout simplement en s’appuyant sur leurs propres compétences et sur les ressources de leur environnement. Cette démarche s’inscrit dans la lignée des travaux de Carl Rogers sur l’autodétermination et rejoint les principes de l’empowerment, chers aux travailleurs sociaux.

La supervision écosystémique : un outil de développement professionnel

Pour approfondir cette approche, les travaux de Paule Lebbe-Berrier sur la supervision écosystémique apportent un éclairage intéressant. Dans son ouvrage « Supervisions éco-systémiques en travail social« , elle développe un cadre théorique et méthodologique pour accompagner les professionnels dans cette démarche.

La supervision écosystémique se présente comme un espace tiers nécessaire. Elle permet aux travailleurs sociaux de développer de nouvelles compétences en prenant conscience de leurs dépendances et de leurs limites. Cette approche engage une réflexion approfondie sur les pratiques professionnelles, en les replaçant dans le contexte plus large des écosystèmes sociaux.

Vers une pratique renouvelée du travail social ?

L’adoption d’une approche écosystémique dans le travail social a représenté un véritable changement de paradigme. Elle invite les travailleurs sociaux à dépasser une vision segmentée des problématiques sociales pour embrasser une compréhension multidimensionnelle des situations. Cette approche est particulièrement prisée des assistant(e)s de service social qui sont confrontés depuis des années à des politiques sociales et des dispositifs en silos.

Cela va à l’inverse de cette approche multifactorielle qui permet de prendre en compte l’ensemble des facteurs qui influencent la situation d’une personne ou d’une famille : logement, emploi, santé, relations familiales, aspects psychologiques, sociétaux et environnementaux. Elle offre ainsi une vision à 360 degrés des problématiques sociales, permettant d’élaborer des stratégies d’intervention plus pertinentes et efficaces.

Une opportunité pour le travail social

La nécessité pour les assistants sociaux de connaître en profondeur leur terrain d’intervention s’impose comme une évidence dans le contexte actuel. L’approche écosystémique offre un cadre conceptuel et méthodologique pour relever ce besoin, en proposant une vision renouvelée du travail social.

Cette approche invite les professionnels à développer une compréhension fine des territoires. Elle les encourage à tisser des alliances multiples et à mobiliser les ressources latentes des communautés. Elle ouvre ainsi la voie à des pratiques plus innovantes, plus participatives et plus ancrées dans les réalités locales. Cela va dans le sens du livre blanc du travail social même si cette approche n’est pas explicitement exprimée de cette façon.

Dans un monde en constante mutation, où les problématiques sociales se complexifient, l’approche écosystémique apparaît comme une réponse pertinente pour adapter le travail social aux enjeux actuels. Elle offre aux assistants sociaux les outils pour naviguer dans la complexité des situations, tout en restant fidèles aux valeurs fondamentales de leur profession : l’empowerment, l’autodétermination et la justice sociale. Il est donc essentiel que les encadrements de services accompagnent les professionnels dans cette démarche d’appropriation et les soutiennent pour plus de « Pouvoir et créativité » en référence au 1ᵉʳ livre de Paule Lebbe Berrier « Pouvoir et créativité du travailleur social, une méthodologie systémique (Ed ESF Nov 1998)

Sources :

 


Note : merci à Christine Delalande Dauzié pour sa contribution et ses apports dans nos échanges et ce texte.

Photo : Pixabay

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