Le travail social peut-il sauver le monde ?

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Oui ! nous dit Stéphane Rullac, professeur en innovation sociale à la Haute École de Travail Social et de la santé de Lausanne. Cet ancien travailleur social vient de publier un manifeste où il affirme avec force que les praticiens ne peuvent plus se satisfaire d’accompagner les personnes et familles et difficulté. Il faut aller plus loin dit-il. Pourquoi et comment ?

Nous sommes à un tournant de l’histoire. Les crises économiques, sociales et environnementales s’accumulent. On nous parle même tous les jours de la guerre en Europe et de la guerre économique qui s’engage face à des États autoritaires qui prônent l’illibéralisme.

Il est temps de repenser notre modèle de développement. Dans ce contexte, le travail social peut-il jouer un rôle historique ? celui de transformer les sociétés pour bâtir un avenir plus équitable et durable. Stéphane Rullac, en est convaincu et appelle à une révolution des pratiques pour répondre à cette urgence planétaire.

couv livre stephane rullacL’Esprit d’un manifeste

Nous vivons une crise sans précédent, issue de nos modèles de développement économique et social. Ils sont à bout de souffle. Les solutions d’hier ont engendré les problèmes d’aujourd’hui et il est temps de changer de paradigme.

Le travail social doit sortir de son rôle traditionnel d’accompagnement pour devenir une force motrice de transformation. Et il faut le reconnaitre, ce sont les travailleurs sociaux qui détiennent les clés de cette transformation. Ils doivent valoriser les compétences des populations marginalisées, souvent reléguées, mais qui possèdent une expertise pour construire des modèles alternatifs de développement, tout simplement parce que nous allons dans le mur.

Ces populations, comme les migrants et les précaires, ont appris à vivre avec peu, à coopérer pour survivre, et à recréer des réseaux de solidarité dans des espaces déstructurés. Leur expérience est un socle pour imaginer une décroissance qui recentre l’humain, loin des illusions d’une croissance infinie. Le travail social doit accompagner la mobilisation de ces compétences, en les valorisant comme des ressources stratégiques pour bâtir des sociétés durables et équitables.

Qui croit encore que le modèle ultra-libéral peut perdurer ?

Je reprends ici le propos de l’auteur publié sur son compte LinkedIn : « La brutalité incarnée par Donald Trump ne doit pas masquer une réalité plus profonde : l’impasse d’une croissance infinie dans un monde aux ressources limitées. Avant de s’épuiser, une source jaillit souvent plus fort ; malgré lui, Trump met en lumière la nature profondément destructrice et insoutenable du système qu’il caricature, précipitant ainsi sa chute inévitable. 

Mais quelle alternative à ce modèle productiviste ? Les réponses ne viendront pas des élites installées, mais des exclus, des marginaux, de celles et ceux considérés comme inutiles ou parasites. Migrants, précaires, « fous », tous ces laissés-pour-compte ont développé une expertise précieuse : celle de la résilience, de la sobriété, et d’une vie soutenable. En particulier, les migrants maîtrisent déjà des pratiques de décroissance imposées par leur parcours, témoignant d’une véritable capacité d’adaptation à des environnements contraints.

C’est précisément ici que le Travail social devient incontournable. En valorisant ces savoirs ignorés et grâce à ses pratiques collaboratives et innovantes, il est un levier puissant pour transformer notre société. En mobilisant cette intelligence collective, le Travail social constitue notre meilleure chance d’éviter un basculement vers l’autoritarisme, ouvrant la voie à un avenir démocratique et durable ».

Pourrons-nous bâtir un monde nouveau ?

Les travailleurs sociaux devraient être des acteurs engagés dans la transformation des sociétés. Ils doivent imaginer et bâtir des passerelles entre les besoins sociaux pressants et les impératifs écologiques. Pour cela, il est essentiel de repenser les pratiques traditionnelles, de sortir des cadres rigides, et de libérer le potentiel d’innovation du travail social. Cela implique d’écouter les savoirs pluriels, de valoriser l’expérience des personnes qu’ils soutiennent, de coopérer avec d’autres scientifiques, et de mobiliser les communautés.

Le travail social ne se situe pas en périphérie des sociétés. Il n’est pas dans une bulle. Il peut constituer un pilier central, un levier essentiel des transitions nécessaires. Grâce à des méthodologies de développement ancrées dans la justice sociale soucieuse du droit et des valeurs du vivre ensemble, les travailleurs sociaux ont les outils pour relever les questions complexes de notre époque. Mais cette mission ne peut être portée individuellement ; elle repose sur une dynamique collective où chaque projet contribue à construire un avenir durable.

Pour une nouvelle refondation du travail social

La pratique actuelle du travail social, dans sa forme actuelle, ne peut plus suffire. Il doit devenir une force motrice de transformation, capable de proposer des alternatives viables et vivables. Les crises s’accumulent, et les réponses tardent à émerger. Le travail social, ancré au cœur des dynamiques humaines, est en première ligne pour répondre à ces sujets majeurs. Il est temps d’oser un virage radical : faire du travail social un pilier central du changement. « Les formations doivent être « écologisées » en intégrant les enjeux environnementaux, la résilience communautaire et les approches interdisciplinaires ».

Évidemment, les travailleurs sociaux doivent s’inspirer des savoirs des populations marginalisées. Elles ont appris à vivre avec peu et à recréer des réseaux de solidarité. Ce savoir-faire est essentiel pour construire des modèles sociaux durables et solidaires. Le travail social traditionnel doit sortir de son enfermement local et institutionnel. Nous devons briser les chaînes de la dévalorisation chronique et des financements conditionnés. Le travail social doit enfin se redéfinir comme un champ global, porteur d’un projet politique.

Renouer avec le rôle historique du travail social

Le travail social est né dans le contexte de la révolution industrielle, où il a été utilisé pour contenir les tensions sociales. Historiquement, son rôle a été considéré comme ambigu, entre bienveillance et contrôle, entre assistance et régulation. Pendant des décennies, il a été un mécanisme de maintien de l’ordre social, offrant de l’aide, mais toujours dans une logique d’ajustement au système existant. Il a trop longtemps servi les intérêts d’un système inégalitaire.

Pourtant, le travail social peut être un vecteur de changement. Il doit devenir une force d’émancipation et d’anticipation, capable de redéfinir les règles du jeu. Justice sociale, équité environnementale, résilience collective : voilà les nouveaux horizons du travail social. Les défis actuels exigent une transformation radicale. Il ne s’agit plus simplement d’aider les personnes à s’insérer dans un système défaillant, mais de redéfinir les règles du jeu.

Vers un avenir à construire collectivement

Il faut oser un virage radical, nous dit Stéphane Rullac. Il s’agit de faire du travail social une force motrice de transformation, capable de proposer des alternatives viables et vivables au quotidien. Le chantier est immense, ambitieux, mais enthousiasmant. Il ne s’agit plus de subir, mais de prendre l’initiative.

Le travail social a un rôle historique à jouer dans la transition vers un monde plus durable et équitable. Aujourd’hui, tous conviennent que le travail social va mal et qu’il est le reflet d’une impasse, reflet d’un système toujours plus productiviste. L’auteur appelle les travailleurs sociaux à se rassembler et à agir collectivement pour redéfinir leur futur commun. Ensemble, ils peuvent construire des solutions justes et durables, en intégrant les savoirs d’usage et en adoptant les principes des sciences citoyennes.

Cela veut aussi dire que le travail social ne doit plus être perçu comme un champ professionnel et disciplinaire d’appoint. Il doit pouvoir être reconnu comme un pilier central du changement. Il doit être capable de mobiliser les compétences des populations marginalisées pour bâtir un avenir plus équitable et durable. Cette vision exige une rupture avec les paradigmes du passé et une forme de réinvention des pratiques.

Finalement, ce manifeste de Stéphane Rullac est un appel à l’action. En valorisant les compétences des populations marginalisées et en promouvant une nouvelle approche des solidarités et de la participation, les travailleurs sociaux peuvent contribuer à construire un monde plus durable et plus juste. Il est temps de changer de regard et de reconnaître le potentiel transformateur du travail social dans la construction d’un avenir commun. Cette démarche est l’antithèse des projets des milliardaires de la tech qui veulent gouverner le monde à coup de solutions numériques éphémères. Elles n’ont pour seul objectif que de les enrichir encore plus en maintenant le monde dans l’ignorance et la sujétion.

Certes, cet appel a un grand défaut. Il n’émane non pas d’un collectif, mais d’un seul auteur, ce qui peut limiter son impact. Pour autant, c’est à chacun de se saisir de ce manifeste, de l’analyser et de l’adapter aux réalités quotidiennes. Il y a là matière à penser, à débattre et à entrevoir une utopie réaliste qui donne envie d’agir et de s’engager. Alors pourquoi pas ?

 

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Photo : Stéphane Rullac sur son compte LinkedIn

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Une réponse

  1. Merci beaucoup pour cette publication !
    Je souhaite cependant apporter une précision concernant le terme « Manifeste ». Bien qu’il soit vrai que ce texte ne provienne pas d’un collectif, cette caractérisation relève en réalité d’un choix éditorial du Sociographe, qui a récemment lancé une nouvelle collection intitulée Brochure.
    Il ne s’agit donc pas d’un Manifeste, mais bien d’une Brochure. À travers cette nouvelle collection, nous souhaitons encourager des auteurs à s’en emparer, y compris pour des écritures individuelles.
    L’ambition est de permettre au travail social de prendre toute sa place dans le débat public, notamment en publiant des points de vue politiques et scientifiques, mais dans une forme accessible au plus grand nombre.

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