C’est après avoir lu « le manuel de l’animateur social », un ouvrage qui a peu à voir avec l’animation sociale, que j’ai choisi, à 25 ans de devenir assistant social. J’aurais pu devenir éducateur, mais le destin en a voulu autrement. Ancien cheminot, (vous savez, ces gens qui font grève à la SNCF et énervent tant de monde), je voyais à l’époque le travail social comme un formidable moyen de faire bouger le monde et de vivre mon travail en accord avec mes idées. Dans les années 80, j’étais plein d’illusions. Pour moi, le travail social ne pouvait être que radical. Voici donc les 5 piliers de cet engagement qui aujourd’hui peut paraître bien démodé à l’heure où presque tout se gère avec des entretiens, des dispositifs et des systèmes informatiques plus ou moins sophistiqués qu’il faut sans cesse renseigner…
Cette forme de radicalisme du travail social se développe actuellement au Royaume Uni ainsi qu’en Espagne et en Grèce. Il s’appuie sur cinq principaux piliers : la pratique de la démocratie, l’empathie, le militantisme, l’anti-oppression et la pratique structurelle.
- la pratique de la démocratie directe. Dans les actions collectives, les personnes redécouvrent par le vote et le débat qu’elles peuvent avoir à nouveau un pouvoir de décider ce qui est bon pour elles. Les plus exclus ont le plus souvent l’impression que leur idées ne valent pas grand chose. Certains sont surpris que leurs idées peuvent être retenues et prises en considération. En votant pour telle ou telle décision, les participants apprennent que ce qui se décide peut se faire avec eux et que l’absence de prise en compte de leurs points de vue n’est pas une fatalité. La pratique de la démocratie dans les collectifs est un levier puissant qui permet à chacun de reprendre en main sa propre destinée et de ne plus subir
- La pratique de l’empathie, et de la tolérance. Je sais que les volontaires d’ATD quart monde estiment que l’empathie des travailleurs sociaux est peu acceptable et que les personnes accompagnées n’en n’ont pas grand chose à faire. Mais cela reste à mon sens important. Je reprends ici ce que j’avais écrit ailleurs : Carl Rogers définit ainsi l’empathie et cela concerne tout le monde : « …être empathique consiste à percevoir avec justesse le cadre de référence interne de son interlocuteur ainsi que les raisonnements et émotions qui en résultent… C’est-à-dire capter la souffrance ou le plaisir tels qu’ils sont vécus par l’interlocuteur, en percevoir les causes de la même façon que lui… » Il s’agirait donc d’une capacité personnelle qui permettrait de percevoir de façon mesurée et distanciée les sentiments et affects de votre interlocuteur au point d’en ressentir certains effets. Cette perception vous permettrait de mieux comprendre la personne en face (ou à coté) de vous. Mais à mon avis ce n’est pas ce que vous ressentez qui est essentiel même s’il faut bien sûr en tenir compte, c’est votre compréhension du dilemme de la personne dès lors que vous comprenez et acceptez un cadre de référence qui n’est pas le vôtre. Je continue de penser que l’empathie nous aide à mieux comprendre et prendre en compte les situations que nous accompagnons
- Le militantisme : aujourd’hui nous parlerons plutôt d’engagement. Militant a la même racine que militaire, et l’on ne peut pas dire que les travailleurs sociaux soient particulièrement militaristes. Il s’agit plutôt pour eux de faire le choix de s’engager dans une cause qui justifie de choisir un camp, celui des plus exclus. Cela peut paraître un peu simpliste. Mais il s’agit d’accepter de se positionner clairement en acceptant de défendre des causes qui sont souvent peu défendues. Car qui accepte aujourd’hui de défendre celui qui s’alcoolise, fume de l’herbe ou encore s’enferme dans la maladie mentale ? Nous savons ce que le corps social réprouve ceux qui sont nommés aujourd’hui des « assistés sociaux ». Ils sont sujets à des représentations sans doute rassurantes pour les « inclus » qui n’hésitent pas à distinguer les « bon et les mauvais pauvres ». Ceux qui jouent le jeu et sont soumis au système prévu pour eux contre ceux qui sont plein de révoltes, qui nous provoquent et dont une majorité veut se protéger. Oui il faut souvent être militant pour tenter de défendre des causes considérées comme indéfendables par nos concitoyens…
- L’anti oppression. Je crois sincèrement que les travailleurs sociaux n’acceptent pas du tout ce que représente l’oppression. Elle est « le mauvais traitement ou la discrimination systématique d’un groupe social avec ou sans le soutien des structures d’une société. Le racisme (ainsi que l’antisémitisme et l’islamophobie qui peuvent être classés comme des formes de racisme), le sexisme, l’homophobie, la transphobie, le validisme, l’âgisme, sont des exemples d’oppression ». Les travailleurs sociaux partent du principe, qu’il y a de la place pour tout le monde sur terre. Que chacun a le droit à la reconnaissance et le respect. Rappelons enfin q’en droit français, la résistance à l’oppression est l’un des « droits naturels » et imprescriptibles de l’homme (déclaration de 1789).
- la pratique structurelle me parait plus délicate à définir. L’approche structurelle tente de faire le pont entre les croyances idéologiques et l’action. Elle reconnaît l’impact des déterminants socio-économiques sur la réalité sociale des personnes accompagnées et notamment sur les familles. Les praticiens et formateurs en travail social sont à la recherche d’une approche globale qui tient compte à la fois de la dynamique psychosociale et du contexte socio-économique, culturel et politique dans lequel évoluent les familles en difficulté. Nous ne pouvons réduire ces différents aspect. la pratique structurelle mériterait un long développement : rapidement écrit disons qu’elle s’appuie sur 3 hypothèses de base qui sous-tendent cette pratique. 1- l’analyse critique, 2- la polyvalence dans l’intervention et 3- l’empowerment. Pour creuser ce sujet, je vous renvoie à l’excellent article de Justin LÉVESQUE et Jean PANET-RAYMOND, tous deux professeurs de méthodologie à l’École de service social de l’ Université de Montréal. Cet article intitulé « L’évolution et la pertinence de l’approche structurelle dans le contexte social actuel » date un peu (1994) mais reste je crois, tout à fait d’actualité.
Ces 5 piliers piliers conjugués peuvent caractériser ce que l’on peut appeler le travail social radical. Ce concept considère que le sujet et l’intervention s’inscrivent dans un système démocratique qu’il faut sans cesse faire évoluer. Cela s’oppose aux récits dominants de travailleurs sociaux qui estiment que leur légitimité provient uniquement de leur identité professionnelle issue de la mission et du pouvoir que leur a donné l’Etat de droit. Le travail social radical semble avoir gagné sa reconnaissance par sa capacité à saisir et utiliser le pouvoir politique pour une prise en compte des plus exclus et la reconnaissance de la nécessité de regarder d’abord leurs conditions d’existence et la place qui leur est faite dans la société. Un bel exemple de ce travail concerne celui mené par nos collègues de Toulouse qui, pour donner un toit aux plus démunis, avaient réquisitionné des bâtiments publics. Chapeau les artistes ! De vrais empêcheurs d’aider en rond !
note : je me suis un peu pris la tête à rédiger ce texte. Il est peut être un peu trop éloigné de vos préoccupations quotidiennes. en fait je me suis embarqué dans ce développement en voulant développer les points initiaux parus dans le dernier paragraphe de cet article.
photo : chomster.fr Alter G20 à Nice Prise le 1 novembre 2011 Certains droits réservés
5 réponses
Merci pour ces 5 piliers! l’assistante sociale cheminote (et oui!!!!) que je suis s’y retrouve bien aussi!
Je vais partager votre écrit avec mes collègues, alors que j’entends parler quotidiennement de perte de sens, ces piliers vont nous aider à réaffirmer nos points d’ancrage!!
Je suis contente d’être une radicale alors même si la représentation que j’ai de ce mot ne me plaît pas trop d’où vient ce choix de terme ?
le terme de radical est utilisé dans le champ du travail social anglo-saxon. Il provient de de Saul Alinsky « rules for radicals » des « règles pour les radicaux » dont le titre en français est » manuel de l’animateur social » que je vous invite à découvrir si ce n’est déjà fait. vous pouvez le télécharger ici(lien). Ce livre s’inscrit dans une époque, celle des années 70 où la contestation était considérée comme acceptable. Alinsky a été théorisé une forme d’action directe professionnelle non violente avec les populations exclues (les noirs américains) en vue de défendre leurs droits en les aidant à créer un rapport de force face aux pouvoirs en place et notamment les institutions. Ce rapport de force permet ensuite de négocier pour obtenir une amélioration des conditions de vie des populations que le travailleurs social conseille. Il n’agit pas à la place mais aide à mettre en oeuvre ces stratégies Vous avez avec ce lien une présentation vidéo en anglais du travail social radical
Je suis surpris du nombre de visites sur cet article ( environ un millier sur 2 jours après parution). Vous ne semblez pas être seule à vous retrouver dans ce concept.. 😉
Cordialement
dd
Merci pour cette réponse complète qui me permettra de creuser le sujet