Les États-Unis vivent une période sans précédent. L’élection de Donald Trump s’accompagne d’un contexte politique marqué par la montée des discours xénophobes. Les mesures restrictives se multiplient. Les travailleurs sociaux américains se retrouvent en première ligne pour défendre les droits des populations vulnérables. Face à l’administration Trump, dont les politiques ciblent systématiquement les minorités, Les professionnels mobilisent leurs réseaux, leurs compétences et leur éthique pour contrer une machine législative qui menace les fondements mêmes de la démocratie. La Fédération américaine des travailleurs sociaux (NASW) est sur le pied de guerre. Mais avant de voir comment les professionnels de l’aide et du soin s’organisent, il faut comprendre ce qui se passe concrètement outre-atlantique.
Le SAVE Act, cheval de Troie de la suppression électorale
Depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump a relancé un projet phare de son premier mandat : le Safeguard American Voter Eligibility (SAVE) Act. Présenté comme une mesure de « protection » contre des fraudes électorales qui n’existent pas, ce texte exige une preuve documentaire de citoyenneté pour s’inscrire sur les listes électorales. Un obstacle qui est quasi insurmontable pour près de 21 millions d’électeurs, majoritairement issus des communautés afro-américaines, latinos et jeunes.
La National Association of Social Workers (NASW) dénonce une manœuvre délibérément discriminatoire : « Cette loi ne résout aucun problème existant — le vote des non-citoyens est déjà illégal et quasi inexistant — mais elle crée des barrières systémiques pour les populations que nous accompagnons ». En pratique, le SAVE Act supprimera les inscriptions par courrier, forçant les citoyens à se déplacer dans des bureaux souvent inaccessibles pour les travailleurs précaires ou les personnes sans véhicule. Il en est de même pour les personnes handicapées qui ne peuvent se déplacer. Au regard de l’étendue du pays et du nombre de personnes non valide il y a là une véritable atteinte au corps électoral le plus fragile.
Le Projet 2025 : une refonte autoritaire de l’État social
Derrière le Save Act se profile une autre loi, bien plus radicale : le Projet 2025 de la Heritage Foundation. Ce plan est décrit comme une « feuille de route pour un État minimaliste ». Il prévoit la suppression de programmes sociaux essentiels : aides au logement, couverture médicale pour les plus pauvres (Medicaid), soutien alimentaire (SNAP)… Tout cela est annoncé au nom d’une « réduction de la bureaucratie ».
Pour Anthony Estreet, directeur de la NASW, « ces coupes budgétaires aggraveront la pauvreté, l’itinérance et les inégalités de santé. Les travailleurs sociaux devront gérer l’ingérable : des familles exclues des filets de sécurité, sans ressources pour les aider ». Le projet inclut également au passage une restriction du droit de grève et une marginalisation du National Labor Relations Board, organe chargé de protéger les droits des salariés. C’est ainsi la disparition de nombreux droits des salariés.
Une chasse aux migrants qui fracture les communautés
La promesse de Trump de lancer « la plus grande opération d’expulsion de l’histoire » prend forme via des descentes policières ciblant indistinctement sans-papiers et résidents légaux. Des quartiers entiers, comme le quartier latino de Phoenix ou le quartier haïtien de Miami, vivent sous la menace permanente des rafles, décourageant l’accès aux services sociaux de base, aux distributions alimentaires. Il faut bien dire que les gens ont peur même ceux qui sont d’origine étrangère et en situation régulière
« Les familles migrantes renoncent aux soins médicaux ou aux aides alimentaires par peur d’être repérées », témoigne une travailleuse sociale de Chicago sous couvert d’anonymat. Cette stratégie du chaos, selon la NASW, vise à déstabiliser les réseaux de solidarité qui structurent les communautés marginalisées.
La contre-offensive des travailleurs sociaux : entre assistance juridique et mobilisation collective
Face à ces attaques, les travailleurs sociaux américains ont transformé leur pratique quotidienne. Dans les centres communautaires de Détroit ou de Los Angeles, des ateliers d’éducation aux droits électoraux sont mis en place (Photo Nasw Michigan). L’objectif : expliquer le fonctionnement du SAVE Act, aider à obtenir des pièces d’identité et lutter contre la désinformation propagée par certains médias conservateurs.
« Beaucoup croient à tort qu’ils ont perdu le droit de vote parce qu’ils ont déménagé ou ont une amende impayée », explique Jamal Carter, travailleur social à Houston. Ces sessions incluent également des simulations de scrutin, pour familiariser les nouveaux électeurs avec les machines à voter dont ils ne connaissent pas le fonctionnement.
L’assistance juridique : un rempart contre les expulsions
Avec le retour des expulsions massives, les travailleurs sociaux collaborent étroitement avec des associations comme l’ACLU (American Civil Liberties Union) ou RAICES. Leur rôle : identifier les familles menacées, les orienter vers des avocats spécialisés et documenter les abus policiers. Car le signal donnée aux forces de l’ordre est sans équivoque.
À San Diego, un programme pilote forme les assistantes sociales à reconnaître les mandats d’arrêt irréguliers. Elles accompagnent les parents lors des contrôles d’identité de mineurs. « Nous avons évité l’expulsion de 47 familles en six mois rien qu’en contestant des erreurs administratives », se félicite Maria Gonzalez, coordinatrice du projet.
La NASW en première ligne : lobbying et alliances stratégiques
L’association professionnelle, forte de ses 120.000 membres, a intensifié son plaidoyer auprès du Congrès. Elle diffuse de courtes vidéos pour donner des consignes aux professionnels. Celle-ci intitulée « Don’t panic » apporte 5 conseils :
- Appelez vos représentants – Informez-les que les travailleurs sociaux s’opposent fermement à la loi SAVE.
- Sensibilisez les usagers et vos communautés – De nombreuses personnes ne savent pas quel impact ce projet de loi pourrait avoir sur leur droit de vote. Organisez des discussions, partagez des ressources et donnez aux autres la possibilité de s’exprimer.
- Rejoignez les efforts de plaidoyer de la NASW – Restez informés de nos mises à jour politiques et de nos alertes d’action. Nous avons besoin que les travailleurs sociaux appellent, écrivent et rencontrent les législateurs pour riposter.
- Utilisez vos plateformes – Rédigez des éditoriaux, prenez la parole lors de réunions et publiez sur les réseaux sociaux en utilisant des hashtags tels que #ProtectTheVote #SocialWorkersForDemocracy #NASW.
- Inscrivez et mobilisez les électeurs – Si nous voulons de meilleures politiques, nous avons besoin de meilleurs décideurs. Impliquez-vous dans les campagnes d’inscription des électeurs, en particulier dans les communautés les plus touchées par les tactiques de répression.
Un éthique professionnelle en temps de crise
Les travailleurs sociaux américains s’appuient sur leur code de déontologie — notamment son article 6 sur « la justice sociale et le droit à la participation politique » — Cet article justifie pour un engagement clair et sans ambiguités. Ce texte, révisé en 2024, inclut désormais une clause spécifique sur la résistance aux lois discriminatoires.
« Notre devoir n’est pas de nous conformer, mais de protéger, » affirme La NASW. L’association cite en exemple les travailleurs sociaux des années 1960 qui ont hébergé des militants des droits civiques malgré les lois ségrégationnistes.
L’enjeu démocratique d’une profession en résistance
Les travailleurs sociaux américains incarnent aujourd’hui une ligne de front éthique contre la dérive autoritaire. Leur combat dépasse la simple défense professionnelle : il questionne la capacité d’une société à protéger ses membres les plus fragiles.
Comme le rappelle Ja’Bree Harris responsable du plaidoyer de la NASW : « En 1965, nos aînés marchaient à Selma pour le droit de vote. En 2025, nous nous battons pour que ce droit ne devienne pas un privilège de classe ». Dans cette lutte, chaque dossier accompagné, chaque électeur inscrit, chaque famille protégée devient un acte de résistance — preuve qu’une démocratie vivace se nourrit aussi de l’engagement opiniâtre de celles et ceux qui croient en sa promesse d’égalité.
Source :
- NASW responds to Trump Administration Executive Orders | NASW
- Travail social aux États-Unis : « Nous allons faire face ensemble, sans céder à la peur » | Le média Social
Photos dans le texte : NASW

5 réponses
Je comprends ta réflexion, mais je pense que c’est un peu réducteur de présenter les travailleurs sociaux uniquement comme des « techniciens » de l’intervention sociale. Certes, il peut arriver que l’aspect plus global des politiques économiques et sociales semble moins abordé au quotidien, mais cela ne signifie pas pour autant que les travailleurs sociaux ne s’intéressent pas à l’impact collectif de leur travail.
Les travailleurs sociaux, souvent confrontés à la réalité de terrain, sont avant tout des professionnels qui cherchent à répondre aux besoins immédiats des personnes qu’ils accompagnent. Ils sont dans une logique de soutien individuel, car c’est ce qui est le plus accessible à court terme et qui permet d’améliorer concrètement la situation des personnes. Cela ne veut pas dire qu’ils ignorent les enjeux collectifs. Beaucoup d’entre eux œuvrent au sein d’associations ou d’organismes qui visent à faire évoluer les politiques publiques et à sensibiliser aux inégalités sociales. Ils se battent aussi pour des réformes, même si ça ne se traduit pas toujours par des actions visibles ou spectaculaires dans leur travail quotidien.
Très inspirant !! Cela redonne espoir et courage ! Nos métiers, au delà des continents, ont une réelle vocation et un réel impact !
Pas sûr qu’en France la réponse serait la même. Les travailleurs sociaux que je côtoie sont devenus des techniciens de l’intervention sociale peu désireux je trouve d’agir sur les effets globaux des politiques économiques et sociales. Ils travaillent au changement des individus sans penser ou croire possible d’agir collectivement.
Merci infiniment pour cet article que je vais m’empresser de diffuser à mes collègues travailleurs sociaux et qui renvoie à de précédents articles lus sur votre blog (que je lis régulièrement avec beaucoup d’intérêt et de plaisir) : le travailleur social est aussi un acteur de la transformation social et pas seulement un gestionnaire des flux.
Merci encore.