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La lettre de Mathieu Klein, Président du Haut Conseil du Travail social à la première ministre Élisabeth Borne

Le président du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) a récemment adressé un courrier à la première ministre.  Voici l’essentiel de son argumentaire que je trouve personnellement bienvenu au regard de l’actualité de notre secteur et en cohérence avec certaines réalités de terrain. J’ai ajouté des intertitres afin de faciliter la lecture de ce texte de 4 pages.

« …/… je m’adresse à vous au nom des membres du Haut conseil du travail social, au nom des 1,3 million de travailleurs sociaux, dont 90% sont des femmes, mais aussi au nom des aidants et des personnes concernées ». …/… « Cette adresse se situe à un moment de perte d’attractivité particulièrement intense des professions du social et du médico-social, qui se traduit par des difficultés majeures de recrutement dans tous les secteurs et par une crise de vocation des jeunes générations qui se détournent des écoles de formation. Cette situation, en partie liée à des problématiques sociétales plus larges dans le rapport au travail, révèle les transformations spécifiques et profondes, déjà largement documentées, des métiers de la solidarité. …/…

« Le secteur est caractérisé par une forte capacité d’adaptation de ses professionnels et une insuffisante capacité d’anticipation de ses organisations. À titre d’exemple, entre 2013 et 2018, on constatait une diminution de 12% du nombre d’assistantes maternelles ou d’assistantes familiales. Les mesures correctives pour limiter cette érosion n’ont pas été prises. Malgré des améliorations récentes, les rémunérations ne sont toujours pas à la hauteur ; pour prendre un seul exemple, la rémunération des auxiliaires de vie est de 1170 € net (à temps plein). Elle aura 390 € de plus à la fin de sa carrière et trop souvent le temps partiel subi ramène le salaire à 900€ » .

Le président du Haut Conseil fait ensuite référence aux 2 rapports qui ont déjà établi des constats : « le livre vert du travail social » et « le travail social au défi de la crise sanitaire » …/… Dans le prolongement de l’ensemble de ces commandes gouvernementales, le Haut conseil doit réaliser un « Livre blanc » qui aura pour ambition de faire des recommandations stratégiques et opérationnelles. Ce document doit être remis à la première ministre à l’été 2023″.

Encore un nouveau rapport ?

« Il existe une inquiétude des parties prenantes du Haut conseil que ce livre blanc, soit un nouveau rapport qui s’ajoute aux rapports existants » précise Mathieu Klein. « Il serait le signe de l’érosion du niveau de confiance, sans doute à l’image de la relation entre les citoyens et les institutions. Ce sentiment est renforcé par une mise en concurrence des acteurs engendrée par la démultiplication des appels à projets, au risque d’une marchandisation de l’offre, alors que nos concitoyens attendent d’abord des coopérations renforcées afin de produire un service de qualité au meilleur coût. Or, remettre cette confiance en mouvement est essentiel » …/… « Cette société de défiance se traduit aussi à travers le regard parfois négatif qui est porté sur les politiques de solidarités, dès lors que celles-ci sont réduites à des coûts financiers » .

Mathieu Klein indique ensuite que la politique d’action sociale « doit se traduire par des actes à court terme afin que la fuite ou la désespérance des professionnels ne devienne pas structurelle. « Les avancées sur le pouvoir d’achat et le déblocage du point d’indice dans la fonction publique, l’ouverture de négociations dans la fonction publique qui devraient s’étendre au secteur conventionnel constituent des premiers pas ». « La mise en œuvre du Ségur de la santé et son extension partielle au secteur social et médico-social constitue un exemple emblématique qui nourrit cette perte de confiance ». Il faut écrit-il, ouvrir rapidement des négociations pour que l’on arrête de compter « les oubliés des oubliés du Ségur ». Cette remise en mouvement du dialogue apparait indispensable pour retrouver de la crédibilité.

Où est la confiance ?

Le manque de confiance dans les personnes accompagnées, mais aussi dans les professionnels chargés de l’accès aux droits entraîne des mécanismes de contrôle qui sont particulièrement chronophages pour tous. Mathieu Klein fait référence à « cette bureaucratisation, ancienne et continue, [qui] a éloigné  le travail social de l’accompagnement, son cœur de métier. Ces situations engendrent des risques psychosociaux, des conflits éthiques et de la souffrance au travail. Souvenons-nous qu’en 2015, dans le cadre des États généraux du travail social, le rapport sur le développement social et le travail social collectif appelait à un choc de simplification ». (Choc de simplification que l’on attend encore)

Faut-il une discipline universitaire « travail social – intervention sociale » ?

Face à la crise au sein du système de formation, le président du HCTS considère que la qualification des personnes passe aujourd’hui trop exclusivement par les diplômes d’État. De façon complémentaire, il devient « essentiel de reconnaître les parcours d’expériences, complétés par des formations pour accompagner l’accès à l’emploi. Il fait référence à la co-formation, la pair-aidance, l’apprentissage, les savoirs expérientiels à l’intégration au système européen des formations (filière complète licence-master-doctorat) qui doit devenir une priorité ».

Dans cette perspective, le débat sur la création d’une discipline académique « travail social/intervention sociale » dans le champ des sciences humaines et sociales doit être opportunément consolidé. Il s’agit de pouvoir évaluer de façon concrète la pertinence, le périmètre et la faisabilité, d’une telle création et trancher sur cette question. Il est rappelé aussi que de nombreux pays européens l’ont déjà fait.

Comment sera organisé le futur « Livre Blanc du Travail social » ?

Dans sa lettre Mathieu Klein présente la feuille de route qu’il préconise. Le livre blanc s’appuiera notamment sur la contribution des comités locaux du travail social et du développement social, réseau qui doit être organisé et soutenu. Ce document aura pour objectif de proposer des recommandations opérationnelles articulées autour de 3 ateliers stratégiques, avec des moyens nécessaires dédiés (la précision est importante)

  • Un  atelier prospective : Investir pour prévenir et anticiper : quel service social, quels métiers dans 10 ans ?
  • Un atelier simplification pour que l’accompagnement redevienne le cœur de métier
  • Un atelier des métiers et de la formation pour mieux reconnaitre les compétences et favoriser la fluidité des parcours professionnels

 

Elisabeth Borne invitée à se positionner

Mathieu Klein suggère une intervention de sa part en direction de l’ensemble des professionnels. II s’agit, écrit-il « d’une attente forte concernant le projet politique et le sens du travail social pour aujourd’hui et pour demain. Un document d’orientation mettrait en valeur les attentes de la société, des gouvernants nationaux et locaux par rapport au travail social.  Il proposerait des axes de mobilisation pour accompagner les professionnels dans les réponses aux enjeux des grandes transitions actuelles : écologique, numérique, démographique et démocratique ».

« Il pourrait identifier les leviers du pouvoir d’agir pour libérer l’initiative afin que le travail social retrouve son cœur de métier. Il serait question de la reconnaissance de ces professionnels de la vie quotidienne, qu’elle soit financière ou qu’elle concerne leur utilité sociale. Sa force serait plus grande si elle était signée avec les associations d’élus. Le Haut conseil pourrait être mobilisé pour sa co-construction.

Les travailleurs sociaux, les personnes accompagnées et tous les acteurs concernés attendent beaucoup de votre action, conclut Mathieu Klein. Le Haut conseil du travail social sera dans ce cadre une force de proposition vigilante et constructive.

 

Photo : Mathieu Klein en 2019 (Wikipedia) Vrs54000Travail personnel CC BY-SA 4.0

 

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