Vers une nouvelle approche du travail social communautaire face aux défis sociaux posés dans les quartiers « sensibles »

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Le contexte actuel est marqué par des tensions sociales et des défis d’intégration notamment dans les quartiers dits sensibles qui relèvent de la politique de la ville.  Pour y répondre, Jean-Claude Sommaire, ancien sous-directeur du Développement Social, de la Famille, et de l’Enfance au Ministère des Affaires Sociales, souligne l’urgence d’adopter une approche communautaire dans le travail social. Cette nécessité émerge suite aux récentes émeutes en France, qui ont mis en lumière une « surdélinquance » des jeunes issus de l’immigration. Jean-Claude Sommaire insiste sur la nécessité actuelle de bien distinguer cette approche du communautarisme, affirmant qu’elle peut coexister avec l’universalisme républicain. Cette démarche requiert un changement dans la relation entre les travailleurs sociaux et les familles, visant à renforcer leur capacité d’action.

Mais qu’est-ce que le travail social communautaire ?

C’est le parent pauvre des pratiques sociales collectives. En France, le mot communauté n’est pas très apprécié. Il est tout de suite associé au terme de communautarisme qui laisse supposer que les communautés s’opposent à l’unité républicaine et ses valeurs. C’est bien dommage. Dans les pays anglo-saxons le travail social auprès des communautés et particulièrement développée, nous avons préféré dans notre pays, utiliser le terme de développement social voir développement social local pour intégrer cette dimension.

C’est pourquoi il est toujours utile de préciser ce que représente une communauté : c’est un groupe de personnes liées par des caractéristiques, des intérêts ou des valeurs communes, et qui partagent un sentiment d’appartenance et d’interaction. Ce concept est flexible et s’adapte aux nombreux contextes dans lesquels il est utilisé.

La notion de communauté est riche et diversifiée dans notre pays. Elle reflète la complexité et la pluralité de la société française. Voici quelques exemples de communautés qui illustrent cette diversité :

  • Les communautés culturelles et ethniques : La France est un pays multiculturel avec une histoire longue et variée d’immigration quoi qu’en disent ceux qui veulent fermer les frontières. Cela a conduit à la formation de communautés culturelles et ethniques distinctes, telles que les communautés maghrébines, asiatiques, africaines subsahariennes, et antillaises. Ces communautés sont souvent centrées autour de la préservation de la culture, de la langue, et des traditions de leur pays d’origine.
  • Les communautés religieuses : notre pays abrite des communautés religieuses très diverses. Que l’on soit  catholique, musulman, juif, protestant, et aussi bouddhiste chacune de ces religions a ses propres lieux de culte, traditions, et organisations. On pourrait même dire qu’il existe des « sous-communautés » au sein de chaque religion.
  • Les communautés régionales et locales : nos régions, comme la Bretagne, l’Alsace, la Corse,  la Provence, le pays Basque, le Béarn etc.  ont des identités culturelles fortes, avec des langues, des traditions, et des cuisines distinctes. Beaucoup d’habitants de ces régions se sentent fortement liés à leur communauté régionale. et c’est très bien ainsi !
  • Les communautés LGBT+ :  active et militante elle est composée d’organisations qui mettent en lumière leurs différences avec des événements dédiés, comme la Marche des Fiertés (Pride Parade) dans différentes villes. Cette communauté lutte pour les droits, la reconnaissance, et l’acceptation des orientations sexuelles et de genre de chacun.
  • Il y a aussi des communautés d’intérêt : elles sont basées sur des intérêts partagés, comme les groupes sportifs, les clubs de loisirs, les associations artistiques, et les groupes environnementaux. Ces communautés rassemblent des personnes autour de passions ou de causes communes.
  • N’oublions pas non plus  les communautés virtuelles : Avec l’essor d’Internet, nombre d’entre-elles  se sont formées en France, rassemblant des personnes autour de sujets variés comme la technologie, les jeux vidéo, la littérature, ou la politique.
  • Et puis il y a aussi les communautés « administratives » : les communautés de communes, les agglomérations, les « pays », voilà autant de structures qui administrent nos territoires dans une logique communautaire en considérant l’ensemble de ses habitants.

 

Ces exemples montrent la diversité des communautés en France. chacune possède ses propres caractéristiques et dynamiques. Elles jouent un rôle important dans la vie sociale, culturelle, et politique du pays. Alors, quand on mesure ce qu’elles représentent, on peu se poser une question : Pourquoi le travail social dit « communautaire » n’est pas plus développé dans notre pays ? Une autre question à se poser porte sur ce que recouvre l’approche communautaire en travail social.

Cette approche se concentre sur l’amélioration des conditions de vie et le renforcement des capacités des communautés, plutôt que sur l’assistance individuelle. Cette méthode vise à mobiliser les ressources d’une communauté afin de résoudre des problèmes collectifs. Elle  encourage la participation active de ses membres dans un processus de développement. Elle contribue aussi à renforcer les liens sociaux et le soutien mutuel dans une logique de conscientisation. Cette approche reconnaît que de nombreux problèmes sociaux ne sont pas seulement des problèmes individuels. Ils sont également liés à des facteurs sociaux, économiques et culturels plus larges.

Une crise de civilisation ? Pas vraiment

Revenons maintenant à ce que nous dit Jean Claude Sommaire dans son article . Il nous rappelle que le  contexte actuel est décrit comme une « crise de civilisation » par le Président de la République. Celui-ci  a observé que la majorité des jeunes impliqués dans les violences urbaines récentes proviennent de milieux défavorisés. Effectivement, cette situation n’est pas nouvelle. Déjà en 2018, Jean-Louis Borloo, dans son rapport et son ouvrage « L’Alarme », avait mis en garde contre les conséquences de l’ignorance des difficultés des quartiers sensibles.

Les émeutes de fin juin et début juillet ont démontré que la situation pouvait « mal finir ». Le bilan matériel et humain plus lourd que celui des émeutes de 2005. Ces événements soulignent la nécessité d’une prévention sociale ciblée et d’une réflexion sur les causes profondes de cette violence. Un collectif d’acteurs sociaux, avait déjà analysé les émeutes de 2005, soulignant le défi de faire société avec les descendants des anciennes colonies. Cette analyse reste pertinente aujourd’hui, tout comme cet appel relayé par l’ANAS et initié par un groupe de responsables et militants engagés dans le développement social.

Il faut soutenir les familles : la sanction est contre-productive

Notre pays doit reconnaître l’échec de son modèle d’intégration traditionnel face à des populations majoritairement issues de l’immigration extra-européenne. Le Président de la République a souligné la nécessité de sortir des hypocrisies françaises concernant l’école et l’immigration. Olivier Galland, sociologue de la jeunesse, avait déjà mis en évidence en 2017 les problèmes structurels affectant les jeunes issus de l’immigration dans les quartiers sensibles. C’est un mélange de discriminations, de défaut d’intégration, et de malaise identitaire. Pour répondre à cette réalité, une approche sociale adaptée est nécessaire, comme le souligne cet article d »Olivier Galland ici.

Il est crucial de soutenir spécifiquement les familles issues de l’immigration en réponse  à la délinquance des mineurs identifiée lors des récentes émeutes. Hugues Lagrange, dans son ouvrage « Le déni des cultures », avait déjà souligné la nécessité d’un soutien spécifique pour ces familles. Pour prévenir de nouvelles émeutes, il est essentiel de développer le travail social communautaire, une approche largement ignorée en France. Cette forme d’intervention sociale, plus locale et collective, est défendue par Hélène Strohl, Inspectrice générale honoraire des affaires sociales, et a été mise en œuvre par l’association Sœur Emmanuelle (ASMAE) dans son programme « Divers Cité ». Le journaliste Luc Bronner avait également suggéré un changement de stratégie dans son ouvrage « La loi du ghetto », en se référant à l’empowerment pratiqué aux États-Unis.

Perdons-nous la mémoire ?

Il est aussi nécessaire de rappeler que le Conseil Supérieur du Travail social (CSTS) avait recommandé le développement du travail social communautaire. Il avait produit un avis argumenté de 2015, soulignant la nécessité de créer un environnement institutionnel favorable. Cette recommandation a été validée par les résultats d’une recherche action menée par le Séminaire pour la promotion de l’intervention sociale communautaire (SPISC), qui a démontré l’efficacité des démarches collectives dans le traitement des problèmes sociaux. Pour en savoir plus sur cette recherche, consultez ce document. J’avais pour ma part contribué aux échanges au cours d’une table ronde organisée par le CSTS.

En conclusion, il est urgent d’aborder la place et le rôle des adolescents dans les quartiers sensibles. Il est nécessaire de restaurer l’autorité des parents et de créer des collectifs d’entraide pour lutter contre les dysfonctionnements familiaux. Les Départements et l’État devraient lancer des appels à projet pour restaurer l’autorité parentale dans les quartiers sensibles, en s’appuyant sur l’expérience des « pacificateurs indigènes » locaux, comme le suggère cet article de Manuel Boucher. Ces démarches devraient explicitement se référer au développement communautaire pour être efficaces. Bref il y a du pain sur la planche si l’on veut éviter de nouvelles stigmatisations avec tous les risques qu’elles provoquent.

 


Note : je me rends compte que j’ai beaucoup paraphrasé ce texte de Jean-Claude Sommaire qui s’intitule « Promouvoir le Travail Social Communautaire pour faciliter l’intégration des jeunes générations issues de nos immigrations post coloniales ». Merci à lui pour ce travail de clarification !

 

Photo : Freepik

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2 Responses

  1. Non, le travail communautaire n’est pas la solution, c’est au contraire céder aux sirènes du renoncement à ce qui a fait la qualité et tout l’intérêt de la conception française du travail social. Cette orientation du travail social se transformant en travail communautaire prolonge justement ce qui nous amené à ces problèmes, le fait que ceux qui nous gouvernent disent y défendre les principes républicaines et font de plus en plus dans le clientélisme communautaire et les quotas ethniques, font reculer le rôle de l’Etat jusqu’à son effacement pour laisser toute latitude à la mondialisation libérale, qui pousse aux replis identitaires. La chance de vivre en France est justement de ne pas tomber dans les pièges du multiculturalisme, qui privatise les droits et libertés individuels en soumettant les individus à des logiques de clan, ce qui est un échec cuisant pour l’intégration citoyenne. Comme cela est largement démontré et d’ailleurs reconnu, que ce soit pour la société britannique ou allemande. Ne parlons pas des Etats-Unis où cela a scellé le cimetière de la gauche. Il est toujours extraordinaire de voir comment, on va chercher comme réponse aux problèmes de la dissolution de la souveraineté du peuple qui est à la source de sa liberté, des modèles anglo-saxons qui sont le pur produit du capitalisme débridé et de la mondialisation libérale. Le travail social en France s’appuie sur un Etat providence (des droits économiques et sociaux) qui est le fruit de luttes politiques et sociales qui n’auraient jamais vu le jour si nous vivions sur le mode des communautés. C’est le peuple avec des organisations favorisant son expression qui l’ont permis, avec une certaine « conscience de classe » permettant d’en unir les forces autour d’un intérêt commun. Vouloir introduire sous le vocable sympathique de « travail communautaire » ce mode d’action dans le travail social, c’est tout simplement le mettre au service du système en ayant l’illusion d’y résister. On sait ce qu’est le community organizing, des représentants chacun selon son groupe et sa différence, sa religion, sa couleur, son sexe, etc., quelle horreur ! C’est la racialisation du travail social pour ne pas dire un racisme inversé. De plus, c’est aussi diviser les forces sociales qui sont seules susceptibles, en rassemblant les individus sur les mêmes valeurs et principes citoyens, de déjouer la casse de nos acquis communs. C’est la fin de toute perspective de transformation sociale et de l’universalisme. C’est l’assassinat en règle de la République laïque et sociale. Sans moi ! Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur et enseignant.

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