RSA : Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale refuse la punition des pauvres

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Vous le savez, la réforme du Revenu de Solidarité Active (RSA), portée par la loi pour le plein emploi, introduit un régime de sanctions inédit qui suscite une vive inquiétude parmi les acteurs du social. Au cœur de cette contestation, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) vient de rendre public un avis argumenté. Il dénonce les risques d’exclusion, les risques accrus d’inégalités. C’est une véritable rupture du contrat social que fait peser ce nouveau dispositif sur les allocataires les plus fragiles. Cet article propose une analyse approfondie de cet avis, des arguments avancés, et interroge la place du travail social face à une réforme qui bouleverse l’équilibre entre droits et obligations.

Un tournant punitif dans la politique d’insertion

La réforme du RSA, désormais conditionné à l’accomplissement de quinze heures d’activité hebdomadaire et à la signature d’un contrat d’engagement, s’accompagne d’un durcissement sans précédent des sanctions. Les allocataires qui ne respecteraient pas ces obligations s’exposent à une suppression partielle ou totale de leur allocation, dès le premier manquement, pour une durée pouvant atteindre deux mois, voire quatre en cas de récidive. Le barème prévoit des suppressions allant de 30 à 100 % du RSA, avec un plafond de 50 % pour les foyers composés de plusieurs personnes8.

Pour le gouvernement, il s’agit de renforcer l’accompagnement vers l’emploi et de responsabiliser les bénéficiaires. Mais pour le CNLE, cette logique punitive risque de produire l’effet inverse : « L’application du décret sur les sanctions fait courir le risque d’une imposition unilatérale des règles de l’administration aux allocataires », souligne le Conseil dans son avis paru le 9 mai dernier.

Un déséquilibre entre solidarité nationale et responsabilisation individuelle

CNLELe CNLE rappelle que le RSA est avant tout un droit social, conçu comme un filet de sécurité pour garantir à chacun des moyens convenables d’existence. Cela conformément au préambule de la Constitution de 1946. Or, la réforme opère un glissement dangereux : elle fait peser sur l’individu la responsabilité de son exclusion, tout en minorant les facteurs structurels – chômage de masse, précarité, problèmes de santé ou d’accès aux droits – qui conditionnent l’accès à l’emploi.

Ce renversement de norme ou si vous préférez de logique rompt avec l’esprit du contrat d’insertion qui prévalait lors de la création du RMI, ancêtre du RSA. Le passage du Contrat d’engagements réciproques (CER) au Contrat d’engagement (CE) illustre cette rupture : « Il s’agit d’un déséquilibre plus radical, qui affaiblit l’accès aux droits des publics visés en multipliant les sanctions, rendues plus aisées par l’absence de protections encadrant actuellement les sanctions », analyse le CNLE.

Des sanctions contre-productives et inéquitables

L’une des critiques majeures formulées par le CNLE porte sur le barème des sanctions. Il l’estime « contre-productif au regard du principe de garantie de moyens convenables d’existence ». Réduire une allocation déjà insuffisante pour vivre dignement, c’est précipiter des personnes en situation de survie dans une précarité encore plus grande. Comme le rappelle un membre du 5e collège du CNLE : « En bénéficiant du RSA nous sommes déjà au bord du gouffre et tout ce que nous avons comme réponse, c’est de nous y pousser davantage. Avec la mise en place des sanctions, nous risquons de perdre notre appartement, de ne plus pouvoir manger, etc. »..

L’expérience montre que ce type de mesures aggrave la détresse sociale. Il provoque des ruptures dans l’accès au logement, à la santé et à l’alimentation. Encore plus grave, il génère un sentiment d’humiliation et d’abandon. Les travailleurs sociaux, en première ligne, sont témoins de la complexité accrue de l’accompagnement. Ils sont épuisé car ils font face à une multiplication des situations d’urgence. Avec ces sanctions les urgences vont devenir de plus en plus pressantes. C’est une évidence.

L’illusion d’un alignement avec les demandeurs d’emploi

Le projet de décret tend à aligner le régime des allocataires du RSA sur celui des demandeurs d’emploi inscrits à France Travail. Il généralise les mêmes obligations et sanctions. Cette assimilation est dénoncée par le CNLE : cet alignement ignore la diversité des situations, les fragilités spécifiques (santé, isolement, difficultés psychologiques) et les obstacles à l’insertion que rencontrent nombre de bénéficiaires du RSA.

Imposer des obligations identiques revient à nier la réalité de parcours de vie souvent marqués par la précarité, la maladie ou l’exclusion. Cette uniformisation va fatalement produire une augmentation des non-recours aux droits et fragiliser davantage les plus vulnérables.  Transférer sur eux la responsabilité d’un échec collectif à garantir l’accès à l’emploi est un atteinte à leur  dignité. Responsables et coupables à la fois.

Des effets pervers déjà documentés

Les premières expérimentations du RSA conditionné, menées dans plusieurs départements, apportent un éclairage édifiant sur les conséquences de la réforme. Selon une analyse indépendante, les territoires ayant appliqué une forme de souplesse et privilégié l’accompagnement social ont obtenu de meilleurs résultats en termes d’insertion que ceux ayant opté pour un encadrement strict et des sanctions.

La Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) a ainsi établi que quatre mois après une suspension du RSA, 47 % des foyers sanctionnés ne bénéficient plus du droit au RSA. Un an après, 24 % ne touchent plus aucune prestation de la CAF, signe d’un décrochage massif et durable. Ces chiffres confirment le lien direct entre sanction et non-recours. La répression ne permet pas de lutter contre la pauvreté. Tout simplement.

Un accompagnement social fragilisé, des professionnels sous pression

La réforme recentre l’accompagnement sur le retour à l’emploi, au détriment d’une approche globale de l’insertion. Le CNLE alerte sur la situation des travailleurs sociaux, dont le rôle est pourtant essentiel pour soutenir les personnes dans la complexité de leurs parcours. Dans certains départements, les subventions aux acteurs de l’insertion par la culture, le logement ou la santé ont déjà été réduites, au profit d’un accompagnement centré sur l’employabilité.

Cette logique menace la qualité de l’accompagnement. Elle accroît la pression sur les professionnels, et risque de générer une forme de maltraitance institutionnelle, tant pour les allocataires que pour les agents eux-mêmes, confrontés à une perte de sens et à une usure professionnelle accrue.

Des garanties insuffisantes

Le CNLE pointe également de graves lacunes dans les modalités d’information et de recours prévues par le décret. Les sanctions sont désormais plus rapides, plus systématiques, mais les voies de recours sont restreintes : le délai passe de 30 à 10 jours. Cela ne laisse guère le temps aux personnes concernées de comprendre la procédure ou de se faire accompagner par un travailleur social ou une association.

L’absence de communication claire (téléphone, accueil physique, internet) multiplie les risques de radiation pour des motifs administratifs ou de non-compréhension des obligations. Le CNLE recommande de renforcer l’information, d’étendre le délai de recours à 30 jours, et d’instaurer un premier niveau de sanction pédagogique (convocation et rappel aux obligations), avant toute suspension financière.

Un moratoire pour préserver les droits fondamentaux

Le CNLE renouvelle sa demande d’un moratoire sur la mise en œuvre du décret Face à l’ampleur des risques identifiés. Il s’agit de garantir que personne ne puisse rester sans revenu , sans droit ni recours, conformément à l’exigence constitutionnelle d’universalité de la protection sociale.

Le Conseil appelle à sanctuariser un revenu plancher, à revaloriser le RSA, et à repenser l’accompagnement dans une logique respectueuse des aspirations et des libertés des personnes. Il invite à un débat de société sur le modèle de solidarité que nous souhaitons promouvoir : « La lutte contre la pauvreté concerne toute la société et s’inscrit dans l’objectif d’universalité de la protection sociale, à laquelle les dispositions du décret contreviennent manifestement ».

Le travail social, rempart contre l’exclusion

Dans ce contexte, la mobilisation des travailleurs sociaux apparaît plus nécessaire que jamais. Leur expertise, leur engagement et leur capacité à créer du lien sont des atouts précieux pour accompagner les personnes en difficulté, prévenir les ruptures de droits et défendre une approche humaniste de l’insertion. Or tout est pensé comme si leur travail n’existait pas.

Leur action se heurte à des contraintes croissantes : surcharge administrative, manque de moyens, injonctions contradictoires entre contrôle et accompagnement. Nombreux sont ceux qui alertent sur le risque de voir leur mission dévoyée, réduite à une logique de gestion des sanctions au détriment du soutien, de l’écoute et de l’émancipation.

En outre, il ne faut pas s’illusionner. Ces décisions de sanctions seront pilotées par des algorithmes et le recours à l’intelligence artificielle est déormais priorisé. France Travail expérimente des outils permettant des « accompagnements » automatisés qui n’ont rien à voir avec l’accompagnement réalisé par un travailleur social.

Pour une politique de l’insertion fondée sur la confiance et la dignité

L’avis du CNLE est aussi un appel à la réflexion et à l’action collective. Il invite à repenser la politique d’insertion non pas comme une suite d’obligations et de sanctions, mais comme un accompagnement global, respectueux des personnes et de leurs parcours. Il rappelle que la pauvreté n’est pas un choix, mais le résultat de défaillances structurelles auxquelles il appartient à la société tout entière de répondre.

En valorisant le travail social et en défendant les droits des allocataires, le CNLE porte une voix indispensable dans le débat public. Il nous interpelle sur notre responsabilité collective à garantir à chacun les moyens de vivre dignement, et à refuser une politique qui, sous couvert d’efficacité, risque d’accentuer l’exclusion et la stigmatisation des plus vulnérables.

« Si je n’avais pas eu ma famille pour me soutenir, j’aurais mis fin à mes jours, car c’était trop humiliant et je n’avais pas la force de trouver un quelconque travail : j’étais épuisée de devoir courir partout pour trouver une solution à cette situation », témoigne une allocataire du RSA, citée par le CNLE.

Nous allons tout droit vers une maltraitance institutionnelle généralisée à l’encontre des personnes qui vivent la grande pauvreté. ATD Quart Monde en a fait une campagne de sensibilisation. L’association en a fait une campagne et a développé un plaidoyer que je vous invite à découvrir ici. Vous pouvez aussi signer une pétition qui s’intitule « Imagine-t-on sanctionner financièrement une personne qui ne dispose que de 636 euros par mois pour survivre ? »  Vous pouvez la signer ici.

Ce témoignage, comme tant d’autres, nous oblige à ne pas détourner le regard. Il nous rappelle que derrière chaque chiffre, chaque mesure et dossier, il y a des vies, des espoirs, des fragilités. Il appartient à chacun, professionnels de l’aide, décideurs, citoyens, de défendre une société qui ne laisse personne au bord du chemin.

Sources  :

 


Photo Dorieugene sur Depositphotos

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