Dans un contexte d’incertitudes politiques et de réelles difficultés pour le secteur social, le Haut Conseil du Travail Social (HCTS) a présenté sa nouvelle feuille de route pour la période 2024-2025. Cette initiative, annoncée le 27 juin dernier lors d’une assemblée plénière, est en quelque sorte un tournant qu’il est bon de connaitre. Cette nouvelle orientation s’inscrit dans la continuité des recommandations du Livre blanc du travail social, remis au gouvernement en décembre 2023 par Mathieu Klein, président du HCTS.
Une feuille de route en 6 points
Quatre groupes de travail ont d’ores et déjà débuté leur activité. Le premier se concentre sur l’articulation entre l’accès aux droits et l’accompagnement. Il s’agit là d’une question centrale, tant les travailleurs sociaux se trouvent souvent submergés par des tâches administratives au détriment du temps consacré à l’accompagnement des personnes. L’objectif est clair : proposer des solutions concrètes pour permettre aux professionnels de se recentrer sur leur cœur de métier.
Le deuxième groupe de travail adopte une approche prospective, se projetant à l’horizon 2030-2040. Cette démarche a pour volonté de mieux préparer le secteur aux évolutions futures et d’anticiper les besoins des personnes accompagnées comme ceux des professionnels. Elle doit élaborer des propositions concrètes pour investir dans l’avenir d’un travail social qui s’adapte aux évolutions sociales, mais aussi technologiques. Ce groupe, très actif en est déjà à sa deuxième enquête en ligne : vous êtes invités à la découvrir et à y répondre en cliquant sur ce lien. Vos réponses sont à transmettre avant le 2 septembre prochain.
Le troisième groupe, quant à lui, se penche sur l’évolution des organisations de travail. Dans un contexte de tensions sur le recrutement et la fidélisation des professionnels, ce groupe explorera les pratiques en matière de « marque employeur » et de management. Une attention particulière sera portée aux organisations intégrant les travailleurs pairs et les personnes accompagnées dans leur fonctionnement. C’est une façon de mettre en avant l’importance croissante de l’expertise des personnes accompagnées dans les pratiques de travail social.
Le quatrième groupe de travail se consacre à une mission tout autant nécessaire : renforcer la place du travail social dans le débat public. Il s’agit là d’un enjeu de taille, tant les pratiques des travailleurs sociaux souffrent d’un manque de reconnaissance et de visibilité. L’élaboration d’une stratégie de communication et d’un plaidoyer en faveur du travail social vise à affirmer son rôle essentiel dans les politiques de Solidarité.
Parallèlement à ces groupes de travail, la commission Éthique et Déontologie du HCTS se voit confier une mission d’envergure : l’élaboration d’un texte de référence commun à l’ensemble des professionnels du travail social et de l’intervention sociale. Ce document vise à apporter des repères éthiques et déontologiques à l’ensemble des professionnels du champ social et médico-social : Ce texte de références se veut par là-même, rassembleur et fédérateur). Il vise à :
- Garantir le respect, dans les pratiques professionnelles, des droits fondamentaux des personnes.
- Permettre aux professionnels du travail social de se référer à des repères clairement formalisés qui les soutiennent dans l’exercice de leurs pratiques.
- Renforcer la crédibilité et la légitimité des professionnels dans l’exercice de leurs pratiques, tant sur le plan de leurs droits que sur celui de leurs devoirs.
- Engager les employeurs à respecter un cadre référentiel garantissant le respect des missions des professionnels du travail social.
Enfin, la feuille de route prévoit une dimension internationale. Elle se traduira par la mise en place d’une cellule dédiée au sein du HCTS. Cette initiative permettra de nourrir les réflexions et les débats en s’inspirant des pratiques et des expériences d’autres pays.
Des enjeux importants
Malgré l’ambition de cette feuille de route, cohérente avec les travaux précédents, il convient de rester lucide sur ce qui attend le HCTS dans sa mise en œuvre. Le premier de ces défis sera sans doute celui de la traduction concrète des réflexions et des propositions en actions sur le terrain. Comment s’assurer que les recommandations formulées seront effectivement mises en œuvre et produiront les effets escomptés ?
En effet, le HCTS produit des avis, des recommandations, mais n’a qu’un pouvoir limité. Il dépend d’un ministère qui gère aujourd’hui les actions courantes sans aller plus loin. Par exemple, on voit mal comment les préconisations du Livre Blanc du travail social, très précis dans ce qu’il faut mettre en œuvre, seront prises en compte par le nouvel exécutif qui tarde à venir.
Le communiqué ne parle pas du groupe de suivi du Livre Blanc du travail social. Il devait s’assurer que ses recommandations trouvent une traduction opérationnelle au sein du gouvernement afin qu’il légifère ou réglemente certains aspects essentiels du rapport. Ce comité va-t-il disparaitre ? Il n’est pas question non plus dans le communiqué des avancées du futur Institut national du Travail social. Que devient-il ? Il aurait été intéressant que sa préfiguration et son devenir soient aussi abordés à l’occasion de cette communication.
La question de l’opérationnalité des travaux du HCTS est essentielle. Il en va non seulement de la crédibilité de l’instance, mais aussi de la réussite de sa feuille de route. Un autre défi majeur sera celui de l’adhésion de l’ensemble des acteurs du travail social à cette démarche, et notamment des employeurs. De nombreuses structures sont à la peine. Comment fédérer autour d’objectifs communs des professionnels qui se sentent démunis face à l’ampleur des difficultés rencontrées sur le terrain ? C’est un enjeu important.
Des travailleurs sociaux toujours en attente de reconnaissance
La reconnaissance de l’engagement et de l’utilité du travail social, abordée par le quatrième groupe de travail, est aussi un sujet majeur. Nous sommes dans un contexte où les métiers du social peinent à attirer et à fidéliser les professionnels. Il est en effet essentiel de revaloriser l’image du travail social et de mieux faire comprendre son rôle essentiel dans la cohésion sociale. Mais La reconnaissance ne se décrète pas.
Être reconnu dans son travail par la société signifie que les efforts, les compétences et les contributions des professionnels sont valorisés et appréciés par un large public, au-delà de son cercle professionnel immédiat. Cette reconnaissance se manifeste par le respect et l’estime que les gens montrent pour le travail accompli. À l’heure où on ne parle principalement que des échecs, (à l’image de l’enquête parlementaire sur les « manquements des politiques de protection de l’enfance »), qu’en est-il de nos réussites ? On en arriverait même à oublier, par exemple, dans le champ de la protection de l’enfance, qu’il y a des enfants « sauvés » et réellement protégés de parents ou d’un environnement toxique et dangereux. On ne parle jamais des jeunes qui s’en sont sortis et qui ont eu un véritable parcours de réussite grâce à l’ASE. Mais visiblement, aujourd’hui, cela ne semble pas intéresser le grand public.
La médiatisation accroit la visibilité et la notoriété de ce que font les travailleurs sociaux. Elle accroit aussi ce qui les disqualifie. Je ne suis pas certain que les travailleurs sociaux recherchent cette médiatisation, en quête d’images spectaculaires et d’émotions cathodiques. Ils recherchent plutôt une reconnaissance de leur travail à travers des montants de salaires à la hauteur de leurs engagements. Et cette reconnaissance là tarde bien à venir.
Comment faire valoir les impacts positifs et significatifs du travail social sur la société ? Contribuer à améliorer la vie des gens ou à résoudre des problèmes importants ne semble pas suffire. C’est bien là la difficulté. Pourtant, cette reconnaissance peut apporter une grande satisfaction personnelle, en renforçant le sentiment d’accomplissement et de valeur.
Mais aujourd’hui, c’est encore « l’assistance bashing » qui est à l’œuvre. Les politiques continuent de considérer l’assistance et l’aide sociale comme de l’assistanat. Le futur gouvernement, s’il intègre les propositions des « Républicains » de Laurent Wauquiez, continuera dans cette voie. On voit mal Renaissance inverser la tendance à un moment où ce parti s’inféode à un parti minoritaire qui met en avant la chasse aux allocataires des minima sociaux accusés d’être de potentiels fraudeurs et à minima des profiteurs. Or comment être reconnu quand on aide des personnes autant disqualifiées ?
Tout cela pour vous dire que ce groupe de travail a du pain sur la planche.
L’importance de l’éthique et de la déontologie
La mission confiée à la Commission éthique et déontologie du HCTS revêt une importance particulière. Dans un contexte de tensions sociales et de questionnements sur le rôle de l’État et des institutions, il est urgent de réaffirmer les valeurs fondamentales du travail social. Il sera utile de fournir aux professionnels des repères solides pour guider leurs actions.
L’élaboration d’un texte de référence commun à l’ensemble des professionnels du travail social et de l’intervention sociale est une initiative très ambitieuse. Elle aura pour qualité première de fédérer les différents métiers. Cela renforcera l’identité professionnelle des travailleurs sociaux. Leur rôle auprès du grand public et des décideurs politiques a besoin d’être clarifié.
Un cadre déontologique ou une déclaration sur les valeurs et la pratique éthique de l’ensemble des professionnel(le)s, sans retirer ce qui existe déjà, sera utile. Il le sera, surtout si c’est un texte opposable qui permet au professionnel(le)s d’y faire appel en cas de litiges. Or, aujourd’hui, de nombreuses chartes éthiques ne sont que des déclarations de principes qui ne modifient pas les pratiques.
Une ouverture nécessaire sur l’international
L’ouverture sur l’international prévue par la feuille de route est un serpent de mer. Le HCTS a tenté par le passé de développer une cellule internationale sans véritablement y parvenir. Ce n’est pas la volonté qui a manqué, mais plutôt le manque de moyens humains, de temps passé et d’espèces sonnantes et trébuchantes, car organiser des échanges internationaux mobilise des budgets. Il faut une ligne comptable pour cela, mais elle qui n’existe pas.
Dans le monde globalisé où nous vivons, les problématiques sociales dépassent souvent les frontières nationales. il est essentiel de s’enrichir des expériences menées dans d’autres pays. Cette dimension internationale permettra non seulement d’alimenter les réflexions du HCTS, mais aussi de positionner notre pays comme un acteur de la réflexion sur le travail social à l’échelle internationale. On en est très loin aujourd’hui, les instances internationales sont entièrement dominées par nos collègues anglo-saxons. Cela fait des années qu’il en est ainsi. Le travail à engager sur ce sujet est de longue haleine.
Sortir de l’entre-soi
En conclusion, cette nouvelle feuille de route du HCTS est cohérente, logique et nécessaire. Elle témoigne d’une volonté affirmée de repenser en profondeur les pratiques et l’organisation du secteur. Elle réaffirme ses valeurs fondamentales. Mais les défis à relever sont nombreux. Le premier sera la mise à l’épreuve de l’opérationnalité des textes qui seront produits. L’approche globale et participative adoptée par le HCTS n’est pas nouvelle et elle a fait ses preuves.
L’avenir du travail social qui se dessine à travers des orientations est pour l’instant limité. J’aimerais tant que le travail social devienne une vraie question de société dont se saisissent les citoyens « lambda » et les élus de tous bords (ou presque). Mais on en est loin. À l’heure où le terme de solidarité est de moins en moins employé et remplacé par le concept d’inclusion, je crains qu’une nouvelle fois nous restions bien seuls avec nos préoccupations et nos revendications. Il n’y a plus qu’à espérer que les faits démontreront le contraire.
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