Pourquoi les Français sont-ils si déprimés ? Une crise silencieuse de santé mentale

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En 2019, 11 % des Français âgés de 15 ans ou plus étaient touchés par un syndrome dépressif qui interroge la santé mentale de nos concitoyens. C’est que nous indique l’enquête European Health Interview Survey (EHIS) publiée ce mois-ci par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques). Cela fait de la France l’un des pays d’Europe de l’Ouest les plus concernés par cette problématique, avec des chiffres nettement supérieurs à ceux de ses voisins comme l’Allemagne (7 %) ou l’Irlande (5 %). Ce constat pousse à une réflexion approfondie : pourquoi la prévalence de la dépression est-elle si élevée en France, et quels enseignements pouvons-nous en tirer ?

Cette étude nous montre aussi les grandes disparités régionales et démographiques en Europe. Tandis que les pays du Nord affichent souvent des taux élevés pour les jeunes, la France se distingue par une prévalence forte à tous les âges, en particulier chez les seniors de plus de 70 ans, avec un taux de 16 %.

Comment définir la dépression ou du moins un état dépressif ?

Selon Santé publique France, la dépression est définie par le fait d’avoir vécu une période d’au moins deux semaines consécutives en se « sentant triste » ou en « ayant perdu intérêt pour la plupart des choses ». Elle se caractérise donc par une forme de tristesse ou une perte d’intérêt et de plaisir, associées à des sentiments de culpabilité et de dévalorisation de soi.  Le sommeil ou l’appétit sont perturbés. Le sujet fait état de problèmes de concentration mais peut aussi avoir des idées suicidaires. Ces symptômes sont intenses, durables et entraînent un retentissement important sur les activités et le fonctionnement des individus.

DREES depression en Europe

L’étude EHIS montre que plusieurs éléments façonnent les risques de dépression, et qu’ils varient selon les tranches d’âge. Chez les jeunes (15-24 ans), « l’inactivité » représente un facteur majeur. Le chômage ou l’absence d’emploi sont associés à une probabilité accrue de développer des symptômes dépressifs, en particulier en Europe de l’Ouest et du Nord. En France, 10 % des jeunes en souffrent, les femmes étant davantage impactées (10 % contre 8 % chez les hommes).

Pour les seniors, d’autres facteurs entrent en jeu. La perte d’un conjoint (veuvage), l’état de santé dégradé, et l’absence de soutien social contribuent fortement au risque de dépression. En France, 24 % des personnes âgées déclarent un mauvais état de santé, ce qui est lié à un taux élevé de dépression chez les plus de 70 ans. L’isolement social est ici un facteur évident : les personnes âgées bien entourées sont nettement moins exposées au risque dépressif.

Cette étude n’est pas sans biais

Les chiffres de la dépression peuvent varier selon les modes de collecte des données et les perceptions culturelles. En France, le sujet de la santé mentale est de plus en plus abordé publiquement, ce qui pourrait encourager des auto-déclarations plus nombreuses qu’ailleurs. À l’inverse, dans les pays d’Europe du Sud ou de l’Est, où le contexte culturel valorise souvent la résilience face aux épreuves, les taux de dépression déclarés sont parmi les plus bas d’Europe. On cache plus facilement que l’on va mal.

Il est aussi gênant de constater que le recueil de données a été différents selon les pays. Dans les pays de l’Est les personnes interrogées l’ont été en face à face avec un enquêteur venu sur place. En Europe de l’Ouest, notamment en France, c’était une enquête auto-administrée via un panel de questions posées via internet. Il est probable que les réponses soient différentes selon les modes de recueil.

Cependant, derrière ces différences de perception se cachent des réalités structurelles : les soutiens familiaux, la prise en charge des soins et les particularités du système de santé influencent directement le bien-être des individus. Les pays nordiques, bien que présentant des taux élevés de dépression chez les jeunes, mettent en place des systèmes de soins de longue durée plus étoffés pour leurs populations âgées. À l’opposé, les seniors français ou roumains, souvent confrontés à des lacunes dans les services de santé. Ils en paient un tribut élevé. On le voit actuellement dans les hôpitaux avec l’actuelle épidémie de grippe.

Les jeunes et les réseaux sociaux : un facteur émergent d’anxiété

Chez les jeunes, en particulier en Europe du Nord, l’utilisation croissante des technologies numériques et des réseaux sociaux pourrait être liée à la hausse des taux de dépression. Des études récentes montrent que ces réseaux exacerbent les comparaisons sociales. Ils amplifient les préoccupations des jeunes sur leur image corporelle. Il y a aussi une augmentation des risques de cyber-harcèlement. Ces phénomènes affectent particulièrement les filles, ce qui expliquerait une différence genrée dans les taux de dépression.

En France, les jeunes quittent généralement le foyer parental autour de 24 ans. Les réseaux sociaux ont un rôle ambivalent : ils permettent une connexion permanente avec les familles et les amis, mais ils renforcent tout autant une forme d’isolement émotionnel si le soutien hors ligne fait défaut.

Que faire pour réduire les impacts de la dépression ?

Faut-il rappeler que selon l’OMS la maladie mentale et les troubles psychiques touchent près d’1/5 de la population, soit 13 millions de Français ? Nous sommes les plus gros consommateurs de psychotropes du monde. Plus d’un quart des Français consomme des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères et autres médicaments psychotropes (données EPI-PHARE). La dépression est l’un des troubles les plus répandus puisque que selon les données de l’Inserm, elle concerne aujourd’hui environ 15 à 20 % de la population générale, sur la vie entière. Face à ces constats, plusieurs pistes restent possibles pour mieux prévenir la dépression et en limiter les effets :

1. Renforcer les soutiens sociaux et institutionnels : que ce soit pour les seniors ou les jeunes, l’entourage joue un rôle protecteur majeur. Il est essentiel de développer des initiatives locales visant à briser l’isolement, comme les cafés solidaires pour les personnes âgées ou les groupes d’entraide en ligne pour les jeunes.

2. Repenser le modèle de prise en charge de la santé mentale : La France, bien que pionnière en matière de soins psychiatriques, souffre d’un manque de psychiatres et d’une inégale répartition de l’offre sur le territoire. La psychiatrie publique en France est un système à bout de souffle. Un effort considérable devrait être consenti pour réduire ces disparités régionales et diversifier les approches, notamment en incluant des interventions précoces.

Les travailleurs sociaux rencontrent souvent des personnes déprimées et dont l’état peut être identifié comme dépressif. Pour autant, ils ne sont pas médecins et ne peuvent véritablement diagnostiquer ce qui est une maladie. Ils doivent être alertés sur certains signes. Cela peut leur permettre d’inviter ou d’inciter la personne à consulter rapidement afin qu’elle puisse mieux prendre soin d’elle. Cela concerne aussi les proches de personnes dépressives. Rappelons à ce sujet qu’il reste très difficile de vivre dans la durée auprès d’une personne qui est touchée par la dépression.

Un appel à des solutions

La dépression en France, et plus largement en Europe, est le reflet de problématiques qui où s’entremêlent les problèmes de santé, les inégalités sociales et culturelles. Si les chiffres de l’étude EHIS sont inquiétants, ils doivent surtout inciter à l’action. Loin d’être une fatalité, la dépression peut être combattue efficacement par des politiques publiques audacieuses, une approche de travail en réseau associant les familles, les travailleurs sociaux et les professionnels de santé. Une plus grande attention devrait aussi être portée aux populations vulnérables.

En tant que travailleurs sociaux, cadres ou directeurs d’établissements, nous avons tous un rôle à jouer. Par exemple, nous avons la nécessité de soutenir les aidants familiaux et les personnes qui vivent avec des personnes qui souffrent de dépression. Ils risquent, eux aussi, d’être atteints, car vivre auprès d’une personne déprimée est tout simplement déprimant. À l’heure où les besoins se font croissants, investir dans la prévention et le bien-être psychologique devrait être une priorité de santé publique.

Comme je l’écrivais déjà il y a plus de 6 ans, il nous faut savoir déceler et pouvoir prendre en compte un état dépressif d’une personne accompagnée, mais aussi parfois d’un(e) collègue. C’est nécessaire quand on est travailleur social. Or parfois, nous oublions que certains comportements illogiques que l’on a du mal à expliquer ne viennent pas d’une simple incapacité ou d’une forme de paresse. Non, il faut penser aussi au risque de dépression et pouvoir le prendre en considération.

Pour mieux prendre en compte cette réalité et les risques qui s’y rapportent, je vous invite à prendre connaissance de ce guide publié par l’INPES, L’institut national pour la prévention et l’éducation pour la santé. Son titre est clair, son contenu est excellent. Ne le manquez pas :  « la Dépression, en savoir plus pour en sortir »

 

 

Sources :

 

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