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Peut-on prévoir la maltraitance d’un jeune enfant grâce à un algorithme ?

C’est à cette question que tente de répondre une équipe de chercheurs qui a  publié une étude le 17 mai dernier. Elle considère que l’épidémiologie de la maltraitance envers les enfants est mal documentée. Ces chercheurs ont créé un algorithme qui utilise les données issues du PMSI. Cet outil a été utilisé pour « identifier parmi les enfants de 0 à 5 ans hospitalisés au CHU de Dijon les séjours très suspects ou suspects de maltraitance physique ».

Dans le PMSI, les séjours hospitaliers pour maltraitance physique peuvent être codés de deux façons : soit avec des codes dédiés aux agressions physiques volontaires ; soit avec des codes décrivant les lésions traumatiques, sans que l’origine de la blessure (accidentelle ou intentionnelle), ne soit précisée. Ces données sont mal renseignées dans les hôpitaux, car elles ne servent pas à alimenter le calcul de leur budget.

L’algorithme qui a été développé au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon 13, tente donc de repérer les enfants âgés de 0 à 5 ans, qui ayant bénéficié d’une hospitalisation en raison de lésions qui pourraient être consécutives à une maltraitance physique. Nous avons là un recueil de données qui ne donne pas de certitude. D’ailleurs, cela n’est pas utilisable chez les grands enfants et les adolescents, les maltraitances physiques les concernant étant plus difficiles à repérer que chez le jeune enfant.

Pour autant les chercheurs ont construit des indices de valeurs positives prédictives (VPP). En s’appuyant sur les données passées des hospitalisations des enfants de 0 à 5 ans, l’algorithme a pu ensuite classer les enfants repérés en deux groupes : maltraitance hautement probable et maltraitance suspectée. Parmi les enfants âgés de 0 à 5 ans hospitalisés au CHU de Dijon sur la période d’étude, 170 enfants ont ainsi été identifiés par l’algorithme comme ayant présenté une hospitalisation en lien avec une maltraitance hautement probable ou suspectée ; 54 pour un premier groupe  (maltraitance hautement probable) ; 102 pour un 2ème groupe  (maltraitance suspectée). Finalement, plus de 85% des attributions par l’algorithme au groupe “maltraitance hautement probable” ont été validées par le dossier médical des enfants et l’expertise des médecins légistes.

Ainsi, l’équipe de recherche souhaiterait que l’usage de cet algorithme permette en quelque sorte de « prédire » si des lésions constatées lors d’hospitalisations d’enfants peuvent relever de maltraitances physiques et orienter ainsi les investigations futures. Cela pose plusieurs questions et limites.

Les limites et les questions posées par ce travail.

Un algorithme, c’est-à-dire un calcul réalisé à partir de données recueillies par un soignant avec à la base des informations vérifiées et d’autres « incertaines » ne peut produire des informations à 100% exactes et c’est bien là la difficulté. Il faut dans tous les cas une investigation humaine plus poussée à travers des entretiens. Le risque d’erreur existe toujours.

Les algorithmes prédictifs sont des programmes informatiques qui analysent en très peu de temps un nombre conséquent d’informations pour tenter de prédire un événement ou ici un diagnostic. Très utilisés dans le domaine médical, leur champ d’application s’étend désormais à toutes les sphères de la société. Pour autant, leurs usages posent des questions éthiques et de droit.  Qu’en est-il du droit à l’information des représentants légaux des enfants « calculés » ?

Le problème est aussi que nous passons ainsi d’un diagnostic médical (des lésions traumatiques identifiées) à un diagnostic social (une maltraitance avérée). La « magie » du calcul et la foi dans un processus technique pourrait permettre d’oublier cette réalité. Les raccourcis sont faciles et les interprétations possibles. D’ailleurs, l’équipe de recherche est très prudente à ce sujet.

Dans ce cas de figure, il est aussi à noter que l’outil ne prend en compte que les situations d’enfants victimes de maltraitances physiques prises en charge à l’hôpital. Or les enfants victimes de maltraitances ne sont pas systématiquement hospitalisés. Il n’est pas tenu compte des blessures non visibles à priori, tels les traumatismes psychiques, ou encore certains abus sexuels, précisent les chercheurs.

Nous le savons, le risque zéro n’existe pas. Ainsi des parents suspectés d’être maltraitants ne le seront pas et des parents non suspects peuvent l’être. Ce n’est pas l’algorithme qui les décèlera. Celui-ci gardera toujours une marge d’erreur. Or aujourd’hui la tendance est de facilement faire confiance aux résultats apportés par le calcul et le « scoring ». Cela peut contribuer à laisser se développer une forme de « paresse intellectuelle » qui évite d’avoir non seulement à se poser des questions, mais aussi à évaluer de façon classique pour rechercher des réponses plus fiables.

Attention aussi à l’illusion de la réponse par la technologie. La pratique humaine, les comportements et attitudes de chacun ne peuvent se réduire à des calculs produisant des probabilités d’action future. Ou alors nous entrons dans le monde totalitaire tel que le dénonce le film Minority Report.

Le comportement humain est-il prévisible ? Sans doute à un certain niveau, mais n’oublions pas non plus que l’une de ses caractéristiques demeure l’imprévisibilité et la liberté de choix de chacun. Les décisions humaines sont parfois cohérentes, mais aussi parfois incohérentes. C’est ce qui détermine notre libre arbitre. Et cela ne se programme pas.

 

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photo : pixabay

 

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