Dans un style sans filtre et un peu foutraque, le livre de Stefan Jaffrin fourmille de mille détails d’autant plus précieux que le thème qu’il traite est plutôt méconnu.
Bien à tort, car ces Groupes d’entraide mutuel constituent l’une des tentatives les plus avant-gardistes de mise en œuvre du fameux pouvoir d’agir, dans notre pays. La démarche remonte à ces « Alcooliques Anonymes », créés aux USA en 1937, qui mettent en scène des patients témoignant et s’entraidant entre eux.
Cette approche de soutien par les pairs ne supplante pas le soin médical. Il lui est parallèle et revendique la complémentarité. Il existait déjà, en psychiatrie, ces clubs thérapeutiques, émanation de la pédagogie institutionnelle soucieuse de refonder les relations entre soignants et soignés.
Ils tendent aujourd’hui à être remplacés par les GEM. Officialisés par la loi du 11 févier 2005, ils sont financés par les ARS, à hauteur de 75 000 euros par an. La différence entre ces deux structures, c’est que le nouveau venu a un caractère non médical.
Le cahier des charges qui préside à leur fonctionnement exclut en effet tout rôle thérapeutique direct. Excluant toute fonction curative, il lui préfère le registre de la prévention de l’exclusion. Son ambition est sociale : ce doit être, et c’est, un lieu de vie ouvert 35 heures par semaine où les membres s’autoorganisent sur le principe de l’autogestion.
Celles et ceux qui y séjournent, viennent d’abord pour fuir leur isolement, se changer les idées autour d’un café et surtout ne pas parler de leur maladie ! Ils y pratiquent des arts plastiques, des ateliers d’écriture, du théâtre, de la permaculture, du sport ou des sorties.
Beaucoup de GEM sont repliés sur eux-mêmes, vivant dans une forme d’autarcie. Mais bien d’autres s’ouvrent bien plus sur l’extérieur, animant un café associatif ici, un festival cinématographique là, une galerie d’art encore ailleurs, voire un défilé de mode ou un magasin solidaire, prenant ainsi pleinement leur place dans la vie locale.
Pour écrire son livre, Stefan Jaffrin est allé à la rencontre de beaucoup de GEM. Le tableau qu’il nous en dresse est marqué par la grande diversité qui les caractérise. Les uns proposent un accueil indifférencié, quand d’autres ne sont ouverts qu’à certaines pathologies : 80 % d’entre eux sont ainsi dédiés aux troubles psychiques, 15% aux cérébrolésés et 5% au spectre de l’autisme.
Les 50 ans de moyenne d’âge des adhérents découragent les plus jeunes à y entrer. L’admission se fait sans lettre de recommandation d’un psychiatre, après quelques mois de fréquentation, pour vérifier la stabilisation du candidat. Le calme et la tranquillité que recherchent avant tout pas les 35 000 personnes qui les fréquentent sont à ce prix.
Promus et encouragés, dès le début, par quatre associations de familles, de thérapeutes et de patients, le concept a rencontré un rapide succès. Alors qu’on n’en trouvait pas plus de trente en 2005, leur nombre est monté à 300 en 2011 et 650 en 2022.
En 2014, une confusion est venue freiner cette notable progression, avant qu’elle ne reprenne de plus belle : la focalisation sur la pair-aidance et sa professionnalisation. Mais ces médiateurs santé intervenant dans les établissements médicaux et médico-sociaux, pour intéressante que soit leur fonction, ne peuvent être confondus avec les GEM dont la vocation est bien d’être totalement indépendant du milieu de prise en charge médicale.
Si l’application du mode de fonctionnement s’ajuste à chaque contexte local, les règles sont bien définies. Une forme juridique de type association loi 1901, un Président et des membres du Conseil d’administration choisis parmi les adhérents. Un Parrain garant du bon fonctionnement éthique. Un gestionnaire pour dispatcher le budget. Enfin, un ou plusieurs animateur(s) professionnels chargés de proposer, de concevoir et d’organiser autant la vie quotidienne que les activités de loisirs.
Notre pays compte 500 000 associations culturelles et sportives. Il s’y passe le pire comme le meilleur. Il n’y a nulle raison pour que les GEM échappent à ces aléas. Certains d’entre eux périclitent ou sont en crise, quand la dynamique de bien d’autres est réactive et créative.
Après avoir largement plébiscité cette forme d’organisation, Stefan Jaffrin, en décrit la face cachée. Et ils sont multiples : risques d’instrumentalisation par les grandes associations qui en gèrent déjà un certain nombre ; fiction d’une autogestion pas toujours effective, la mainmise des parrains, gestionnaire ou des animateurs prenant le pas sur le pouvoir des adhérents ; dérive de l’enfermement dans un ghetto, les participants vivant trop en vase clos ; faible rémunération et qualification des 1.200 animateurs qui y travaillent.
Enfin, il y a l’accusation de voir les GEM prendre le relai des Centre médico-psychologiques et de l’hôpital psychiatrique en grande difficulté, à moindre fais. Sans compter la règle centrale de la démédicalisation qui précarise des patients, en les éloignant du soin et en les condamnant à stagner dans leur pathologie.
Même si la nuance et la lucidité sont ici de mise, reste cette idée fondatrice que l’on ne peut qu’applaudir : sortir les malades de l’univers hospitalier et leur donner du pouvoir.
- La tribu des GEM (editions-eres.com) Stéfan Jaffrin, Éd. érès, 2022, 281 p.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert ».
Il est signé Jacques Trémintin
Lire aussi :
- Pas si fou. Quand un village accueille le handicap psychique, Alain-Paul Perrou et Laëtitia Delhon, Ed. Presse de l’EHESP, 2016, Quand, en 1993, le Centre d’Aide par le Travail de Mézin ouvre ses portes, les trois premiers travailleurs, armés de sceaux, d’éponges et d’une tondeuse, vont proposer aux habitants l’entretien de leurs jardins ou le nettoyage de leurs véhicules. Plus de vingt après, ce qui est devenu entre temps « Établissement et service d’aide par le travail » accompagne soixante-dix personnes souffrant de handicap psychique.
- Comprendre le handicap psychique. Éléments théoriques, analyses de cas, Sébastien Muller, Ed. Champ Social, 2011, 202 p., Jusqu’aux années 1970, le seul traitement de la maladie mentale passait par l’hospitalisation. Le développement de la sectorisation psychiatrique a permis d’élargir le champ d’intervention, à travers les CPM, CATTP, hôpitaux de jour et de nuit, appartements thérapeutiques, centres de post cure, hospitalisation à domicile etc…
- Penser le handicap mental, Sous la direction de Gérard Zribi et Jean-Louis Chapellier, Éd. EHESP, 2005, 264 p., Les personnes atteintes de handicap sont capables d’aimer, d’apprendre, de ressentir des émotions, d’évoluer, de régresser et de vieillir. Elles ne doivent pas être réduites à l’impact réel ou supposé de leurs déficiences.
- Adèle & Henry, Christelle Lépine, Ed. d’un Monde à l’Autre, 2013, 77 p, Qu’il est difficile de décrire le handicap psychique, sans tomber ni dans la stigmatisation méprisante ou la moquerie ironique, ni dans le diagnostic psychiatrique ou la préconisation thérapeutique. Christelle Lépine nous propose un récit d’une grande finesse qui tente, avec délicatesse, de nous faire comprendre ce qui peut bien se passer dans la tête d’une personne atteinte d’une confusion certaine.
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