Livre ouvert : portée et risques du partage d’informations sociales

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Les fondements du secret professionnel ne sont-ils pas remis en cause par les partages d’information qui se sont multipliées ces dernières années ? À quelles conditions les évitent-elles ? Voilà un manuel d’application de Christophe Daadouch et Laurent Puech que devraient lire tous les professionnels de l’action sociale.

le partage dinformations sociales

L’obligation du secret professionnel sécurise la relation d’accompagnement, rappellent d’emblée les auteurs. Elle renforce la confiance et garantit la crédibilité du travail du professionnel, en préservant l’intimité et à la vie privée des usagers.

Ce principe essentiel se heurte toutefois au triptyque des trois « co » : cohérence, continuité et coordination de l’intervention. Cela fait déjà de nombreuses années que les travailleurs sociaux sont confrontés à cette pluridisciplinarité nécessitant de croiser leurs regards, d’articuler leurs expertises et de faire lien entre eux.

La transmission des informations disponibles renforce la force du collectif de travail. Elle amoindrit la subjectivité des évaluations. Elle permet au parcours de la personne de se déployer. Elle donne du sens au travail d’équipe, en favorisant les discussions entre pairs. Elle fait vivre le réseau et le partenariat devenus incontournables.

Mais, elle peut tout autant servir à soulager les angoisses et servir d’exutoire. Elle peut nourrir l’affichage de la curiosité et la tyrannie de l’anecdote. Et si la surcharge informationnelle tue l’info, c’est parce que sa multiplication nuit à son actualisation, à sa hiérarchisation ou à sa contextualisation.

Comment continuer à travailler ensemble, en échangeant des informations sur l’usager sans le trahir ? Les deux auteurs proposent une revue de détail de ce que la législation en vigueur prévoit dans les différents secteurs concernés : médical, handicap, hébergement, PJJ, protection de l’enfance, droits des étrangers etc…

Mais très vite, les règles légales touchent à leurs limites. Parce que toute transmission se situe au carrefour des attentes de la personne accompagnée, de l’institution employeuse, des exigences de la déontologie professionnelle et des prescriptions du législateur. Il n’existe aucune réponse absolue, valable en toute circonstances permettant de les satisfaire toutes.

Face à la complexité de concilier tous ces aspects contradictoires, le renfort de l’éthique apparait indispensable. D’abord considérer que ce partage n’est jamais un objectif, mais toujours un moyen. Ensuite, que c’est une faculté et jamais une obligation (sauf quand la loi en décide autrement). Enfin, que le professionnel reste le seul arbitre des éléments strictement nécessaires qu’il décide de partager.

Le partage de l’information est aux antipodes d’une production qui serait impensée, stéréotypée et prédéfinie. Tout se décide au cas par cas, en s’interrogeant sur sa réception, sa compréhension et ses effets certains et possibles. La question centrale qui précède chaque transmission est bien : pourquoi, pour quoi et avec qui je partage des éléments personnels de l’usager ?

Qu’il soit indubitablement utile et nécessaire le partage de l’information tenu au secret professionnel n’a rien de naturel. Il viole le pacte de confiance passé avec l’usager. Ce n’est parce que l’on peut justifier de son intérêt, qu’il est acceptable … même s’il vaut mieux parfois ne rien savoir, pour mieux apprendre, la connaissance sur autrui pouvant nuire à sa reconnaissance.

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


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Billet d’humeur au sujet du secret professionnel

En 2008, une assistante sociale de Grenoble, exerçant une mesure d’AEMO judiciaire, s’était rendue à la police pour dénoncer la situation administrative clandestine d’un ressortissant sénégalais rencontré par hasard, demi-frère de la mère de famille à qui elle rendait visite. Au cours de l’été 2013, une assistante sociale suisse du Service de probation et d’insertion a été arrêtée, interrogée et présentée devant le procureur général, pour avoir conseillé à un détenu de ne pas révéler sa véritable identité, afin d’éviter d’être expulsé. Elle est poursuivie pour entrave à l’action pénale et pour avoir favorisé le séjour illégal d’un étranger.

Deux postures, deux conceptions d’un métier. La première admet la possibilité de servir d’informateur de la police. La seconde refuse le rôle d’indic qu’on voudrait lui faire jouer. Supprimer le secret professionnel reviendrait à condamner le métier d’assistant social. Qui oserait encore se confier, s’il savait que ses confidences seraient aussitôt rapportées aux autorités ? C’est parce qu’une confiance peut s’établir que l’accompagnement peut porter ses fruits. Sans elle, pas d’écoute bienveillante, ni de possibilité d’échanger sereinement sur les options possibles qui s’offrent à l’usager. Seule subsisteront la solitude dans la décision et la défiance à l’égard des professionnels sensés aider mais qui seront vécus comme autant de balances. Honte à l’assistante sociale française, honneur à l’assistante sociale suisse ! (billet d’humeur paru le 21 novembre 2013)

 


BONUS

 Nous ne laisserons pas liquider le secret professionnel

Le 25 mai 2006, Didier Dubasque accordait un interview au numéro 798 de l’hebdomadaire Lien Social. A l’époque, il était secrétaire général de l’association nationale des assistants de service social. Il avait fait partie de la délégation reçue par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur soucieux de faire adouber par les professionnels la suppression du secret professionnel. Ce témoignage, pour dater de près de 18 ans, montre que la vigilance est toujours de mise pour défendre cette obligation faite aux professionnels au bénéfice des usagers .

Le gouvernement n’en est pas à sa première tentative de remettre en cause le secret professionnel…

Didier Dubasque : Ce n’est effectivement pas la première attaque. La loi dite de sécurité intérieure avait déjà fait obligation de signaler à la police tout usager jugé dangereux, notamment s’il était en possession d’une arme. Puis la loi Perben II a permis aux officiers de police judiciaire d’accéder aux dossiers sociaux sans commission rogatoire. A l’époque nous avions dû batailler ferme pour défendre le secret professionnel. Le projet initial nous obligeait à répondre aux interrogatoires sans possibilité de nous y opposer.

Il y a eu ensuite le rapport Benisti. Celui-ci préconisait l’obligation faite aux travailleurs sociaux d’informer le maire dès qu’ils avaient connaissance d’une famille en difficulté. Nous avions rencontré le député Benisti en juin 2005 pour lui expliquer l’importance cruciale de la confiance dans la relation d’aide. Nous avions été très surpris de son argumentation qui partait de faits tout à fait anecdotiques qui ne permettaient en aucun cas de justifier ce qu’il préconisait. Nous lui avions remis des fiches techniques qui définissaient le fondement du secret professionnel et les conditions dans lesquelles il pouvait être levé, ce qui est tout à fait suffisant à nos yeux pour protéger un enfant ou un adulte vulnérable en danger.

Nous pensions que ces éléments allaient être pris en compte. Nous nous sommes rendus compte que dans la proposition de loi qui nous a été remise début mai, rien n’avait bougé sur ce point. Si ce texte passe en l’état, c’est la mort du secret professionnel. Les salariés qui y sont tenus aujourd’hui ne pourraient s’opposer à une demande d’information dont ils seraient saisis par le maire. Illustration : quand une mère va sortir de la maternité en ayant manifesté quelques troubles de l’attachement ou des difficultés de communication avec son bébé et qu’un travail est engagé auprès d’elle, elle devrait faire l’objet d’une transmission d’information auprès du maire ou de son représentant.

Vous avez été reçu par Nicolas Sarkozy les 5 mai dernier pour évoquer cette question. Que s’y est-il passé ?

Didier Dubasque : Le ministre a demandé de nous rencontrer avec 17 autres associations, essentiellement des associations d’employeurs comme l’UNAPEI, les CEMEA, le CNALPS, la FN3S, l’UNIOPS, l’UNAF… Au cours d’une réunion préparatoire, nous avons d’ailleurs décidé de parler d’une seule voix. Hors réunion, Rachida Dadi, conseillère technique du ministre sur ce dossier, nous a affirmé que les termes employés « Tout professionnel est tenu d’informer le maire » n’impliquait aucune obligation. Quand nous nous sommes étonnés, elle nous a rappelé sa formation de juriste pour appuyer sa position.

Ce qui nous rassure c’est que nous étions tous unanimes dans notre opposition aux différents articles qui nous ont été présentés, notamment l’article 5 du projet de loi. Ce qui nous rassure moins, ce sont ce les trois priorités que nous a présentées Nicolas Sarkozy lors de cette rencontre : il a d’abord affirmé que la sanction a valeur de prévention. C’est la remise en cause de l’esprit de l’ordonnance de 1945. Le second point évoqué, c’est la détection précoce des troubles de comportement. « Tous les troubles du comportement ne conduisent pas à la délinquance, mais tous les délinquants ont commencé par des troubles du comportement » nous a-t-il certifié.

Il est convaincu que la meilleure façon de s’attaquer aux futurs délinquants, c’est de repérer dès maintenant les enfants qui ont des troubles du comportement. Son troisième point, c’est le partage de l’information et la coordination des intervenants.  Nous avons demandé une véritable concertation tout en précisant qu’y soient associés nos ministères de tutelle ainsi que le Conseil Supérieur de Travail Social. Au préalable, nous avons souhaité avoir connaissance de la globalité du texte que nous ne connaissons que par bribes, afin de le commenter et de pouvoir faire des contre-propositions techniques.

Nous  avons donc proposé des groupes de travail sur cinq thèmes de discussion. Nous ne voulions pas nous focaliser uniquement sur le partage de l’information et le secret professionnel, mais avions décidé d’aborder aussi d’autres domaines tout aussi inquiétants : la définition de la prévention de la délinquance, le secret professionnel et le partage de l’information, la médicalisation des troubles du caractère et du comportement, les conséquences des contrats de responsabilité parentale ainsi que sur la cohérence des dispositifs de prévention de la délinquance et les réponses spécifiques aux mineurs. Le ministre a accepté le principe de la constitution de ces groupes, en fixant l’échéance de leurs conclusions entre fin juin  début septembre. On est sorti du ministère, en pensant qu’on allait pouvoir peut-être peser sur ce projet. Mais nous apprenions parallèlement que le texte allait être présenté le lendemain en comité interministériel puis à la commission des lois de l’assemblée nationale.

L’affaire est donc pliée ?

Didier Dubasque : On ne connaît pas exactement la marge de manœuvre dont nous disposons. Nous avons le sentiment que Nicolas Sarkozy ne veut pas aller à l’affrontement. C’est pourtant ce qu’il va falloir envisager. Les professionnels se sont mobilisés il y a de cela un an contre une menace déjà à l’époque de remis en cause du secret professionnel. Nous espérions le danger écarté. Le voilà qui resurgit. Plusieurs dispositions de ce projet constituent des atteintes aux libertés fondamentales, au droit à la vie privée ou à être aidé sans qu’un tiers extérieur au service social en soit informé. C’est la remise en cause de l’essence même de notre profession construite sur la relation d’aide, dans la mesure où nous sommes placés dans une logique de surveillance et de contention et non plus d’aide et de soutien à la population.

Mais, il n’y a pas que les professionnels qui seraient mis en difficulté par une telle mesure. Le maire pourrait lui aussi l’être tout autant. Qu’en serait-il de sa responsabilité pénale, si informé d’une situation inquiétante dans une famille, devaient y survenir un suicide, une mort d’enfant ou une agression sexuelle ? C’est là plutôt un cadeau empoisonné pour des élus qui n’ont peut-être pas encore bien pris conscience des conséquences possibles de telles dispositions. L’Association des Maires de France et celle des Départements de France n’ont pas été associées.  Nous attendons beaucoup des élus car nous savons que nombreux sont ceux qui sont réservés, voire opposés à ce projet de loi. Il va donc falloir non seulement nous mobiliser, mais aussi intervenir auprès de maires et des députés.  Nous appelons dès à présent les professionnels à s’informer, à résister et à refuser d’appliquer des dispositions qui s’opposent à l’éthique du travail social et plus largement au respect de la vie privée.

 


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Une réponse

  1. Merci pour ce rappel sur un des fondamentaux du travail social et de son difficile et subtil exercice de partage d’information à caractère secret…. Le Comité Local du Travail Social de Loire-Atlantique y avait consacré une journée départementale dans laquelle une intervention de la Commission Éthique et Déontologique du Travail Social précisait quelques grands principes et recommandations qui permettent de se poser des questions essentielles et préalables à l’échange d’information, et repositionnait ainsi la place des personnes accompagnées dans le partage des informations la concernant. J’en profite pour transmettre que les comités et espaces éthiques départementaux constituent de bons soutiens pour traiter de ces questions ! Une vidéo de synthèse de cette journée d’échange et de réflexion sur le partage d’informations est consultable sur la page du CLTSDS de Loire-Atlantique !

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