Tel pourrait être le sous-titre de ce roman d’une grande sérénité et d’un réalisme tel qu’il ne pouvait que flirter avec l’autobiographie.
Et, effectivement, l’auteur s’est inspiré de son enfance pour rédiger ce récit. Il pose un regard lucide et apaisé sur un parcours possible, comme peuvent et pourraient en connaître tant de mineurs de la protection de l’enfance.
Une mère en grande difficulté sociale, à la vie chaotique et disloquée. Elle exprime son amour maternel comme elle le peut, au gré des entrelacs de ses addictions à l’alcool, aux médicaments et autres substances toxiques. Un père abandonnique, que Skander ne reverra qu’en fin d’adolescence, dans la plus grande des indifférences réciproques.
Une plongée désaccordée vers ses racines, intervenant lors du séjour de sa famille d’accueil, retournant « au pays » le temps d’un été. Description quasiment ethnographique d’usages que le lecteur découvrira peut-être avec autant d’étonnement que l’enfant un tant soit peu déstabilisé. Il faudra attendre la 198ᵉ page pour que le verdict de l’auteur tombe aussi cruel que sans concessions : « en guise de famille sanguine, j’étais donc cerné par des repris de justice, des abrutis, ou des inconnus, éparpillés entre la France et l’Algérie ».
Du côté de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), la nuance s’impose. Une première famille d’accueil aimante et sable qui disparaît bien trop vite, remplacée par Madame Khadija au profil des plus atypique. Avec elle se tricotera un mélange de confrontations, mais aussi d’affection mutuelle que ni l’un ni l’autre ne se reconnaitront jamais. Une assistante sociale référente bienveillante qui suivra Skander tout au long de son placement.
Autant de personnages forts agissant comme des tuteurs de résilience des plus opérants. Et si le couperet du suivi institutionnel tombe aux 21 ans, un contrat jeune majeur sera proposé jusque-là. Pourtant, la tentation de l’argent facile que procure le trafic de drogue, dûment sanctionnée par le tribunal pour enfant, aurait pu tout arrêter.
L’apprentissage d’une adolescence rythmée par la loi de la rue. La confrontation aux rites de l’affrontement violent entre bandes de quartiers concurrents se conjugue alors par une délinquance de survie autant que d’affiliation.
Mais surtout une envie de s’en sortir, alimentée par une passion de la lecture, par une ouverture d’esprit et une curiosité face au monde. L’inattendue réussite scolaire de Skander lui ouvre des possibilités insoupçonnées. Il passera du petit trafic de shit au droit des affaires. Étonnante reconversion montrant là où peut aussi mener la petite délinquance !
Le tout nous est décrit à hauteur d’un enfant, puis d’un adolescent au regard ingénu et spontané, mais pas dénué d’humour qui ne semble se formaliser d’aucune des épreuves endurées. Un peu comme si le retrait de ses ressentis les plus profonds laissait la place à la description de toutes les facettes de la vraie vie avec ses moments de grâce et ses turpitudes.
Il y a beaucoup de charme et finalement de poésie dans ce roman épique à la fois décalé et digne du meilleur des styles réalistes. Il réussit à transcender avec habileté un parcours aux conditions pas vraiment idéales, sans tomber ni dans les clichés, ni dans les stéréotypes qui collent si souvent tant à la banlieue qu’à l’ASE.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert ».
Il est signé Jacques Trémintin.
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Photo : freepik, tel un enfant qui s’ennuie