Régis Robin, Docteur en Géographie sociale et humaine, nous invite à revisiter l’expertise sociale à la lumière de ce personnage sympathique qu’est le jeune Harry Potter. Pour celles et ceux qui connaissent la série d’ouvrages de J.K. Rowling qui a créé ce héros, les comparaisons sont évidentes même si au premier abord, on ne voit pas bien ce que vient faire cet « apprenti sorcier » dans le monde du travail social. Harry Potter, bien plus qu’un simple personnage de fiction, incarne ici les qualités essentielles d’un travailleur social efficace et empathique. Mais tout cela mérite quelques explications.
Régis Robin, formateur à l’ARIFTS Angers, Docteur en Géographie sociale et humaine
L’expertise sociale, dans sa forme la plus noble, peut être considérée comme une coconstruction de savoirs, où la reconnaissance et la prise en compte des divers vécus et expériences sont primordiales. Cette approche, qui favorise le bien-être commun et le mieux-être collectif, est au cœur de la pratique du travail social. Elle implique une communication ouverte, un échange enrichissant et une reconnaissance mutuelle des compétences et des différences de chacun. Cette expertise, loin d’être uniforme, est polymorphe et dépend des acteurs et des territoires. Elle requiert une proximité et des interrelations marquées par le respect et la reconnaissance mutuelle.
Harry Potter se distingue à travers ses aventures par son leadership naturel, sa modestie et sa capacité à reconnaître la valeur des autres. Il symbolise ainsi l’artisan du travail social, cette assistante sociale ou cet éducateur qui, grâce au soutien de son entourage, parvient à orienter ses actions vers le bien commun. Sa plus grande qualité réside dans son acceptation inconditionnelle des individus, quelle que soit leur condition, et dans sa défense des opprimés. Cette attitude reflète l’essence même du travail social, qui vise à établir des liens de solidarité et de protection au service des populations les plus fragiles.
Ce que l’univers de Harry Potter nous apprend de la coexpertise dans le champ du travail social.
La coexpertise, dans le domaine du travail social, est un concept aussi riche que complexe. Elle est le reflet de notre difficulté à définir et à ordonner nos idées dans un monde dans lequel les problèmes sociaux sont de plus en plus intriqués. Cette complexité est bien illustrée par Edgar Morin qui souligne « notre embarras face à la nécessité de simplifier et de clarifier nos pensées ». Dans ce contexte, l’univers de Harry Potter offre une métaphore qui permet de comprendre la diversité et la complémentarité des expertises des travailleurs sociaux.
Le terme « expert », dérivant du latin « Expertus », évoque une personne qui a acquis une grande habileté par la pratique. Cette définition souligne l’importance de l’expérience et de la compétence pratique dans l’acquisition de l’expertise. Dans le monde de Harry Potter, différents personnages illustrent divers aspects de cette expertise. Hermione Granger, par exemple, incarne la raison et la culture, jouant un rôle crucial dans le soutien et l’encouragement de ses amis. Albus Dumbledore, quant à lui, représente une figure d’autorité qui reconnaît et s’appuie sur les compétences d’Hermione. Ronald Weasley, avec sa loyauté et sa simplicité, apporte une dimension complémentaire essentielle.
Tous ces personnages en interaction symbolisent la coexpertise dans le travail social : la combinaison de différents savoirs et compétences pour atteindre un objectif commun. Ils démontrent que la réussite collective dépend de la richesse issue de leurs différences et de leurs complémentarités. Cette approche est fondamentale dans le travail social, où la réflexion à plusieurs est nécessaire pour comprendre et répondre efficacement aux besoins des personnes accompagnées dans leurs communautés de vie.
L’expérience, la participation et l’approche collective sont des éléments clés de la coexpertise. C’est le cas aussi dans l’univers de Harry Potter, où la collaboration et l’interdépendance entre les personnages sont essentielles pour surmonter les difficultés. Les travailleurs sociaux sont tout autant empreints d’une diversité de compétences, de collaborations et de reconnaissance mutuelle dans la construction d’une expertise efficace. Cette approche est essentielle. Nous savons aussi aujourd’hui que l’expertise partagée est une des clés permettant d’établir des liens sociaux forts qui renforcent la cohésion sociale.
Une évolution salutaire de la façon d’exercer son expertise
L’expertise sociale, dans sa forme la plus évolutive, se déplace de l’expertise « sur » – une approche qui peut impliquer une certaine forme de domination ou d’asservissement – vers l’expertise « de », qui valorise et intègre les savoirs et expériences des individus concernés. Cette transition est essentielle pour reconnaître et valoriser la place et le rôle de chaque personne dans la société, en particulier dans le cadre de l’intervention sociale. Dans l’univers de Harry Potter, cette transition se reflète dans les interactions entre les personnages. « En termes de postures, il s’agit de retenir la sagesse de «Griffondor» plus que le «chemin de la grandeur» revendiqué de «Serpentar» (au risque d’être un expert «hors sol»).
L’expertise sociale citoyenne, telle que proposée par Régis Robin, se décline en quatre dimensions : l’expertise « sur », « pour », « avec », et « de ». Chacune de ces dimensions représente une relation différente avec les citoyens-usagers, allant de l’asservissement à une relation non directive qui valorise les « ressources cachées » des territoires et des individus. L’expertise « avec » et « de » sont particulièrement importantes pour établir une relation d’accompagnement et d’analyse partagée, enrichissant ainsi le regard critique et coopératif.
Cette expertise coopérative nécessite une capacité à « être avec » qui suppose disponibilité, présence, attention et aptitude à mobiliser l’analyse de la personne concernée. Elle implique également la reconnaissance des « savoirs ensablés », terme utilisé par Michel Foucault pour désigner les savoirs locaux qui ont été disqualifiés par la hiérarchie des connaissances. En reconnaissant ces savoirs, le travail social peut apporter de la valeur à l’innovation sociale.
« Pour chaque travailleur social, il s’agit d’assumer la complexité du réel afin d’être créatif », nous explique Régis Robin. En effet, une articulation des savoirs académiques, des savoirs expérientiels issus de la pratique et des savoirs du vécu des personnes constitue une base pertinente pour l’expertise sociale – sous réserve que ces savoirs soient reconnus, légitimités et crédibilisés (et crédibles). L’échange social et la considération de l’autre confirment l’hypothèse d’une expertise qui puisse être à la fois expression et analyse d’un vécu. Nourrie de parcours, de trajectoires, d’expériences, de pratiques, l’expertise sociale située fait appel à des compétences ».
Pour conclure : soyons des bons sorciers !
L’expertise sociale, dans le contexte du travail social, est finalement un peu comme être un bon sorcier (ou une bonne sorcière !) dans l’univers de Harry Potter. Elle combine différentes sortes de savoirs : des connaissances apprises, des compétences pratiques, et la capacité de bien se comporter avec les autres. Imaginez cela comme si un travailleur social devait utiliser à la fois des livres de sortilèges (la théorie), sa baguette magique (la pratique), et son cœur (son comportement) pour aider les gens.
Prenons l’exemple de Harry Potter lui-même. Dans ses aventures, il apprend beaucoup de choses à l’école (comme un travailleur social étudie), mais il doit aussi utiliser ses compétences en situation réelle, comme lorsqu’il affronte des défis ou des ennemis (tout comme un travailleur social applique ses connaissances dans la vie réelle). En plus, Harry est connu pour son courage et sa gentillesse, des qualités importantes pour comprendre et aider les autres.
L’expertise sociale, c’est donc savoir combiner tous ces éléments pour comprendre les situations des personnes en difficulté et les aider au mieux. Comme Harry qui grandit et apprend au fil de ses aventures, un travailleur social apprend et s’adapte constamment pour être le plus utile possible. Et tout comme Harry, qui n’est pas juste un sorcier, mais une personne avec ses propres qualités, chaque travailleur social apporte sa touche personnelle pour faire une différence dans la vie des autres. Seule ombre au tableau, il ne dispose pas de baguette magique !
- « Harry Potter à l’école de la coexpertise » de Régis Robin Dans Les Politiques Sociales 2022/1-2 (N° 1-2), pages 42 à 52
- « L’expertise sociale – La définir pour l’agir ? », Régis Robin, préface Brigitte Bouquet, postface Marcel Jaeger, éd. Chronique sociale, 05/2016
- Comment définir l’expertise des assistant(e)s de service social ? Août 2020
Photo : Extrait de l’affiche du Film « Harry Potter à l’école des sorciers »
2 réponses
Bien vu toutes ces qualités à la Harry Poter ! Mais ne s’appliquent elles pas à ncp de métiers de l’enseignement par exemple ?
Bonjour Didier, depuis hier je ne parviens pas à ouvrir ton article journalier. Cordialement. Patrick