Didier Dubasque
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Les romans de l’été (3) : Faire réfléchir les ados !

Les éditions Le Muscadier viennent de publier leurs deux derniers titres. Au programme : viol et meurtre raciste. Qui a dit que notre jeunesse ne sait plus réfléchir ?

Romans ed. le Muscadier


C’était pour plaisanter

Une soirée entre jeunes comme il y en a tant ! Ça chante, ça refait le monde, ça se contredit. Ça se machouille le lobe de l’oreille, en faisant circuler un whisky bon marché qui croise un pétard, dont la cendre se répand sur la moquette au moment de l’échange.

Mais le lendemain matin Jeanne se réveille comateuse et percluse de douleurs au niveau de ses parties génitales. Elle ne se souvient de rien. Mais, elle en est convaincue : elle a été violée.

Tout aussi amnésique, Sack sort difficilement de son sommeil. C’est sa demi-sœur qui l’a ramené de la soirée, la veille. Il était dans un sale état. Surtout, elle l’a trouvé à moitié déshabillé sur un lit … aux côtés d’une adolescente, elle aussi endormie, la poitrine dénudée. !

Histoire de le charrier, quand il aurait repris des esprits, elle a même pris la photo. Ce n’est que le lendemain qu’elle découvrira que la jeune fille en question n’est autre … que Jeanne !

Tempête sous un crâne

La voilà en possession d’une preuve bien compromettante. Tempête sous un crâne : que doit-elle en faire ? Son témoignage pourrait être déterminant. Doit-elle dénoncer son demi-frère ?    Mais est-il vraiment coupable d’un tel crime.

Voilà de quoi gamberger sur des thématiques des plus actuelles : les bandes de copains-copines, le consentement, les agressions sexuelles, les dérives de certaines fêtes, les consommations à risque, les jeux qui tournent mal, la vigilance des adultes (ou leur carence), les risques etc… Autant de sujets qui ne manqueront pas de surgir à la lecture de ce scénario qui, pour être improbable, est loin d’être irréaliste.

 


Fallait y penser avant !

 Mais que fait donc Elona Prévoteau en procès d’Assises ? Agée d’à peine 19 ans, elle est accusée de complicité de meurtre. Ses complices ont été sévèrement condamnés : Gwendal à 20 ans d’incarcération, Jules et Kev à dix ans.

Dans la salle d’audience, elle fait face aux juges en robe noire et aux jurés. Sa mère est assise au deuxième rang, écrasée sous la honte. Un peu plus loin il y a celle de Mehdi, ravagée de douleur.

Le jour de son 18ème anniversaire, ses acolytes lui ont réservé une surprise : « se payer un arabe ». Kidnappé, attaché, humilié, torturé, puis abattu à coup de fusil, Mehdi n’avait aucune chance. Elona a laissé faire.

Mais qu’est-ce qu’elle est allée faire avec ces trois jeunes imprégnés d’idéologie suprémaciste et raciste ? Aujourd’hui, elle en mesure les conséquences. Mais, il est trop tard.

Une (in)consciente complicité

Confusément, elle décrit le déroulement de son procès. Elle tente d’expliquer l’inexplicable, de décrire l’indicible et d’exprimer l’ineffable.

Elle était sous emprise, elle a été manipulée, elle n’était pas elle-même … Son argumentation est hésitante, confuse, anxieuse. Son avocat cherchera à la défendre comme il peut. Le verdict sera rendu par le jury … qui n’est autre que le lecteur.

Le crime raciste est abordé ici par le biais de la passivité de témoins. S’abstenir de toute réaction face à un crime est équivalent à le commettre. Qu’il est facile de stigmatiser après coup la barbarie des coupables. Il est toujours plus difficile de résister à la contagion ambiante.

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert » Il est signé Jacques Trémintin


Lire aussi :

  1. Ce point qu’il faut atteindre, Mireille DISDERO, Éd. Le Muscadier, 2020, 188 p. De retour d’une fête à Paris, Violette change de comportement du tout au tout. Arnaud ne va avoir de cesse que d’en comprendre les raisons. Au fil des pages, il n’est guère difficile de deviner ce qui s’est passé.
  2. Je les entends nous suivre, Florence CADIER, Ed. Le Muscadier, 2018, 90 p. Quand Léo et Robin tombent amoureux, l’un de l’autre, le premier est tétanisé à l’idée d’officialiser sa liaison, quand le second est bien plus à l’aise.
  3. Maman, les p’tits bateaux, Claire MAZART, Éd. Le Muscadier, 2020, 80 p. Contrairement à l’idée reçue, il n’est pas toujours facile pour un enfant de révéler à ses proches les violences qu’il subit.
  4. L’aigle noir, Hervé Mestron, éd. Le Muscadier, 2017, 71 p., En arrivant dans cette nouvelle affectation, le nouvel enseignant va trouver l’enfer dans une bourgade qui n’aime ni les étrangers, ni les hommes de couleur

 


Bonus

La maison d’Éditions qui éveille les consciences

Contrairement à ce que l’on pense souvent, les jeunes ne boudent pas la lecture : en 2018, 86 % des 15/25 ans avaient lu au moins treize livres dans les douze mois précédents. Une maison d’édition atypique leur propose des récits dont les intrigues garantissent évasion et suspense, tout en leur permettant de réfléchir. 

Rien ne s’est passé comme prévu. Le président sortant et son concurrent le plus sérieux ont été balayés. Le mouvement qui s’est formé, en quelque mois, autour des idées de justice sociale, de participation citoyenne et de responsabilité écologique, a présenté un candidat qui a obtenu 55 % des voix. Un gouvernement a été constitué. Aucun des ministres n’est politicien de métier. Juste des citoyens issus d’associations, de syndicats, d’universités. Chacun présente, ici, son programme … « Alter gouvernement : 18 ministres citoyens pour une réelle alternative », le tout premier livre publié en janvier 2012 par les éditions Le Muscadier, s’inscrivait dans une projection utopique, ouvrant la voie à une série d’essais en sciences humaines. Neuf ans ont passé. Avec près de soixante-dix publications à son actif, le choix éditorial a pris une toute autre direction : la fiction jeunesse. Mais, pas n’importe quelle fiction : celle qui se donne pour ambition d’éveiller les consciences. L’objectif est clairement annoncé : « Offrir des outils (de réflexion, d’action) pour devenir des citoyens à part entière. Des citoyens capables de penser par eux-mêmes, de désobéir et d’alerter quand il le faut. De prendre les bonnes décisions pour eux, pour leurs proches et pour la planète. »

Un éditeur impliqué

Si Bruno Courtet, son fondateur, s’est lancé dans cette aventure, c’est d’abord par envie d’innover. Après quinze ans de métier, il voulait se renouveler, cherchant un créneau original. C’est un libraire qui l’inspira, lui faisant remarquer l’absence de collection engagée à destination des ados. Mais, c’est aussi, parce qu’ayant grandi dans une bulle familiale où il ne se posait pas vraiment de questions, il a eu envie de proposer aux jeunes générations une ouverture sur une littérature qui lui manqua tant, alors. D’autant que la perception qu’il a de la jeunesse d’aujourd’hui, c’est celle d’un public de plus en plus accessible aux problèmes de société. L’idée trouvée, il fallait la concrétiser. Sa rencontre avec Christophe Léon fut décisive. Cet auteur, fin connaisseur de l’édition jeunesse qu’il a alimenté avec plus de quarante romans, devint très vite son directeur de collection. Diffusant des appels à manuscrits dans un milieu qui lui était familier, les propositions ne tardèrent pas à affluer. Emergea ainsi une pépinière d’auteur(e)s ravi(e)s d’écrire pour une classe d’âge pour qui l’offre de réflexion s’avérait jusque-là peu fournie. Aujourd’hui, c’est plus de cent cinquante manuscrits qui parviennent annuellement au Muscadier. A peine 10% sont retenus, dix à quinze nouveautés paraissant seulement chaque année. Parfois suggérés par l’éditeur, parfois spontanément proposés par les auteur(e)s, les thèmes abordés respectent une ligne éditoriale constante : traiter les grands sujets de notre monde contemporain tels l’écologie, la justice, l’égalité, la tolérance, le racisme, le travail des enfants, la guerre, la violence sous toutes ses formes, l’homosexualité, l’égalité homme-femme, l’esclavage moderne etc… « Oulala ! » réagiront certains lecteurs méfiants, face à des sujets potentiellement bien anxiogènes. N’a-t-on pas mieux à proposer à nos ados que d’occuper leurs heures de lecture avec des thématiques aussi sombres, dans un pays où 26% des jeunes se déclarent optimistes face à leur avenir ? Ne faut-il pas plutôt préserver l’enfance de la cruauté d’un monde qu’elle connaitra bien assez tôt ? N’a-t-elle pas un droit inaliénable à l’insouciance ? Sauf que la brutalité de notre monde s’étale en permanence via les écrans, les réseaux ou les conversations des adultes proches, quand elle ne s’impose pas dans la vie des plus jeunes. L’enjeu, dès lors, est peut-être bien plus de les aider à comprendre ce qui se passe autour d’eux, que de croire possible de les en isoler. C’est justement ce que permettent les romans du Muscadier: « à un âge où se construisent et s’affirment les personnalités, le rapport aux autres et une certaine vision de la vie, ils permettent de découvrir d’autres façons de penser, de vivre, d’autres réalités que celles de leur vie quotidienne ».

L’époque des contes

C’est ce qu’avaient bien compris nos ancêtres qui, à l’occasion des veillées nocturnes, racontaient à leurs enfants des contes traditionnels inspirés du folklore, des mythes et des légendes. Récoltés par Perrault, Andersen et de Grimm, ces récits mettaient en scène, avant d’être édulcorés par Walt Disney et Cie, des personnages cruels et terrifiants, s’adonnant à des orgies cannibalesques de « chair fraîche » et de sang ! Mais, ce n’est pas parce qu’on racontait volontiers alors des histoires d’ogre dévorant les enfants (Le petit poucet), de reine exigeant la mise-à-mort de leur bru (Blanche Neige) ou de roi voulant se marier avec leur fille (« Peau d’âne ») … qu’on est obligé de faire pareil aujourd’hui ! Pourtant, ces récits jouaient un rôle à la fois pédagogique, cathartique et thérapeutique. Leur symbolisation aidait alors l’enfant à maîtriser ses peurs et ses angoisses, à affronter les épreuves inattendues et les adversités injustes et à faire face aux difficultés, sans se laisser anéantir. La fin heureuse qu’on y trouvait souvent démontrait que malgré les épreuves et les péripéties, l’avenir pouvait être entrevu dans une perspective positive et optimiste. Et c’est dans la continuité de cette tradition, que l’on peut peut-être inscrire les auteur(e)s du Muscadier, quand ils traient des questions que se posent beaucoup d’ados, tant sur eux et que sur le monde dans lequel ils vivent ? La différence, toutefois, c’est qu’on n’y retrouve pas la férocité et la sauvagerie qu’affichaient sans grande précaution les contes traditionnels. Tout au contraire, si le suspense est bien présent et l’action toujours rythmée, aucune trace d’étalage voyeuriste, ni de  descriptions obscènes, pas plus que de détails graveleux. Si une attention particulière est accordée à la fluidité de l’écriture, l’accent est mis tout autant sur la pudeur, la sensibilité et la subtilité du contenu. Le scénario chemine, avec souvent une charge forte émotionnelle, mais en empruntant les chemins de l’implicite plus que de l’explicite, de la suggestion plus que de la démonstration. Les ados amateurs d’une littérature s’inscrivant dans le registre de l’horreur ou de la peur n’y trouveront pas leur compte.

 L’ado, ce héros

La seconde critique que l’on pourrait formuler aux fictions du Muscadier, c’est le rôle bien peu glorieux attribué aux adultes qui ne semblent pas en capacité d’endosser une fonction-ressource, pour aider les jeunes personnages placés dans des situations compliquées. Face à leurs difficultés, ils apparaissent peu à l’écoute, inaccessibles, trop préoccupés par leur propre vie. Même quand ils finissent par intervenir, c’est le plus souvent dans un second temps. Ce choix de scénario peut être perçu d’une manière contradictoire. D’un côté, il peut induire, chez le jeune lecteur, un sentiment d’isolement face aux carences de celles et de ceux qui sont censés veiller sur eux, les protéger, les soutenir. Ce qui fait peser sur leurs épaules la responsabilité d’avoir à trouver seuls les solutions à leurs problèmes. Certes, les parents et le monde éducatif d’aujourd’hui sont infiniment plus attentifs qu’ils ne l’étaient, il y a de cela quelques décennies. En tout cas, ils sont convaincus de l’être. Mais, est-ce toujours le cas ? Sont-ils toujours à la hauteur de la considération inconditionnelle que les enfants et les ados sont en droit d’attendre ? A chacun d’en juger. Mais, après tout, si les adultes se sentent stigmatisés dans ces romans, cela ne peut que les inciter à se montrer toujours plus vigilants, plus ouverts et plus attentionnés face aux jeunes générations. Mais, d’un autre côté, ce positionnement proactif attribué aux jeunes héros de ces romans constitue aussi un encouragement à agir et se mobiliser, en refusant la passivité et la résignation. D’autant que les auteur(e)s ayant toujours le souci de terminer leur récit sur une issue positive et optimiste, le dénouement s’ouvre sur l’espérance. Finalement, cet appel à la solidarité, à l’entr’aide et au soutien mutuel qui s’oppose au registre individualiste du chacun pour soi répond bien aux défis que lance les fictions du Muscadier à ses jeunes lecteurs : se prendre en main. Noble objectif de départ. Pari réussi à l’arrivée. L’aventure continue pour cette maison d’édition au fonctionnement très artisanal. A l’avenir, elle compte bien étoffer encore son catalogue avec de nouveaux thèmes ou en abordant ceux déjà traités, sous un autre angle. Mais elle aspire aussi à se tourner vers la diffusion de ses titres en langue étrangère. En tout cas, on ne peut attendre ses nouveautés qu’avec une impatience gourmande.

(cet article de Jacques Témintin a été publié dans le Journal de l’animation n°214 – décembre 2020)

 

Note : l’auteur n’a pas de liens économiques ou d’intérêts particuliers avec les éditions Le Muscadier

 

Photo en une : Freepik

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