Il est relativement facile de blesser quelqu’un avec les mots que l’on utilise. Cela est encore plus vrai lorsque l’on travaille avec des personnes vulnérables. Travailleurs sociaux, personnels de santé, utilisent parfois des termes qui « dégradent » la personne en tant que sujet. Des professionnels de la santé et du médico-social proposent d’adopter un « lexique digne et bienveillant »
Du côté des personnes âgées et handicapées
Quels sont les mots parfois utilisés qui possèdent une forte connotation négative ? En voici quelques uns… On parlera ainsi d’une personne dépendante, sénile, voire grabataire qui justifie une prise en charge. En fait les mots ne sont pas choquants en soi mais on peut raisonnablement considérer que se faire étiqueter comme dépendant ou grabataire ou encore sénile peut raisonnablement heurter celui qui est concerné notamment lorsqu’il entend que l’on parle de lui en ces termes. En effet qu’est ce qu’être dépendant ? C’est avoir besoin d’un tiers pour les actes de la vie courante. C’est ne plus être en capacité d’agir seul dans une société qui ne valorise que la performance individuelle. Ces termes assigne la personne dans un état qui ne peut évoluer.
« Le mot dépendance renvoie citoyen de seconde zone incapable de penser par lui-même », regrette Pascal Champvert, plaidant pour l’emploi du terme « vulnérabilité ». Il en est de même pour « la prise en charge » comme si la personne que nous accompagnons est un poids qu’il faut porter. Saül Karsz dans son ouvrage intitulé « pourquoi le travail social » nous avait pourtant expliqué combien les mots utilisés par chacun sont chargés de sens.
Prendre en compte une personne dans une situation particulière, (handicap, santé, fragilité…) est à mon sens bien plus dynamique que cette prise en charge qui évoque le portage d’un poids sans vie et sans opinion. Nous avons l’habitude en tant que travailleurs sociaux de prendre en compte la personne, à travers ce qu’elle nous dit, ce qu’elle nous donne à voir et aussi à travers ce qu’en disent ses proches et les professionnels qui interviennent auprès d’elle. La prise en charge, renvoie à l’image d’un fardeau à porter parfois à bouts de bras. Bref rien de bien positif dans tout cela.
Du coté des allocataires des minimas sociaux
Ils ne supportent pas d’être désignés comme des assistés même si l’assistance reste un terme noble puisqu’il s’agit selon le dictionnaire Larousse d’aider une personne face à une difficulté, un danger : « Prêter assistance à un blessé ». Mais voilà ce terme a été dévoyé notamment par certains élus qui ont utilisé le mot assistanat pour parler des aides sociales et de l’assistance. « Les assistés, terme descriptif et, selon le cas, péjoratif ou compatissant, bénéficieraient d’une aide insuffisamment associée à des contraintes d’engagement » nous explique Wikipedia. En tout cas se faire traiter d’assisté est devenu une injure blessant celui ou celle qui perçoit des aides sociales.
Dans le même ordre d’idées certains allocataires du RSA ne souhaitent pas que l’on disent qu’ils sont bénéficiaires d’allocations ou de prestations. Ils ne font pas de bénéfices et l’aide sociale laisserait supposer un gain tel un bénéfice après clôture des comptes : « Si on nous appelle bénéficiaire, Il faudra expliquer de quel bénéfice il s’agit. Un bénéfice c’est ce qui reste une fois qu’on fait une vente. Je ne vois pas dans le RSA de bénéfice quand on a ça pour vivre » conclura cet allocataire du RSA lors d’une assemblée du comité local du travail social (en Loire Atlantique).
Autre sujet qui fâche mais qui à mon avis est plus délicat est cette demande de ne plus être nommé usager. « ça nous diminue encore plus » …/… «mais on n’est pas usés !» comme si on était bon à jeter, «utiliser ce mot ça insiste sur le fait qu’on est dépendant» dira une personne que j’avais rencontré à ce sujet..
Il y a les mots mais aussi les attitudes…
Des mots somme toute assez inoffensifs au premier abord peuvent blesser. Mais c’est aussi l’attitude du professionnel qui est observée. Un ton condescendant, voire agacé ou considéré comme jugeant peut aussi être perçu comme une atteinte à l’intégrité de la personne. Il y a donc les mots mais il y a aussi la façon dont nous les prononçons. Rappelons aussi ce nous ce que nous ont dit des membres d’ATD quart monde. Celui qui agit pour moi, sans moi, agit contre moi.
Il est important pour chacun de prendre conscience des mécanismes de communication qui permettent la confiance mais aussi parfois l’empêchent. Je pense à cette aide soignante qui, entrant dans une chambre d’hôpital, lance un bonjour sans un seul regard pour qui que ce soit. Repartie aussi vite qu’elle est entrée dans votre chambre, elle a tapé à votre porte et est aussitôt entrée sans attendre la moindre réponse. En fait vous n’existez pas en tant qu’être humain. Vous êtes « une prise en charge » ou un simple dossier qui se limite à l’origine de votre situation (la fracture à la hanche de la chambre 17). Prenons garde à ces formes de « déshumanisations » qui n’apportent rien de bon.
lire les articles suivants sur ce sujet
- « Dépendance », « grabataire » des experts dénoncent les « mots qui font mal » aux seniors (AFP – Sud Ouest)
- Changer de mots pour donner une vision positive du vieillissement (le média social)
Photo : Pixabay
4 Responses
Verbal et non verbal. Un sujet passionnant. D’autant que certaines expériences démontrent que les personnes liées au stress de l’errance, la rue, la violence décuple leur capacité à ressentir la « fausse empathie » nommée encore « empathie cognitive »
Nous avons traité cela dans notre livre sur l’intervenant socialhttps://www.gesivi.fr/Actualités/Articles/Livre-gesivi-intervenants-sociaux
lors des annonces de pathologies lourdes et évolutives, le simple fait d’évoquer le futur est très sensible. Je suis souvent confrontée à des réactions fortes quand je propose de monter des dossiers. Il faut le temps de l’assimilation.
Oui, il serait intéressant que la Maison des personnes handicapées changent de nom, comme certains départements l’on déjà fait, adoptant une dénomination plus positive comme la maison départementale de l’autonomie.
Oui, on peut imaginer de désigner non par un manque (personnes avec handicap), mais par une différence (personnes autrement capables).
Non, usager ne signifie usagé, mais utilisateur d’un service public.
Non, un bénéficiaire n’est pas seulement une personne qui obtient un bénéfice. La définition dit : « Personne qui bénéficie d’un avantage, d’un droit, d’un privilège ». Si le RSA n’est ni un avantage, ni un privilège, il est un droit. Donc la personne qui reçoit le RSA est effectivement « bénéficiaire »
Faut-il, comme en Belgique remplacer « mineurs délinquants » par « mineurs ayant commis des faits qualifiés infraction » ?
Ou, dire « habitant de la rue », plutôt que SDF.
Pourquoi pas, pendant qu’on y est, « personne n’ayant pas vérifié le consentement de son partenaire » plutôt que « violeur », « personne cherchant à sacrifier sa vie pour démontrer la justesse de ses convictions religieuses » plutôt que « terroriste kamikase », sans oublier « personne ne reconnaissant pas à autrui la légitimité d’exister » au lieu de « raciste » ?
Que signifie cette tendance à l’euphémisation ?
Tout mot peut faire l’objet d’une polémique. Ainsi remplacer le mot dépendance par vulnérabilité peut induire que la personne est la principale responsable de sa fragilité. Si la société pourvoit à des dispositifs qui répondent à sa fragilité, elle ne sera pas vulnérable … On n’en finit plus …
Rappelons-nous Coluche qui expliquait en son temps: « on ne dit plus sourd mais malendant, aveugle mais malvoyant connard, mais mal comprenant ! »
La question centrale est bien de savoir comment se positionner face aux personnes qui partagent avec le reste de la population la même humanité toute en étant atteint d’une déficience : faut-il mettre en avant ce qui nous relie à elles ou ce qui les différencie de nous ? Et si, au lieu d’avoir à choisir l’un des termes de ce paradoxe, nous conservions les deux. On pourrait alors être sourd, aveugle, sdf, délinquant, grabataire, handicapé, allocataire, usager … et garder sa dignité. Ce ne sont pas tant les mots qu’il faut changer mais les mentalités.
Jacques Trémintin
Entièrement d’accord. C’est plus la manière de le dire qui est à travailler.