Rappelez-vous ! En décembre 2023, la remise du livre blanc du travail social au gouvernement marquait une étape importante pour nos métiers. Ce document, élaboré grâce à une large participation des professionnels de l’aide et de l’accompagnement, des employeurs, des syndicats et des personnes concernées, proposait une feuille de route ambitieuse pour revitaliser un secteur en souffrance. Pourtant, plus d’un an après, les promesses ne se sont pas concrétisées. Il y a bien eu une campagne de communication, mais cette action fut ponctuelle et sans lendemain.
Les structures sociales et médico-sociales continuent de faire face à une pénurie de plus en plus importante de professionnels. Les financements sont toujours aussi insuffisants. Les salaires ne sont pas attractifs, les conditions de travail ne changent pas et de nombreux professionnels jettent l’éponge. Certaines institutions recourent à l’intérim. Cela grève leurs budgets et ne règle rien sur le fond.
Le constat est accablant : 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, 2.000 enfants dorment chaque nuit dans la rue et 2,7 millions de demandes de logement social restent sans réponse. Ces chiffres traduisent une précarité galopante que les travailleurs sociaux ne parviennent plus à endiguer. Les équipes sont très souvent en effectif réduit. Elles travaillent dans des conditions dégradées qui compromettent leur mission. Certaines structures, faute de moyens humains et financiers suffisants, sont contraintes de fermer leurs portes. Cette situation nous montre l’urgence d’une action politique forte pour préserver un secteur au bord de l’effondrement.
Des difficultés qui ne sont pas isolées.
Les « galères » que rencontrent les travailleurs sociaux s’inscrivent dans un contexte global où chaque réforme semble complexifier davantage la situation. Le vieillissement de la population illustre parfaitement cette dynamique : alors que le besoin de vieillir dignement à domicile est largement exprimé, le secteur de l’aide à domicile est en pleine crise. Les associations œuvrant dans le champ du handicap ou de l’autonomie font face à des tensions financières similaires. Parallèlement, dans le champ de la santé, les déserts médicaux et sociaux se multiplient, limitant l’accès aux droits fondamentaux pour un nombre croissant de citoyens.
La santé mentale, pourtant désignée grande cause nationale, reste dramatiquement sous-financée. Quant à la protection de l’enfance, elle est aujourd’hui placée dans l’incapacité d’assurer pleinement sa mission première : protéger efficacement les enfants vulnérables, notamment ceux qui sont « signalés » comme étant en danger. Les places manquent. Les assistantes familiales partent à la retraite sans être remplacées, les établissements sont toujours au delà de leurs capacités d’accueil. Ces failles structurelles à répondre aux besoins croissants d’une société en mutation rapide deviennent à terme insupportable et très risquée. Le travail social est pris dans un étau : il doit faire face à une demande accrue tout en disposant de moins de ressources pour y répondre.
Un autre enjeu majeur : la formation des travailleurs sociaux.
Là aussi, les budgets alloués sont largement insuffisants pour répondre aux besoins de recrutement. De nombreux IRTS ont des budgets dans le rouge. Certaines régions se mobilisent, mais d’autres restent insensible à leurs difficultés. Certaines même par soucis d’économie limitent le nombre d’agréments, c’est-à-dire le nombre de futurs professionnels susceptibles d’entrer rapidement dans la vie active. Les centres de formation se sont aussi tournés vers l’apprentissage en créant des CFA. Mais là aussi les annonces gouvernementales prévoient des réductions de moyens.
De plus, l’introduction de Parcoursup a profondément modifié le profil des candidats aux métiers du social. Ces derniers nécessitent souvent un accompagnement renforcé durant leur cursus. Mais les moyens pour assurer cet accompagnement font souvent défaut. Des étudiants se plaignent. Il leur est parfois demandé une autonomie qu’ils n’ont pas, sans oublier celles et ceux qui galèrent et sont en situation de pauvreté qui les obligent à aller Résultat : les taux d’abandon augmentent, fragilisant encore davantage un secteur déjà exsangue.
Comment espérer relever les défis colossaux auxquels notre société est confrontée sans investir massivement dans la formation ? Les formateurs que j’ai pu récemment rencontrer le confirment. Beaucoup d’étudiants manquent de maturité, voire de certaines compétences de base. Sans parler de celles et ceux qui ont fait ce choix de formation par défaut en dernier recours alors que nos métiers demandent de la motivation.
Bref, vous l’avez compris, malgré de beaux parcours ci et là, les centres de formation sont à la peine. Pourtant les professionnels du social sont en première ligne pour accompagner les plus fragiles ; ils méritent des outils adaptés et un soutien institutionnel solide. Et puis ne parlons pas des stages : de nombreux professionnels déjà surbookés renoncent à accueillir un étudiant au regard de la charge non rémunérée que cela représente. Là aussi il y a quelque chose à faire.
Passer enfin des paroles aux actes
Il est temps d’agir. Le Haut Conseil du Travail Social (HCTS) a formulé des propositions concrètes pour sortir le secteur de l’impasse. Parmi elles figurent la révision des ratios d’encadrement pour garantir un accompagnement digne. Il est aussi demandé une réforme des modes de financement afin d’assurer la pérennité des structures sociales et médico-sociales. La création d’un observatoire national dédié aux emplois et compétences apparaît également essentielle pour anticiper les besoins futurs.
Par ailleurs, la mise en place d’un Institut National du Travail Social est aussi attendue avec impatience. Il nous faut absolument valoriser la recherche et renforcer les savoirs de notre secteur. Enfin, il ne faut pas oublier l’annonce il y a quelques mois d’un comité de suivi du livre blanc permettant d’assurer une mobilisation collective autour des priorités identifiées.
Ces mesures ne peuvent plus attendre ; elles doivent être mises en œuvre sans délai si nous voulons éviter l’effondrement d’un pilier fondamental de notre société.
La solidarité est en péril : quel avenir pour notre modèle social ?
Le baromètre des Territoires 2025 révèle que 90 % des Français restent attachés à notre modèle solidarité. Ce n’est pas anecdotique. Pourtant, notre modèle est aujourd’hui menacé par l’inaction politique. Certains nous disent que c’est la faute à l’instabilité et la fragilité du gouvernement susceptible d’être « débarqué » du jour au lendemain. Cependant, il existe bien une majorité à l’Assemblée Nationale pour considérer qu’il faut agir pour une protection des plus fragiles plus efficace. Je m’inquiète quand une commission parlementaire qui va rendre son rapport dans les jours qui viennent se penche sur « les manquements » de la protection de l’enfance.
Vous l’avez compris, la commission ne se penche pas sur nos réussites professionnelles qui, pourtant existent bien aussi. J’entends un directeur de service éducatif me dire qu’un membre de commission lui a dit « attention tout le monde va prendre cher, les associations ne seront pas épargnées ». Évidemment, cela est plutôt inquiétant. Car si la faute est mise sur les professionnels et leurs services, ils auront une raison supplémentaire de quitter le secteur. Et puis il est facile de dénoncer ce qui ne va pas si les moyens ne suivent pas. Si rien n’est fait, ce n’est pas seulement le secteur qui s’effondrera mais tout le système de solidarité sur lequel repose notre cohésion sociale.
Face à cette situation alarmante, il appartient aux décideurs politiques comme aux acteurs du terrain de se mobiliser collectivement. Le travail social n’est pas un luxe ; il est une nécessité vitale pour accompagner les plus vulnérables et garantir une société plus juste et équitable. Il n’est pas hors sol mais au contraire, bien ancrée dans la réalité? Il est temps que chacun prenne ses responsabilités pour redonner aux professionnels les moyens d’agir efficacement.
Le Haut Conseil du Travail Social (HCTS) tire la sonnette d’alarme sur la situation critique que traverse le secteur
Dans une motion adressée au gouvernement, il dénonce les conséquences dramatiques d’un sous-financement chronique et d’une pénurie de professionnels, qui fragilisent les structures sociales et médico-sociales. Face à l’augmentation des besoins – qu’il s’agisse de pauvreté, de protection de l’enfance ou encore d’accompagnement des personnes âgées et en situation de handicap, le HCTS souligne l’incapacité actuelle du système à répondre efficacement. Il appelle à une mobilisation immédiate pour éviter un effondrement du modèle social français, pilier de la solidarité nationale.
Le Haut Conseil propose une série de mesures concrètes et ambitieuses. Parmi elles figurent la révision des ratios d’encadrement pour garantir un accompagnement digne. Il demande la réforme des modes de financement pour sécuriser les structures, et la création d’un observatoire national des emplois et compétences afin d’anticiper les besoins futurs. Le HCTS insiste également sur l’importance de valoriser la recherche dans le secteur via un Institut National du Travail Social et recommande un suivi rigoureux du livre blanc grâce à un comité dédié. Ces propositions visent à restaurer durablement les capacités d’action du travail social tout en répondant aux attentes croissantes des usagers.
La question reste ouverte : nos dirigeants seront-ils capables d’agir avant qu’il ne soit trop tard ?
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Une réponse
Oui ! La situation actuelle est catastrophique !