La fracture numérique est une réalité complexe et multiforme qui touche une part significative de la population française. Selon une étude de la Caisse d’Allocations familiales (CAF), environ 17% des Français, soit près de 14 millions de personnes, rencontrent des difficultés avec le numérique. Cette situation révèle des inégalités profondes et persistantes dans l’accès et l’utilisation des technologies numériques. Les personnes en difficulté numérique ne forment pas un groupe homogène ; elles présentent des profils variés, chacun avec des besoins spécifiques.
Il y a plusieurs années, la CAF avait identifié huit profils types d’allocataires. Tous sont identifiés comme étant en difficulté avec les outils ou avec la règlementation CAF qui, il faut bien le reconnaître, est particulièrement complexe. Cet article se propose de vous les présenter succinctement. Peut-être avez-vous déjà rencontré des personnes qui entrent dans ces catégories. Peut-être aussi vous retrouvez-vous dans l’une d’entre elles.
Il faut toutefois être prudent avec cette forme de catégorisation. En effet, de nombreuses personnes peuvent cumuler certains aspects issus de profil différents. Cette identification n’a qu’un seul objectif, mieux aider les personnes concernées. À vous de me dire ensuite si cette catégorisation initialement identifiée par les services de la CAF est pertinente ou non. Voici ces profils d’allocataires…
Joseph
Regardons la situation de Joseph, le « phobique admin ». Pour lui, l’administration est un véritable cauchemar. Il évite autant que possible les démarches administratives en ligne, préférant déléguer ou automatiser ces tâches.Il est assez autonome dans le maniement des outils, mais il s’agace très vite dès qu’il se trouve face à des réponses « administratives ». Il n’aime pas faire les démarches et ça le stresse.
Pour l’aider, il sera utile de lui présenter les services en ligne comme un moyen de simplifier ses démarches et de minimiser son investissement en temps. Il est essentiel de l’écouter attentivement, de comprendre ses préoccupations et de lui montrer les avantages concrets des services en ligne, comme le fait de ne plus avoir à se déplacer. L’accompagnement doit être personnalisé, en l’aidant à se connecter à son compte et en lui expliquant clairement chaque étape.
Marc
Marc, a le profil et les caratéristiques de la personne « anti-numérique ». Il utilise Internet le moins possible. Il préfère les interactions humaines. Il aime la discussion. Il est autonome, mais n’a aucune confiance dans les outils numériques qui pour lui contribue à déshumaniser nos relations. Il dispose des outils, mais ne souhaite pas les utiliser. S’il le faut, c’est à minima. Contrairement à Joseph, il n’a pas de phobie administrative.
Pour lui, il est important de dédramatiser le numérique en restant factuel. Il s’agit de pouvoir lui expliquer que les démarches particulières sont toujours traitées par des agents humains. Il ne faut pas tenter de le convertir au numérique. Cela ne sert à rien. Il s’agit plutôt lui montrer que les démarches en ligne peuvent faciliter le travail des agents de la CAF. Cela permet aussi d’accélérer le traitement des demandes. Si Marc est d’accord, il est utile de lui montrer le fonctionnement des services en ligne et de l’aider à créer son compte, tout en lui rappelant qu’il pourra toujours contacter un agent en cas de besoin.
Myriam
Myriam, une personne handicapée, a souvent besoin de services numériques adaptés à son handicap. Son lien avec les administrations est vital. Elle aimerait comprendre mais ce n’est pas toujours facile pour elle. Ses contraintes sont multiples. Cela peut être physique, cognitif mais aussi financier ou social. C’est souvent une personne sensible qui a besoin de son entourage mais qui aimerait beaucoup être autonome.
Dans ses démarches, Myriam est souvent accompagnée d’un aidant. Il est important de s’adresser directement à elle et non à son accompagnateur. L’accompagnement doit être personnalisé et respectueux, en utilisant un langage simple et des explications visuelles pour faciliter la compréhension. Pour les handicaps moteurs ou sensoriels, il est important de proposer des dispositifs techniques adaptés. Pour les situations de handicap mental, il faut prendre des précautions dans le langage et la posture, en utilisant des mots simples et des phrases courtes. Les échanges ne doivent pas être trop long. On peut utiliser la méthode FALC (facile à lire et à comprendre) pour être bien compris
Robert
Robert, le « précaire », n’a pas les moyens de se payer une connexion Internet. Il souffre généralement d’isolement. Mais son principal problème est son manque d’argent : il vit la précarité financière. Il manque d’expérience et n’a pas du tout confiance en lui. Il a besoin d’être aidé. Il craint de faire des erreurs et l’internet n’est pas sa priorité, loin de là. D’ailleurs il utilise un matériel ancien qui ne fonctionne pas toujours bien.
Pour l’aider, il faut pouvoir lui garantir l’accès aux services numériques via des partenaires comme les relais CAF ou les maisons de services publics. Il est essentiel de lui expliquer les bénéfices des démarches en ligne et de lui offrir un soutien continu pour les réaliser. Il est également important de l’aider à créer une adresse mail et de l’orienter vers des ressources locales pour accéder à Internet. En cas de situation de grande précarité, il sera utile de lui proposer un rendez-vous avec un technicien – médiateur et de travailler en fonction de l’offre de service de la CAF
Sonia
Sonia, la « novice connectée », est méfiante et peu à l’aise avec les démarches en ligne. Elle est intimidée par les technologies numériques. Elle veut bien faire, mais a peur de se tromper. Elle n’a pas de souci avec l’administration. Elle trouve l’usage de l’internet pratique et dispose du matériel nécessaire. Elle n’ose pas toujours dire qu’elle n’a pas compris.
Un accompagnement pédagogique et rassurant est nécessaire pour lui donner confiance. Il s’agit de lui expliquer les démarches de manière claire. Il est important de vérifier régulièrement qu’elle n’a pas d’autres besoins ou incompréhensions. Il sera utile de lui donner une vision globale de la démarche puis les informations qu’elle doit communiquer (les délais les
prochaines étapes etc.) Elle apprécie qu’on lui explique comment traiter les points de complexité « voici ce dont vous avez besoin pour cette démarche ».
Thomas
Thomas, le « technophile pressé », utilise intensivement les technologies. Oui, mais il s’impatiente en cas de dysfonctionnement. Il préfère les solutions rapides et efficaces.Il a ses propres procédures qui lui permettent d’aller vite. Il a une piètre image de l’administration qui est trop compliquée et qui le freine. Il voudrait que tout se traite via le numérique et les applications en ligne. Il comprend vite et traite ses notifications en continue. Il est sans cesse connecté à son écran. il a eu des expériences antérieures démotivantes ayant conduit un abandon.
Il est important de lui montrer que les démarches peuvent être réalisées facilement en ligne. Il faut pouvoir lui offrir des informations précises en cas de problème. Il est utile de le laisser faire les démarches en autonomie tout en étant disponible pour répondre à ses questions. Les réponses doivent porter plus sur la clarification des règles administratives que sur les aspects tecniques. Il faut reconnaitre que oui, il y a parfois des dysfonctionnements et que le but est de les éviter.
Aline
Aline, est en quelque sorte « apprentie numérique ». Elle souhaite rester en phase avec les évolutions technologiques, mais craint beaucoup de se tromper. Elle préfère être en règle avec l’administration. Pour elle c’est important et elle mesure bien les risques de désagrément. Le changement l’insécurise et elle n’aime pas se trouver dans l’urgence. Elle souhaite garder la maitrise de ce qu’elle fait. Pour elle c’est essentiel. Alors qu’elle maitrise bien les démarches administratives, elle « tatonne » sur Internet et peut perdre ses moyens
Un accompagnement pratique et des explications claires sont nécessaires pour l’aider à s’approprier les outils numériques. Il est important de lui donner des fiches explicatives et des ressources pour une utilisation autonome des services en ligne. Si nécessaire, il est utile de klui donner des contacts de partenaires tels les médiateurs numériques susceptibles de l’aider. Il est possible aussi de lui donner les moyens de mieux se former pour qu’elle ait les bons geste et retrouve la confiance.
Kim
Kim, une personne d’origine étrangère. Elle trouve le système français complexe et est souvent dépassée par le vocabulaire. Elle hésite à faire les démarches seule. Elle ne maitrise pas bien la langue française. Elle vit la précarité et les situations d’urgence et elle ne sait pas quel sera son avenir. Ses besoins sont pressants. Elle fait beaucoup d’efforts pour s’adapter et apprécie d’être aidée. Elle a un smartphone mais pas d’ordinateur à domicile.
Pour l’aider, il est essentiel d’utiliser un vocabulaire simple et des explications visuelles. Il est important de l’accompagner dans les démarches en ligne et de lui fournir des fiches explicatives avec des schémas. Il est utile de lui commenter les différentes étapes réalisées avec elle et de s’assurer de sa bonne compréhension. Il ne faut pas hésiter à lui demander si elle a besoin de plus d’explications. Selon les besoins, il sera utile de reformuler ce qui a déjà été dit.
Chaque situation est particulière
Il existe sans aucun doute de multiples autreprofils de personnes à aider. Ceux présentés ici peuvent paraitre pour certains simplistes voir un peu caricaturaux. Mais cette diversité des profils en difficulté avec le numérique montre que les solutions doivent être variées, adaptées et personnalisées. C’est pourquoi la formation des médiateurs numériques et des travailleurs sociaux nepeut se limiter à l’apprentissage de gestes techniques et standardisés. Il reste essentiel d’être en capacité de proposer un accompagnement adapté.
Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir garantir l’accès aux équipements numériques pour les ménages à bas revenus, par exemple via des chèques-équipement. La fracture numérique ets devenue au fil du temps une cause majeure du non recours aux droits. C’est pourquoi l’inclusion numérique devrait être pensée comme une priorité nationale.Il s’agit tout autant d’accepter que certaines démarches puissent aussi se faire à titre exceptionnel avec des supports « papier ». C’est une alternative qui permettrait non seulement de pallier aux difficulté en cas de panne, mais aussi un moyen de mieux lutter contre les abandons de démarche.
Il est nécessaire de modifier la logique du 100% dématérialisé des services publics par une logique du 100% accessible, en gardant un accès physique ou téléphonique pour ceux qui en ont besoin. La fracture numérique est un problème majeur qui nécessite une réponse collective et coordonnée. Il est plus que temps d’agir pour que personne ne soit laissé de côté dans cette transition numérique.