Rappelez-vous, le 17 mars 2020, la France entrait dans une période inédite de son histoire avec l’instauration d’un confinement national pour lutter contre la propagation du Covid-19. Cinq ans plus tard, alors que la pandémie est loin derrière nous, il est intéressant de se pencher sur l’impact que cette période a eu sur notre mémoire collective et individuelle. On peut dire que nous avons en quelque sorte (in)volontairement oublié ce temps si particulier où nous avons dû faire face à des mesures de restriction. Un article du journal Le Monde signé William Audureau nous explique pourquoi nous avons quasiment mis un voile sur notre mémoire.
Un impact majeur sur notre moral et notre santé mentale
Certaines recherches scientifiques menées depuis montrent que le confinement a profondément affecté nos capacités cognitives et notre perception du temps. Selon une étude de l’université d’Exeter publiée en novembre 2023, les fonctions cognitives des personnes de plus de 50 ans ont subi une « détérioration sérieuse » après le confinement, avec des effets sur la mémoire qui ont perduré plus d’un an.
Ce phénomène s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, le Covid-19 lui-même provoque un « brouillard cognitif » persistant, comme l’a démontré une étude britannique datant de février 2024. Mais au-delà de la maladie, c’est le caractère anxiogène de la crise et l’isolement social qui ont eu un impact majeur sur les capacités de notre mémoire.
Isabelle Rouleau, chercheuse en neuropsychologie à l’Université du Québec à Montréal, interrogée par le journaliste du Monde, explique bien cela. « À la différence du 11-Septembre, le confinement n’est pas un événement, mais une situation de stress chronique sur une longue période. D’un point de vue cérébral, ça n’a pas le même effet ». Le stress, les états dépressifs et l’isolement sont en effet reconnus comme des facteurs accélérant le déclin cognitif.
Une étude néo-zélandaise de juillet 2020 a par ailleurs révélé que les effets négatifs du confinement sur le moral et la mémoire suivaient une courbe en « U ». Très élevés les premiers jours, ils se sont atténués avec l’installation d’une routine. Puis, ils sont repartis à la hausse au bout d’une trentaine de jours, lorsque les niveaux de stress et d’anxiété liés à la privation sociale se sont accentués.
La perte de nos souvenirs
Au-delà de l’impact sur nos capacités cognitives, le confinement a également produit ce que les chercheurs appellent un « blanc mental ». Les journées semblaient se répéter en boucle, sans produire de souvenirs nets. Ce phénomène s’explique en partie par la structure même de notre mémoire, qui imprime davantage les nouveaux événements que les faits routiniers.
L’enfermement a également eu un impact sur notre mémoire spatiale. Comme l’explique Isabelle Rouleau : « Il y a eu un problème d’encodage des souvenirs ». Les déplacements quotidiens, les changements d’environnement, agissent habituellement comme des périodes tampon permettant de consolider la mémoire. Privés de ces stimuli, « nous cultivons une mémoire générique, dans laquelle tous les souvenirs se télescopent », observe la chercheuse.
Comme une envie de tout oublier
J’en avais discuté avec un journaliste du Média Social. Il m’avait confirmé que peu de personnes consultaient les articles liés au Covid-19 et aux différents confinements. C’était comme si, voulant passer à autre chose, les lecteurs faisaient le choix de ne pas revenir sur ce sujet une fois cette période passée. Aujourd’hui encore, il reste difficile d’attirer l’attention sur ce sujet et il n’est pas certain que l’article que je rédige à votre intention soit lu par le plus grand nombre.
Cette perturbation de nos repères temporels et spatiaux a eu pour conséquence de brouiller notre chronologie des événements. Un sondage effectué au Royaume-Uni en 2021 a révélé que 55% des participants avaient du mal à se souvenir à quelle date tel ou tel événement s’était produit pendant la pandémie.
Laurence Monnais, professeure d’histoire de la médecine et de la santé publique, s’en est expliqué au journaliste du Monde. « Dans une telle période de crise, d’angoisse, d’informations très contradictoires, cela devient très difficile de tout placer sur une frise chronologique ». Cette confusion dans le temps est caractéristique des périodes de pandémie, qui ne reposent pas sur des événements aussi nets qu’une déclaration de guerre ou une élection.
Paradoxalement, si le temps a paru s’étirer pendant le confinement, à l’échelle des pandémies, le Covid-19 a été une crise relativement courte. Cette distorsion de notre perception du temps a contribué à brouiller davantage nos souvenirs de cette période. Au-delà de l’impact sur la mémoire individuelle, le confinement a également marqué profondément notre mémoire collective.
Les travailleurs sociaux mis à contribution…
Les travailleurs sociaux, en première ligne pendant la crise, avaient été particulièrement touchés. Comme j’avais eu à le souligner dans mon ouvrage intitulé « les oubliés du confinement », la période a été marquée par un engagement exceptionnel des professionnels du secteur social et médico-social. Un rapport du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) l’avait aussi grandement souligné.
La période du confinement avait aussi révélé de façon évidente les inégalités sociales face à la crise. Les personnes en situation de précarité furent particulièrement vulnérables pendant cette période. Les travailleurs sociaux ont dû redoubler d’efforts pour maintenir le lien avec ces publics fragiles, notamment à travers le développement de nouvelles formes d’accompagnement à distance. Toutes ces personnes avaient été littéralement « oubliées » lors des prises de décision par les autorités.
Sur le plan de l’organisation des soins, la crise a accéléré le développement de la téléconsultation. Entre mars et avril 2020, le nombre de consultations à distance a été multiplié par quinze. Cette évolution rapide des pratiques a eu pour effet d’assurer une continuité des soins, surtout pour les patients atteints de maladies chroniques.
L’impact du confinement sur la santé mentale de la population a été significatif. Une étude menée dans notre pays pendant le premier confinement a montré que 50,6% des participants se sentaient plus déprimés, stressés ou irritables depuis le début du confinement. Ces résultats ont montré l’importance d’une prise en charge psychologique adaptée en période de crise sanitaire. On peut d’ailleurs s’interroger sur les effets à long terme de la population fragile qui n’a pas bénéficié de prise en charge adaptée.
Vous le savez aussi, confinement a eu des répercussions sur les comportements de santé. La même étude a révélé que 22,7% des répondants avaient augmenté leur consommation d’alcool, tandis que 11,2% avaient augmenté leur consommation de tabac. Ces chiffres montrent la nécessité d’accompagner la population dans l’adoption de comportements de santé positifs, même en période de crise.
Et aujourd’hui ?
Cinq ans après, ces changements dans l’organisation du système de santé persistent en partie. La téléconsultation, bien qu’ayant diminué depuis la fin de la crise, reste une option plus largement utilisée qu’avant la pandémie. Cette évolution témoigne de la capacité d’adaptation du système de santé face à une situation de crise.
Le confinement a également eu un impact sur notre rapport au travail. Le développement massif du télétravail a bouleversé les habitudes professionnelles de nombreux Français. Cinq ans plus tard, ces nouvelles formes d’organisation du travail perdurent dans de nombreux secteurs, témoignant d’un changement durable dans notre rapport au travail et à l’espace professionnel.
Sur le plan éducatif, la période de confinement avait démontré les inégalités face à l’enseignement à distance. Les travailleurs sociaux ont eux aussi joué un rôle dans l’accompagnement des familles les plus vulnérables pour maintenir une continuité pédagogique. Cinq ans plus tard, ces expériences ont contribué à repenser les modalités d’accompagnement scolaire et à développer de nouvelles formes de soutien aux élèves en difficulté.
La crise sanitaire avait aussi accéléré la prise de conscience des enjeux environnementaux. Rappelez-vous, la baisse drastique des déplacements pendant le confinement avait eu un impact positif temporaire sur la qualité de l’air dans les grandes villes. Cinq ans plus tard, cette expérience continue d’alimenter les réflexions sur la nécessité de repenser nos modes de vie pour préserver l’environnement. Mais sur ce point, alors que nombreux disaient qu’il y aurait un avant et un après COVID, les déplacements en avion ont repris de plus belle (le train est 3 à 5 fois plus cher) tout comme notre consommation qui génère toujours autant de déchets et de CO2.
Bref, cinq ans après le début du confinement, notre mémoire de cette période reste marquée par cette expérience inédite, mais nous ne souhaitons pas nous en rappeler. Si nos souvenirs individuels peuvent parfois sembler flous ou déformés, l’impact collectif de cette crise continue de façonner notre société. Les enseignements tirés de cette période, tant sur le plan sanitaire que social, économique ou environnemental, continuent d’influencer nos politiques publiques et nos comportements individuels. Le rapport au travail lui-aussi a changé depuis cette période.
Comment garder trace de tout cela ?
C’est désormais aux historiens qu’il revient de démêler ces différents récits pour construire une mémoire collective de cette période exceptionnelle. Un travail d’autant plus complexe que de nombreux témoignages ont déjà disparu d’Internet, effacés des réseaux sociaux ou des plateformes vidéo.
Ceux-ci pourront toutefois les retrouver dans mon livre « les oubliés du confinement ». J’avais, dans cet ouvrage, systématiquement consigné tout ce qui s’était passé pour les travailleurs sociaux et leurs publics en sourçant tous les articles significatifs publiés à l’époque.
Pour ne pas oublier
Entre mars et juin 2020, j’ai suivi tous les effets de cette crise sur l’action sociale, tant du côté des professionnels et bénévoles que des personnes et des familles en difficulté. En m’appuyant sur des témoignages et des reportages, vous trouverez dans ce livre les événements relaté au jour le jour pour chaque population défavorisée. Ce livre rappelle aussi les décisions politiques prises à l’époque. Il souligne la résilience, la richesse et la nécessité des services sociaux, éducatifs et médico-sociaux. N’hésitez pas à vous le procurer.
Cet ouvrage nous interroge sur ce que nous avons vécu. Il retrace ce moment incroyable où nos vies ont basculé dans un monde fait de contraintes et de perte de liberté. C’est aux « oubliés de la France », ces « petites mains » du social qui ont poursuivi leur mission, et aux journalistes qui ont tenté de rendre visible la situation des personnes les plus exclues, que ce livre a été dédié. Pour ne pas oublier.
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