Cet article nous montre que la protection de l’enfance est en crise dans de nombreux pays. Cela s’explique certainement par les effets d’un modèle économique mondialisé. Nous avions parlé par le passé des errements de la protection de l’enfance en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, allons de l’autre côté de la planète avec le Journal The Gardian. Voici un extrait d’un article rédigé par Catie McLeod pour le journal The Guardian.
« Vous seriez horrifié » : le calcul brutal qui décide si les enfants en danger doivent obtenir de l’aide
Le système de protection de l’enfance est tellement mis à rude épreuve que certains dossiers sont simplement marqués « clos » sans que les enfants soient vus du tout, disent les assistants sociaux australiens.
Cela commence par un appel téléphonique. Un garçon de 10 ans appelle pour demander de l’aide parce que sa mère ne s’en sort pas, elle a bu et ne peut pas s’occuper de lui. Un enseignant appelle, inquiet au sujet d’un élève qui manque régulièrement l’école. Un voisin sonne parce qu’il y a souvent des cris à côté et les parents des enfants qui habitent là ont recommencé à se droguer.
La ligne d’assistance téléphonique pour la protection de l’enfance de Nouvelle-Galles du Sud reçoit des centaines de milliers d’appels chaque année. Ils proviennent en grande partie d’enseignants, de médecins et de policiers qui soupçonnent que les enfants risquent d’être maltraités et négligés. Si un enfant est en danger, tout un dispositif est conçu pour lui permettre de l’aider. Lorsque les appels au service centralisé sont finalement triés, « comme dans un hôpital », les signalements sont transmis aux bureaux du ministère des Communautés et de la Justice.
C’est ici qu’intervient un calcul brutal.
Il peut y avoir des dizaines d’enfants en danger, mais souvent les agents du DCJ ne peuvent choisir qu’un seul appel auquel répondre. S’agira-t-il du bébé né d’une mère célibataire souffrant de problèmes d’addiction, ou de l’adolescent qui se fait du mal et s’enfuit ? L’enfant qui arrive à l’école avec des bleus, ou aucun d’eux ?
Les rapports non pris en compte portent la mention « clôturé en raison de priorités concurrentes ». Personne ne leur répond. Comme le dit un travailleur social : « Vous seriez horrifié si vous voyiez les dossiers qui ont été fermés. »
Les retards de traitement sont tels que même les appels les plus sérieux peuvent rester sans suite pendant des semaines, voire des mois. Durant cette période, les enfants peuvent être blessés, subir une grave négligence ou être témoins de violences qui les affecteront à vie.
Plus de 112.000 enfants étaient considérés comme étant exposés à un risque de préjudice important au cours des 12 mois précédant juin 2023. Seul un quart d’entre eux ont bénéficié d’une évaluation faisant suite à une ou plusieurs visistes à domicile.
Les 84.000 autres ont vu leur dossier classé. Le vérificateur général de Nouvelle-Galles du Sud a constaté que le service de protection de l’enfance n’avait effectué aucun suivi auprès d’aucun de ces enfants. Il ne sait pas ce qui leur est arrivé .
Ce sont les enfants abandonnés. Ils sont abandonnés par un système que les travailleurs sociaux disent être en crise en raison du sous-financement, du manque de personnel et de la privatisation des soins hors du foyer. Mais même des enfants qui ont bénéficié d’une évaluation ne voient venir aucune mesure ni aide. Généralement pour les mêmes raisons.
« Je ne peux plus vraiment me regarder dans le miroir »
Michael Smart a quitté le service de protection de l’enfance l’année dernière après avoir retiré un bébé à une mère de 19 ans. C’est une affaire qui a failli le briser. Il a vu comment le système pouvait punir ceux qui avaient demandé de l’aide. La jeune femme avait demandé à une infirmière de l’aider car elle avait peur d’en arriver à secouer son bébé.
Michael Smart a retiré « de nombreux » enfants de leurs familles au cours de sa carrière de plus de 20 ans en tant qu’assistant social. Il affirme que ce fut la première fois qu’il a estimé qu’un tel retrait était « complètement erroné ». « Cette jeune femme, elle n’avait pas de partenaire », raconte-t-il. « Elle n’avait aucun soutien familial. Elle avait accouché toute seule. Et quelques semaines plus tard, elle a essayé de demander de l’aide. L’évaluation a été que cette jeune femme était capable de s’occuper de cet enfant, mais avait simplement besoin d’aide ».
Son bébé lui a été retiré parce qu’elle n’avait pas de famille vers qui se tourner – ses deux parents avaient « d’importants problèmes d’alcool » – et parce que le ministère n’avait pas la capacité de la soutenir. « C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je ne pourrais jamais retourner dans mon service », explique Michael. « Je ne pouvais pas après cela me regarder dans le miroir. » …/… « Elle avait identifié qu’elle était en difficulté, ce qui est… une force. Elle a demandé conseil, elle a cherché de l’aide – mais elle a été pénalisée parce qu’elle avait 19 ans et qu’elle n’avait personne pour l’aider. Mais le gouvernement n’allait pas non plus l’aider ».
Le système de protection de l’enfance de l’État vise à maintenir les familles ensemble autant que possible. Il vise à soutenir ceux qui sont en difficulté, à soustraire les enfants du danger et à prendre soin d’eux s’ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Il est censé contribuer à rendre leurs vies plus sûres, afin qu’ils puissent retrouver leur famille. Au cours du second semestre 2023, 78 bébés ont été retirés à leur mère au cours de leurs deux premières semaines de vie. Cela représente près de trois par semaine.
Une histoire qui se reproduit à travers le pays.
En 2022-2023, selon l’Institut fédéral de la santé et du bien-être social, environ un enfant australien sur 32 a été en contact avec les services de protection de l’enfance. Dans toutes les statistiques, les enfants autochtones sont touchés de manière disproportionnée. Il sont les premières victimes d’une système dysfonctionnnant.
En 2022, une Commission d’évaluation a déclaré que les délais de réponse étaient les plus longs depuis plus d’une décennie. En 2023, le Gouvernement fédéral a ajouté les travailleurs sociaux à sa liste des pénuries de compétences. Ils sont dans le palmarès des professions que les employeurs ont de plus en plus de mal à recruter.
Les professionnels des services ont alerté les journalistes du Guardian Australia sous couvert d’anonymat parce qu’il ne leur est pas autorisé à parler aux médias. Ils affirment que certains bureaux manquent tellement de personnel qu’ils peuvent à peine répondre aux rapports transmis. « Si le public assistait à une réunion d’attribution et réalisait ce que nous n’attribuons pas, il serait absolument horrifié », déclare à la journaliste un travailleur social. « Ils parcourent tous les rapports et disent : « OK, nous n’avons qu’un seul travailleur social qui a la capacité d’intervenir et nous avons 40 rapports, alors, lequel allons-nous choisir ?
« Il peut s’agir d’adolescents qui consomment des drogues, conduisant à des psychoses et ayant un impact sur le développement de leur cerveau. Il y a aussi la violence domestique. Vous pouvez avoir des enfants voyant leurs parents s’étouffer, jeter des objets, tenir le bébé en criant et hurler, menacer avec une arme. Des mères sont dans l’incapacité de protéger leur enfant, car elles sont en mode survie. Et quoique fasse la mère, l’homme peut être coercitif et contrôlant, surveillant où elle se trouve, contrôlant tous les aspects de ce qu’elle fait.
Un manque de ressources endémique
Michael Smart affirme que les travailleurs de la protection de l’enfance subissent une pression extraordinaire et que le manque de ressources a atteint un point critique. Il est maintenant organisateur au sein de la Public Sector Association (PSA), un syndicat qui représente le personnel de la protection de l’enfance et d’autres fonctionnaires.
Encouragé par le succès obtenu par les syndicats d’enseignants et d’ambulanciers paramédicaux qui ont obtenu des augmentations de salaire en 2023, le PSA a appelé les travailleurs sociaux à voir leur salaire revalorisé. Cela se traduirait par une augmentation de 10.000 $ pour les débutants, qui sont payés en moyenne 79.302 $ et doivent presque toujours avoir obtenu un diplôme de quatre ans en travail social ou en psychologie.
Le gouvernement a alloué 244 millions de dollars au cours de l’année prochaine pour sortir les enfants des hébergements d’urgence et recruter davantage de familles d’accueil. Mais le budget ne prévoit pas de financement pour répondre aux revendications du syndicat concernant une augmentation de salaire et l’embauche de 500 travailleurs sociaux supplémentaires. Les négociations se poursuivent.
Le Gouvernement a reconnu que les faibles taux de réponse aux signalements d’enfants risquant de subir des préjudices importants reflètent un manque de personnel. Il y avait 233 postes d’assistants sociaux non pourvus dans tout l’État de Nouvelle-Galles en mars. Pendant des mois, il n’y avait que deux assistants sociaux à Ballina (24.000 habitants en 2016) disponibles pour répondre aux nouveaux signalements. Ils ont même dû acheter leur propre papeterie, tellement ils manquent de moyens, explique un employé.
Le recours aux agences privées
Fin 2022, le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud a attribué à une ONG « Ngunya Jarjum » un contrat de cinq ans d’une valeur de plus de 63 millions de dollars. Life Without Barriers – une organisation caritative présente dans tout l’État – a obtenu un contrat pour la même période d’une valeur de plus de 705 millions de dollars. C’est une somme d’argent énorme. Au total, le gouvernement a dépensé 1,9 milliard de dollars en soins hors domicile en 2022-2023.
Les travailleurs sociaux affirment que cette sous-traitance signifie que les enfants sont souvent retirés d’une situation de négligence pour ensuite être jetés dans une autre. Ils indiquent que certaines agences « sélectionnent » les cas : un bébé ou un jeune enfant sera plus facile à placer dans une famille d’accueil et coûtera moins cher qu’un enfant plus âgé handicapé. « Vous retirez [des enfants] de la famille parce qu’ils sont en danger. Et puis on les met dans des situations tout aussi dangereuses et on les laisse. Je me demande quel sera ce coût à long terme » explique un autre assistant social. Les litiges auxquels le Ministère s’expose sont énormes.
En mars, la ministre de la Famille, Kate Washington, a révélé au parlement de Nouvelle-Galles du Sud que le gouvernement avait commencé à suivre certaines ONG de soins hors domicile parce qu’elle était très préoccupée par la qualité des informations qu’elles fournissaient à son bureau et aux magistrats . Les assistants sociaux, qui représentent le ministre dans les affaires judiciaires liées aux enfants qui ont été retirés de leur famille, soulèvent des préoccupations similaires.
La ministre a déclaré que près de 100 % des informations sur les enfants pris en charge que son département recevait n’étaient pas exactes. Les travaillistes ont reproché à la coalition de lui avoir laissé un système « brisé ». La porte-parole de l’opposition chargée des familles, Natasha Maclaren-Jones, affirme que les postes vacants d’assistants sociaux ont augmenté sous le régime travailliste. Bref le débat et devenu politique et le scandale est grand.
Note : cet article est un court extrait traduit d’une enquête au long cours réalisée par Catie McLeod publié le 15 aout dernier dans The Guardian Australia. Il serait intéressant de le traduire dans son intégralité tant les témoignages sont forts et documentés. Voici le lien initial qui mène à l’article original :