Mais que vient faire « l’humanité » dans notre travail ? Le site anglais « social care future » que vous pouvez traduire de façon littérale comme « l’avenir des soins sociaux » nous rappelle que le travail social s’inscrit dans le champ du soin. Le soin social, non médical. Il est utile de le rappeler. En France la protection sociale est un ensemble de prestations qui vise à apporter aux plus faibles ce que les plus fortunés peuvent s’offrir. Ce sont des prestations versées directement aux ménages, qui peuvent être en espèces (pensions de retraite) ou en nature (remboursements de soins de santé).
N’oublions pas aussi qu’il existe une d’autres formes de prestations : celles des services dits « sociaux », qui désignent l’accès à des services, soit gratuitement soit à prix réduit ou gratuitement (crèches, services aux personnes âgées et handicapées, PMI , etc.)
Parmi elles, il existe une « prestation » de service social particulière et unique. Jusqu’à aujourd’hui gratuite, elle concerne l’accueil, l’écoute et l’accompagnement par un travailleur social de toute personne qui en exprime le besoin, quelle que soit sa situation. Jusqu’à présent, les services sociaux des Départements, les CCAS, certains services sociaux spécialisés sont ouverts à tous. Certes, une attention prioritaire est portée sur la population la plus fragile, celle des « sans » (sans emploi, sans ressources suffisantes, sans logement, sans autonomie…) car tous peuvent être touchés par des « accidents de la vie ».
Nous sommes désormais entrés dans l’ère du « serviceland »
C’est ce que nous dit « social care future« . Nous sommes à l’ère des services à la personne et aux citoyens. Une ère qui serait gouvernée par des gardiens d’une économie financière qui comptent et demandent des comptes. Ces gardiens de l’orthodoxie libérale demandent aux services sociaux de répondre à une logique de rationalisation, dans un souci d’efficacité et de recherche de résultats probants.
Les services sociaux en Angleterre sont devenus une industrie, nous dit Sam Sly. Cela explique pourquoi leurs interventions comme en France sont en train de se « marchandiser », un vilain terme réducteur qui veut dire que l’intervention des travailleurs sociaux ne se réduiraient plus qu’à la somme des actes qu’ils posent. Des actes précis et identifiés qui peuvent être comptabilisés, et évalués comme c’est le cas pour l’hôpital. Ces services peuvent aussi être mis en concurrence et « externalisés ». Si ce qui est attendu n’est pas satisfaisant (entendez par là coûte trop cher ou ne répond pas à des résultats quantifiables), il y a alors une mise en concurrence s’inscrivant une logique d’appel d’offre.
« D’après mon expérience, il n’y aura jamais assez d’argent à injecter dans la santé et les services sociaux pour apporter à la population tout ce dont elle a besoin. En fait, je dirais que même s’il y avait une baguette magique qui apporte une réponse financière à toute demande, cela ne changerait pas de manière significative l’avenir ». précise Sam Sly. Certes, cela apporterait plus de réponses concrètes à certains besoins fondamentaux, mais nous créerions en parallèle plus de dépendance.
Le service ne suffit pas, il y a autre chose d’essentiel
Bien sûr, il faut de l’argent pour éviter l’exclusion, pour les impayés de loyer, pour les dettes qui s’accumulent, les impayés d’énergie, les besoins indispensables. Mais cela ne peut suffire. Il y a autre chose d’essentiel. Cet essentiel là est porté par les travailleurs sociaux. Du moins certains d’entre eux, pas tous malheureusement.
Il y a celles et ceux qui se contentent de gérer des prestations, ce qui, entre nous, n’est pas négligeable évidemment. C’est même nécessaire tant l’accès aux droits est devenu complexe et les aides si limitées. Nous sommes obligés de prendre en compte ce besoin d’autant plus que cela fait partie de nos missions. Mais les travailleurs sociaux peuvent « se noyer » dans le maquis administratif, les outils en ligne, les réglementations sans cesse changeantes. Ils peuvent ainsi oublier l’essentiel du pourquoi il leur a fallu plusieurs années de formation.
Cet « essentiel » est dans la relation à l’autre. Une relation professionnelle solide qui ne s’arrête pas à la première difficulté rencontrée. Une relation qui ne juge pas, qui sait faire confiance et surtout qui sait écouter et prendre en considération ce qui est dit. Une relation qui prend en compte les émotions de chacun, mais qui ne se laisse pas porter par celles-ci. Une relation qui ramène sans cesse le sujet à la réalité et à sa capacité de faire des choix même lorsque rien ne parait possible et que le chemin semble tout tracé. Oui, les travailleurs sociaux sont des professionnels de la relation à l’autre.
Des gestes d’humanité
Les travailleurs sociaux sont aussi des donateurs. Ils apportent dans un cadre professionnel des gestes d’humanité de personne à personne. Ils redonnent confiance, plantent en vous une petite graine. Ils peuvent parfois changer le cours d’une vie. Ce sont des professionnels dont vous pourriez vous rappeler longtemps plus tard si la petite graine qu’ils ont laissée en vous a germé et vous a permis de reprendre en main votre vie.
Comme pour l’enseignant dont on se souvient 20 ans plus tard, parce qu’il était à l’écoute et nous a profondément transmis ce quelque chose qui nous a marqué, le travailleur social peut apporter ces petites choses qui font la différence. Les gens se souviennent souvent de quelqu’un qui a fait preuve d’attention, de compassion, d’empathie, de compréhension. Cela peut avoir un effet d’entraînement. Cette façon d’agir peut rendre tout le monde plus enclin à agir avec humanité envers les autres.
A l’inverse, le jugement, le manque de reconnaissance ou d’intérêt, l’instrumentalisation de l’autre, donne des résultats qui peuvent être effroyables tant ils peuvent créer des blessures profondes. Il faut parfois des années pour s’en remettre. On se souvient aussi de celles et de ceux qui nous ont maltraité. A l’inverse, celles et ceux qui à un moment se sont inscrits dans les logiques et des demandes de services et de prestations se souviennent aussi des professionnels qui ont agi avec l’humanité. Ce sont bien les actes d’humanité donnent de l’espoir et de la force.
C’est à mon sens là l’avenir du service social dans un monde qui peut avoir tendance à se déshumaniser et à remplacer la relation par la prestation alors que les deux sont utiles et ne sont pas à mettre à la même place. Mais comment faire ?
Il suffirait de décider individuellement et collectivement d’enraciner tout ce que nous faisons dans des actes porteurs d’humanité. Mais qu’est-ce qu’être humain et agir avec humanité ? A vous de trouver votre voie sur ce sujet, mais au fond de vous, vous savez bien de quoi il s’agit. Pour ma part, il s’agit de reconnaître l’autre comme un autre soi-même, malgré ses (grandes) différences. C’est aussi agir auprès de lui comme vous souhaiteriez qu’on le fasse pour vous si vous étiez dans la même situation.
C’est un rêve ? Peut-être. Réalisable? Absolument.
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