Didier Dubasque
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Comment sous-traiter la protection sociale au détriment des plus vulnérables : Une entreprise française menacée de sanctions en Angleterre

Je vous ai  fait part récemment d’un risque un peu particulier et assez invisible qui concerne la population la plus fragile et notamment la plus  pauvre.  Aux Etats Unis, l’utilisation des algorithmes dans des programmes dits « sociaux » peuvent aller à l’encontre de la population la plus fragile. Cette possibilité  est particulièrement bien décrite par Virginia Eubanks. Elle a constaté que certains logiciels qui croisaient des données avec des délais de réponses très court permettaient de sortir rapidement les personnes des dispositifs d’aide sociale. Cette réalité a concerné des personnes vulnérables qui ne demandaient ensuite plus accès à leurs droits. C’est ainsi que la grande exclusion se développe encore aujourd’hui dans ce pays. Le contexte est particulier certes, avec la réduction drastique des budgets sociaux engagée par  l’administration Trump.

Le même phénomène ou presque s’est déroulé en Angleterre, mais cette fois-ci ce sont les personnes handicapées qui en font les frais.  Un article publié il y a 3 ans par l’observatoire des multinationales,  indiquait que le gouvernement britannique sous-traitait la gestion des évaluations d’aptitude au travail des handicapés à la firme française de services informatiques Atos. L’ objectif quasi avoué était de réduire drastiquement le nombre des bénéficiaires des minima sociaux. L’entreprise s’était  retrouvée sous le feux des critiques. Il semble que cette manipulation des données ait continué jusqu’à aujourd’hui.

ATOS multinationale française  dirigée par l’ancien ministre des Finances et PDG de France Telecom Thierry Breton, s’était vue confier une partie de la gestion de la protection sociale des handicapés, notamment l’évaluation de l’aptitude au travail des bénéficiaires d’allocation. La firme française recevait chaque année 110 millions de livres par an (134 millions d’euros) du Département du travail et des retraites britannique (Department of Work and Pensions, DWP) pour réaliser ces évaluations.

Ce qui fait scandale sont les chiffres publiés depuis l’arrivée d’Atos dans ce business. Plus de la moitié des demandes d’allocation handicapé ou leur renouvellement avaient été refusées en première instance...  L’observatoire des multinationales précisait sur son site : « les critiques pleuvent contre les méthodes employées par Atos : handicapés forcés à travailler et poussés au suicide, processus bureaucratiques kafkaïens, trucages des évaluations… En Grande-Bretagne, l’entreprise semble désormais faire l’unanimité contre elle. Au nom de la « culture du chiffre » et la « rationalisation » des services publics, le « produit » vendu par Atos au gouvernement britannique n’est rien d’autre, selon ces critiques, qu’une machine bien huilée et dépourvue d’états d’âme de réduction des budgets sociaux ».

Des experts indépendants avaient aussi mené une évaluation du système : Le bilan du rapport Litchfield, quatrième bilan annuel indépendant de l’évaluation d’aptitude au travail concluait : « il reste des motifs d’inquiétude considérables quant à la capacité du système actuel à opérer de manière optimale pour [les personnes souffrant de problèmes de santé mentale], ce qui se traduit dans le niveau important de décisions rejetées en appel pour des personnes souffrant de pathologies mentales ».

Plus grave encore, l’affaire éclate aujourd’hui : les évaluateurs d’Atos ont été accusés de  de manipuler des informations pour refuser artificiellement le droit à l’allocation pour atteindre les cibles fixées par le gouvernement.

En tout cas les personnes handicapées anglaises viennent de remporter une victoire en ce début d’année 2018 : Les nouvelles règles sur les prestations d’invalidité ont été jugées illégales et «manifestement discriminatoires» par la Haute Cour  de justice de ce pays. Les personnes dans l’incapacité psychiques d’organiser leurs déplacements voyaient leur allocations handicapées diminuer en considérant que leurs besoins étaient moindre. La faute au final est retombée sur un haut fonctionnaire qui estimait que les personnes souffrant de détresse psychologique «avaient généralement un besoin fonctionnel inférieur» Ce n’était «qu’une opinion subjective ou une hypothèse» et une «affirmation généralisée» sans « Base factuelle ou probatoire » a dans un second temps déclaré le secrétaire d’Etat au travail et aux retraites .

Mais le scandale continue ce mois-ci en Angleterre. : «Des révélations vraiment effroyables montrent que le Département du Travail et des Pensions subvertit la justice» 

Que disent ces nouvelles révélations ? : « En mai de l’année dernière, les demandes d’accès à l’information ont révélé que le Département du Travail et des Pensions fixait aux entreprises des objectifs pour rejeter 80% des appels de sécurité sociale au réexamen obligatoire.Les  juges ont annulé plus de 67 pour cent de ces décisions initiales.  » Les données ont révélé des preuves «dévastatrices» de résultats «choquants» de la part des entrepreneurs DWP Capita et Atos dans la réalisation des évaluations PIP en 2016. Au cours de la dernière année, le DNS a également entendu environ 300 demandeurs personnes handicapées qui ont décrit leurs expériences d’évaluation considérés malhonnêtes alors qu’elles étaient menées par Capita et Atos, les 2 firmes privées sous contrat gouvernemental. Un député de l’opposition a écrit à la ministre pour les personnes handicapées pour lui demander comment elle envisage de pénaliser les entrepreneurs publics Atos et Capita, après les révélations  » sur leurs échecs « choquants » dans l’évaluation des prestations d’invalidité.

A force de chercher à faire des économies partout ce sont les plus pauvres ou encore les personnes handicapées qui en ont fait les frais même si elles ont obtenu finalement gain de cause après un long combat. Cela se passe en Angleterre. Prenons garde que ce mode de gouvernance n’arrive pas en France. Cette mésaventure ne risque-t-elle pas d’arriver ici en France dans les années qui viennent ? Les programmes existent même s’ils ont dû être modifiés depuis et ce sont des entreprises françaises qui les mettent en oeuvre. Il y a là de quoi s’interroger.

 

photo issue du site de Johnny Void

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