RSA en retard, contrôle social, financement et dignité : la CNAF dans plusieurs impasses

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Le revenu de solidarité active (RSA) est censé garantir un filet de sécurité à celles et ceux qui traversent des périodes de précarité. Pour autant, il n’a jamais été aussi difficile de le percevoir sans risques de se retrouver démuni.  Entre retards de versement et contrôles renforcés, les allocataires sont pris dans un étau, tandis que les travailleurs sociaux s’épuisent à réparer les failles d’un système qui, paradoxalement, prétend lutter contre la pauvreté tout en la renforçant. À travers l’exemple de Gaël et les témoignages recueillis par des collectifs citoyens, cet article vous propose de mieux comprendre ce qui se passe dans les arcanes du RSA. De qui parlons nous ? Il s’agit des allocataires du RSA socle pour les personnes qui n’ont aucun revenu » ou du RSA activité pour les travailleurs aux revenus trop faibles.

Quand la machine administrative déraille

Un article du Monde nous présente l’histoire de Gaël, allocataire de Seine-Maritime. Il a scrupuleusement rempli sa déclaration trimestrielle de ressources. Pourtant, au lieu du versement habituel, il découvre que son RSA est suspendu pour « ressources trimestrielles non fournies ». Après une série de démarches – courriels, réclamations, appels – il apprend qu’il s’agit d’un incident technique. Malgré une note d’urgence, le versement tarde à arriver, le plongeant dans l’incertitude financière.

Son cas n’est pas isolé. Les informations du collectif citoyen Changer de cap et du Monde, ont révélé qu’entre 4.000 et 5.000 allocataires (le chiffre n’est pas certain, cela peut être beaucoup plus) ont été concernés par ces retards dans tous les départements métropolitains. Les groupes d’entraide en ligne regorgent de témoignages similaires, révélant l’ampleur d’une crise silencieuse qui touche les plus fragiles.

Contacté par le journnal Le Monde, le service communication de la CNAF reconnaît un problème informatique, à l’origine de ces retards. « Le problème est survenu dans le contexte du préremplissage des déclarations de ressources trimestrielles » est-il précisé à la journaliste .

Que se passe-t-il ? Du côté des allocataires du RSA, c’est la panique. Aucune ressources pour payer les charges incompressibles. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il s’agit d’un indu ou d’un contrôle CAF débouchant sur une coupure de leurs droits alors qu’il n’en est rien.

L’automatisation et ses limites

Vous le savez si vous lisez régulièrement ce blog, La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a déployé ces dernières années des algorithmes de ciblage antifraude, censés rationaliser la gestion des aides et lutter contre les abus. Or, ces outils, loin d’être infaillibles, produisent des effets pervers : déclenchement de contrôles à la moindre variation de ressources, suspension automatique des droits et multiplication des erreurs administratives.

Le collectif Changer de cap et de multiples autres associations, ont saisi le Conseil d’État contre ces algorithmes qui attribuent un score de risque aux allocataires et déclenche les contrôles à partir de son résultat. Il dénonce une logique de suspicion généralisée. Pour les allocataires, chaque changement – même minime – devient source d’angoisse. Pour les travailleurs sociaux, l’accompagnement se transforme en course contre la montre pour rétablir des droits injustement suspendus, au détriment du travail d’écoute et de soutien.

La CNAF est complètement dépendante de services informatiques souvent externes à l’institution. Leur mission est éminemment complexe. Actuellement, il s’agit de mettre en place la solidarité à la source, dont le directeur a largement vanté récemment les avantages. Ce préremplissage des déclarations trimestrielles de ressources pour le RSA et la prime d’activité est effectif depuis le mois de mars. Il est opéré par la récupération automatique des données de revenus directement auprès des employeurs via le Dispositif de ressources mensuelles (DRM).

Le système informatique de la CNAF est donc directement impacté par le nouveau dispositif. Son déploiement s’accompagne de bugs provoquant des incohérences qui vont jusqu’à priver certains allocataires de leurs droits ou à les perdre en route pour les personnes dont les revenus ne peuvent pas être récupérés automatiquement (artistes-auteurs, gérants salariés, travailleurs indépendants…). Comme on l’a vu, une défaillance dans un système informatique provoque le désarroi de milliers de personnes et familles qui ne comprennent pas ce qui se passe.

La CNAF dans une impasse

La CNAF, institution centrale de la protection sociale, se retrouve aujourd’hui tiraillée entre deux logiques : celle de la gestion en flux tendus des 13,5 millions de foyers allocataires avec des enjeux financiers considérables, et celle de la gestion au cas par cas, qui vise à soutenir chaque ayant-droit. Rien n’est simple et l’institution doit faire face à trois défis majeurs.

Le premier est celui d’une gestion adaptée dans une législation complexe. Celle-ci est aujourd’hui pensée pour exclure celles et ceux qui ne rentrent pas ou mal dans les clous du respect des nouveaux contrats d’engagements qui ne sont plus réciproques, dans le cadre du RSA conditionné à des heures d’activité. Toute la responsabilité repose sur les épaules de l’allocataire du RSA alors que par le passé il y avait un partage des responsabilités entre le demandeur et l’État représenté par les Départements.

Le second est économique : ainsi le ministère du Budget ne veut pas que des actions de lutte contre le non-recours se développent. Il n’est pas question de financer des dizaines de milliers de demandes nouvelles au bénéfice de personnes et de familles qui y ont droit. Les sommes ne sont pas inscrites au budget de l’État. Si la solidarité à la source simplifie la gestion et permet à tous les ayant droits d’être recensés et payés, il va y avoir une augmentation conséquente du nombre d’allocataires. Cela aura un coût qui déplait fortement à Bercy puisque c’est État qui finance la prime d’activité (et les Départements le RSA).. Le ministère des Finances refuse et bloque toute augmentation de dépenses.

Pour être plus précis, c’est surtout le non-recours sur la prime d’activité qui est repérable avec la solidarité à la source. En effet en ce qui concerne le RSA socle, les personnes n’ont pas, de toute façon de revenus déclarés. Elles sont plus difficiles à identifier. Des sources bien informées expliquent que  la prime d’activité est dans le collimateur de Bercy en vue de réaliser les prochaines économies budgétaires. Cela au moment même où la CNAF expérimente un outil sur ce sujet.

Le troisième défi est conflictuel : les Départements à majorité de droite ont refusé de financer la récente revalorisation du RSA programmée par l’État. Pourtant, il a bien fallu payer les hausses  d’une prestation passant pour une personne seule de 635,70€ à 646,52€ le 1er avril dernier. La CNAF s’exécute et se retrouve avec un découvert important.

Ces impayés dus à la revalorisation ne sont pas encore comptabilisés. Dans cette situations, la CNAF va faire appel aux préfets qui ont la possibilité d’intègrer « de force » une ligne de dépense supplémentaire dans le budget des départements mauvais payeurs. Il faut rappeler aussi que les Départements se sont opposés à la solidarité à la source qu’ils estiment prématurée. (Leur avis défavorable est paru le 14 février dernier et le décret portant généralisation des déclarations préremplies le 25 du même mois).

Les travailleurs sociaux : gardiens de la dignité

Face à cette tension croissante, les travailleurs sociaux jouent un rôle de rempart. Ils sont très souvent les premiers à alerter sur les conséquences dramatiques des retards de paiement : loyers impayés, difficultés à se nourrir, sentiment d’abandon.

Ils sont obligés de réorienter leur travail afin de rétablir le dialogue entre les usagers et les CAF départementales. Il leur faut démêler les fils d’une bureaucratie devenue kafkaïenne, et à rappeler que derrière chaque dossier, il y a une histoire, une vulnérabilité, une dignité à préserver.

Enfin, ils ne sont pas systématiquement informés de ce qui se passe. Ils doivent alors chercher avec les usagers l’origine des dysfonctionnements ou de l’indu. À chaque fois, c’est d’abord l’allocataire qui est suspecté de s’être trompé ou d’avoir fraudé.

Des conséquences invisibles et bien réelles

Un retard de versement du RSA ne se limite pas à une question de trésorerie. Il peut signifier l’impossibilité de payer un loyer, de se nourrir correctement, de maintenir un minimum de stabilité. Pour de nombreux allocataires, le RSA représente la dernière digue avant l’exclusion totale. Les idéologues de droite font ceux qui ne veulent pas comprendre. Ils continuent de fustiger les allocataires des minimas sociaux en les accusant de ne pas chercher de travail comme si celui-ci allait tout résoudre.

Les travailleurs sociaux, quant à eux, sont en première ligne. Ils doivent alors mobiliser des dispositifs d’urgence, solliciter des aides exceptionnelles, accompagner dans les démarches de recours.

Ces situations génèrent une charge émotionnelle et administrative considérable, tant pour les usagers que pour les professionnels. Elles contribuent à alimenter un sentiment d’injustice, de stigmatisation, et de défiance envers les institutions. Les travailleurs sociaux, eux, s’efforcent de restaurer la confiance, de rappeler que l’accès aux droits n’est pas une faveur, mais un principe fondamental de solidarité.

Quand va-t-on réhumaniser l’action sociale ?

Face à ces constats, cette question s’impose avec force. Remettre l’humain et le droit au cœur de l’action des CAF, comme le revendique Changer de cap, suppose de repenser les logiques existantes. Il est nécessaire aujourd’hui de simplifier les procédures et d’investir dans l’accompagnement plutôt que dans la suspicion. Quand va-t-on prendre en considération les allocataires du RSA comme des citoyens qui méritent d’être respectés dans leurs droits et leurs démarches. Ils sont sans cesse accusés des pires maux.

Les travailleurs sociaux portent cette exigence au quotidien. Ils plaident pour une meilleure formation des agents, une plus grande transparence des algorithmes, et une réelle prise en compte des situations individuelles. Leur expertise, fondée sur l’écoute et la proximité, est un atout majeur pour prévenir les ruptures de droits et accompagner les parcours de vie. Mais leurs avis ne sont pas suffisamment pris en considération

Un appel à la mobilisation collective

La crise actuelle du RSA révèle les fragilités d’un modèle social en quête de sens. Elle invite à un sursaut collectif, à une réflexion sur la finalité même de l’aide sociale. Les travailleurs sociaux, loin d’être de simples exécutants, sont des acteurs de transformation. Ils rappellent que la solidarité ne se décrète pas dans les logiciels, mais se construit dans la relation humaine, dans la reconnaissance de l’autre, dans l’engagement pour l’égalité.

Il appartient à chacun – citoyens, décideurs, professionnels – de défendre une vision de l’action sociale fondée sur la dignité et la justice. Les retards de versement du RSA, loin d’être de simples incidents techniques, sont le symptôme d’un système à bout de souffle. Il est temps de redonner toute leur place à celles et ceux qui, chaque jour, font vivre la solidarité sur le terrain.

Sources
  1. RSA : 4 000 à 5 000 allocataires subissent un retard de versement | Le Monde
  2. Remettre l’humain et le droit au coeur de l’action des CAF | Changer de Cap

 

Je vous donne aussi rendez-vous en visio avec le collectif « Changer de Cap » ce soir  lundi 19 mai de 18h à 20h. Ce sera l’occasion d’une large discussion sur la question de la dignité humaine à l’heure des maltraitances institutionnelles. Inscrivez-vous ici, c’est gratuit !

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Note : je suis membre de l’association « Changer de Cap » que je vous invite à rejoindre en cliquant sur ce lien.

Photo : l’accueil CAF à Saint Nazaire D.Dubasque

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2 réponses

  1. Bonjour on m’a coupé le rsa car c’est en cours de verification et la j’ai recu un avis d’expulsion.
    cette reforme rsa m’a mis a la rue.
    ON DEVRAIT FAIRE DES MANIFESTATIONS DANS CHAQUE VILLE SANS RELACHE…. On doit les avoir à l’usure.

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