La crise d’attractivité des métiers dans le secteur social a conduit la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) à s’engager dans une réforme ambitieuse des diplômes d’État du travail social (DETS). Ce projet, cherche à redéfinir l’architecture des formations pour répondre aux enjeux actuels et futurs. Parmi ces enjeux, il y a la baisse des entrées en formation, des mobilités professionnelles difficiles, le tout combiné à des attentes fortes de reconnaissance et de valorisation des métiers.
C’est dans ce contexte que la DGCS travaille depuis plusieurs mois sur une refonte des blocs de compétences selon les métiers du travail social. Cela concerne tous les métiers de diplôme d’État. Il est ainsi mis à l’étude une réorganisation de chaque diplôme à partir d’un modèle qui se veut selon ses promoteurs homogène et cohérent. Il s’agit de proposer qu’à l’avenir tous les diplômes du travail social soient construits sur la base de 4 blocs de compétence :
- Un bloc transversal : Il comprend des savoirs de base, des aptitudes comportementales, organisationnelles ou cognitives, et des savoirs généraux communs aux métiers ou aux situations professionnelles
- Deux blocs communs : qui organisent les compétences communes à l’ensemble des professionnels du travail social tout en les inscrivant dans les contextes d’intervention particuliers du
diplôme – métier – fonction visés. Ils sont censés correspondre au cœur des métiers de la cohésion sociale et regroupent leurs principes d’action communs - Un bloc spécifique : qui déploie les compétences singulières pour chaque diplôme . Ce bloc représenterait la singularité de chaque diplôme ou métier et de ses pratiques professionnelles particulières.
Cela nous donne le schéma suivant :
Le 4ᵉ et dernier bloc de compétence est celui qui est spécifique à chaque métier :
Certes l’ensemble peut paraitre réducteur. Définir un bloc de compétence en une seule phrase peut sembler un peu court. Il faut considérer que le 4ᵉ bloc est celui qui prendra le plus de temps pour la formation, c’est-à-dire qu’il permettra de construire l’identité professionnelle de chaque métier. Sur le fond, on ne peut que voir une présentation logique et cohérente. Les blocs ne sont pas faits pour être acquis les un après les autres, de façon mécanique, mais simultanément selon une organisation de la formation propre à chaque établissement.
Cela préfigure-t-il un chemin vers le travailleur social unique ? Non précise le bureau des professions sociales qui porte ce projet. Il ne s’agit en aucun cas de modifier les Diplômes d’État, mais bien de réorganiser les cursus des formations afin de les rendre plus lisibles et de permettre des passerelles entre tous les métiers de même niveau. Ayant été auditionné sur ce projet, j’ai rendu un avis technique que vous trouverez ci-joint.
Un héritage à moderniser
Le paysage des diplômes du travail social en France s’est construit progressivement depuis près d’un siècle. De la création du diplôme d’État d’assistant de service social en 1932 à celle du diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social en 2016, le secteur a vu émerger une diversité de qualifications répondant à des besoins spécifiques. Cette évolution correspond aux besoins d’adaptation du domaine, mais soulève également des questions quant à la cohérence et la lisibilité de l’offre de formation.
Face aux transformations sociétales et aux nouvelles attentes des professionnels comme des personnes accompagnées, il apparaît assez logique de repenser régulièrement le contenu des formations. Le projet présenté s’inscrit dans la continuité de réflexions menées depuis plusieurs années, notamment lors des États généraux du travail social en 2013 et des travaux de la Commission professionnelle consultative du travail social en 2016. Pour autant, par le passé, c’était le travailleur social unique qui était dans le viseur. Il n’en est rien aujourd’hui.
Une réforme qui vise à faciliter les passerelles
La démarche engagée poursuit plusieurs objectifs assez ambitieux. En premier lieu, il s’agit de favoriser le décloisonnement des métiers tout en préservant les identités professionnelles spécifiques. Cette approche vise à clarifier ce qui est commun à l’ensemble des travailleurs sociaux et ce qui relève des compétences particulières de chaque spécialité. Un autre enjeu majeur est le renforcement de la mobilité professionnelle. En facilitant les passerelles entre les différents diplômes d’État du travail social, voire avec d’autres certifications proches, la réforme entend fluidifier les parcours et offrir davantage d’opportunités aux professionnels du secteur.
La valorisation et l’attractivité des métiers du travail social est aussi un argument avancé pour cette réforme. Dans un contexte de difficultés de recrutement, le projet consiste à vouloir rendre ces professions plus visibles et attrayantes, tant pour les jeunes en formation initiale que pour les personnes en reconversion professionnelle. Je ne suis pas convaincu par cet argument : sans revalorisation salariale, ni une réorganisation du contenu du travail par les employeurs, une simple réorganisation de la formation ne permettra pas cette revalorisation. Pour autant elle pourrait y contribuer.
Des avantages avec des points de vigilance à prendre en considération
Cette réorganisation des blocs d formations révèle plusieurs avantages potentiels. Tout d’abord, la nouvelle architecture permet de visualiser clairement la transversalité des compétences. L’accent mis sur le partenariat et le territoire reflète l’évolution des pratiques vers une approche plus globale et ancrée localement, une tendance déjà amorcée dans les réformes précédentes.
L’introduction de la notion d’autodétermination est particulièrement bienvenue, car elle correspond aux tendances actuelles du travail social et vise à développer le pouvoir d’agir des personnes accompagnées. Ces orientations devraient particulièrement être en résonance avec les métiers de l’aide et de l’assistance de niveau 6, tels que les assistants de service social et les conseillers en économie sociale et familiale.
Cependant, il faut aussi soulever plusieurs points de vigilance. Il existe un risque de dilution des spécificités de chaque métier dans un tronc commun trop large. Pour répondre à ces inquiétudes, il sera essentiel de préciser le temps dédié à chaque bloc de compétence, afin de garantir que la spécificité de chaque métier soit préservée.
De plus, il faut être attentif aux différences d’interprétation possibles d’un même objectif ou moyen selon les métiers et missions. Par exemple, la notion de « mobiliser les ressources » pourrait être perçue différemment selon les contextes professionnels. Il est donc essentiel que ces blocs soient déclinés de manière spécifique pour chaque diplôme d’État, afin de respecter les particularités des approches.
Une transition sans doute complexe
Cette nouvelle architecture nécessitera une adaptation conséquente des formations. Le passage d’une formation existante à une formation renouvelée peut s’avérer plus compliqué qu’il n’y parait. Il faudra aussi être vigilant : la mise en œuvre des blocs de compétence ne doit pas être une opportunité de regrouper les temps de formation dans une logique d’économie budgétaire. Cela irait au détriment de la qualité de l’enseignement. Je m’inquiète de la généralisation des cours en amphithéâtre et en inter-filières, qui pourrait engendrer des difficultés à court terme. Il ne s’agit pas de transformer la formation en suite de cours comme à la fac où chacun se débrouille comme il peut. Ce n’est pas la philosophie des centres de formation au travail social.
Un autre point de vigilance concerne le risque de perte de la méthodologie d’intervention propre à chaque métier. Il me parait essentiel de préserver la diversité des formations et des approches, car c’est précisément cette diversité qui permet de répondre efficacement aux différentes problématiques et attentes des usagers. À l’image des métiers du bâtiment, où différentes spécialités sont nécessaires pour construire une maison, le travail social a besoin de professionnels aux compétences variées et complémentaires.
Un projet centré sur l’aide sociale, à équilibrer avec l’action éducative
La mise en place de ces blocs de compétence apparait plus centré sur les politiques publiques liées à l’aide sociale que sur l’action éducative. Il serait souhaitable que ces deux dimensions soient équilibrées dans la réforme. De plus, il est important de prendre en compte les attentes des services spécialisés qui emploient des travailleurs sociaux, tels que les services sociaux en entreprise, hospitaliers, de l’Éducation Nationale, ou des ministères tels ceux des armées et de l’économie qui emploient des milliers de professionnel(le)s.
L’approche proposée semble plus alignée sur la vision du travail social propre aux assistants de service social. Elle s’appuie sur une approche globale de l’évaluation et sur l’action collective de territoire. Les métiers dits éducatifs pourraient avoir plus de difficultés à s’y reconnaître, notamment dans des domaines comme la protection de l’enfance, où la notion d’autodétermination des familles peut soulever des questions complexes.
L’importance de la coconstruction et de la communication
Pour assurer le succès de toute réforme, il est essentiel d’associer tous les acteurs du secteur, y compris ceux qui se montrent les plus réservés. L’objectif devrait être de trouver des consensus, quitte à modifier certains éléments décrits dans les blocs de compétence et les futurs référentiels. Cette pratique de coconstruction est d’ailleurs un élément structurant de l’intervention en travail social.
Bien évidemment, il serait important aussi d’inclure les représentants des personnes accompagnées dans ce processus. Leurs points de vue sont essentiels pour s’assurer que le projet répond véritablement aux besoins des usagers des services sociaux. Rappelez-vous cette phrase attribuée à Nelson Mandela et reprise par ATD-Quart Monde : « ce qui se fait pour nous sans nous, se fait contre nous ».
Toute réforme peut légitimement susciter des inquiétudes. C’est d’autant plus vrai dans le contexte actuel difficile pour les travailleurs sociaux et les structures qui les emploient. Il est primordial de mener une large communication et un travail d’explicitation pour éviter les interprétations erronées et les risques d’incompréhension. La transparence dans la démarche sera essentielle pour rassurer et valoriser les professionnels du secteur.
Un projet à inscrire dans un contexte plus large
Il est important de noter que ce projet de réforme des réorganisations des formations au travail social pourrait apparaître comme secondaire pour certains acteurs du secteur. Il est surtout attendu des décisions plus pressantes telles que la revalorisation financière, la réponse à la crise du recrutement ou l’adaptation des dispositifs aux réalités du terrain. Cette évolution ne devrait pas être une initiative isolée, mais s’inscrire dans une démarche plus globale d’amélioration du secteur du travail social.
Enfin l’envergure d’un tel projet justifie un portage politique fort et continu dans la durée. Un portage par une personnalité politique engagée et reconnue, telle que le président du Haut Conseil du Travail Social, pourrait permettre de répondre aux aléas liés aux changements d’orientation de politique sociale et aux changements de gouvernement. Pour autant, nous savons bien au final que c’est le ministère qui décide en dernier ressort.
Conclusion : une réforme plutôt cohérente, mais à mener avec précaution
En conclusion, cette refonte de l’organisation de la formation aux diplômes d’État du travail social apparaît cohérente au regard des évolutions actuelles des pratiques. Il apparait que tous les syndicats se sont opposés au projet pour diverses raisons lorqu’elle a été présentée à la Commission professionnelle consultative (CPC). Or, il me paraît difficilement imaginable d’aller à l’encontre des représentants des salariés. Il serait incohérent de vouloir passer en force sans tenir compte de leurs avis et recommandations.
Un important travail d’adaptation et d’appropriation sera nécessaire, notamment dans le champ de la formation. Il faut garder à l’esprit que cette évolution ne pourra pas suffire à elle seule à renforcer l’attractivité et la reconnaissance des métiers du travail social. La réussite de cette réorganisation dépendra de sa capacité à préserver les spécificités de chaque métier tout en renforçant le socle commun de compétences, ainsi que de l’adhésion des différents acteurs du secteur.
En fin de compte, cette initiative témoigne d’une volonté de modernisation et d’adaptation du secteur aux réalités actuelles. Si elle parvient à atteindre ses objectifs tout en tenant compte des points de vigilance soulevés, elle pourrait contribuer à renforcer l’attractivité des métiers du social et à améliorer la qualité des interventions auprès des publics accompagnés. L’avenir du travail social dans notre pays se dessine ainsi à travers cette nouvelle architecture, porteuse d’espoir pour un secteur en quête de reconnaissance et d’efficacité.
N’oublions pas enfin que la formation d’assistant de service social est aussi mise en concurrence par les BUT option service social. Ce bachelor universitaire de technologie pourrait, sans formation complémentaire, donner accès au diplôme d’État d’assistant de service social (DEASS). Cette perspective défendue par la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGesip) inquiète vivement les établissements de formation au travail social (EFTS) qui jusqu’à présent avaient en quelque sorte le monopole de la délivrance du diplôme dans le respect des exigences posées par le ministère des Solidarités (DGCS). Là aussi l’incertitude prévaut et l’UNAFORIS s’en inquiète fortement.
Vous trouverez ci joint
- La présentation du projet de réforme tel qu’il a été présenté il y a quelques mois par la DGCS (ce projet a pu évoluer depuis)
- L’avis technique que j’ai adressé à la directrice du Bureau des professions sociales Madame Mouna Abdesselem
Photo : Tverdohlib.com sur DepositPhotos
3 Responses
bonjour,
jusqu’à un passé récent je pouvais enregistrer vos textes en cliquant dessus et en appuyant sur enregistrer . ce n’est plus le cas aujourd’hui. est-ce un changement de votre part ou y a t-il un problème technique
merci de me répondre
cordialement
TT
Bonjour,
Non, je ne suis pas au courant de ce changement. Je vais me renseigner et vais voir s’il est possible de modifier cela.
Cordialement
Didier Dubasque
Le parcours identitaire professionnel se constitue de part son cheminement, inhérent
à ses choix, une réflexion, la mise en forme
de sa singularite. faire en telle sorte que celle ci soit en échos avec un contexte, relève du contrat social, qui n est pas d essence technique, ni axée sur la société du spectacle. L essentialiser, c’est le rendre caduque. Les mots et leurs applications.