Métiers de l’accompagnement : quand la Cour des comptes remet d’actualité la volonté de créer un un métier unique ASS – CESF – ES

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Dans un rapport publié ce mois de janvier, la Cour des comptes (CDC) a émis une série de recommandations visant à réformer en profondeur la formation initiale des travailleurs sociaux chargés de l’accompagnement social généraliste. Ces propositions, qui visent, je cite : « à moderniser et à uniformiser les parcours de formation », soulèvent des questions importantes sur l’avenir de nos professions. Examinons de plus près les enjeux et les implications de ces préconisations qui mettent à nouveau l’accent sur le métier unique de « travailleur social ». Après avoir expliqué le raisonnement de la Cour des comptes, regardons ensuite pourquoi cette fusion des métiers sera préjudiciable aux personnes accompagnées.

Un constat de cloisonnement persistant

La Cour des comptes souligne que malgré les efforts entrepris depuis 2018 pour créer une culture professionnelle commune, les formations d’assistant de service social (ASS), de conseiller en économie sociale familiale (CESF) et d’éducateur spécialisé (ES) restent largement cloisonnées. Cette situation est selon la CDC en partie due à la grande liberté laissée aux établissements de formation dans l’élaboration de leurs programmes, ce qui conduit à une déclinaison des compétences principalement axée sur la logique métier.

Ce cloisonnement est particulièrement marqué pour le diplôme d’État de CESF. Leur formation se déroule en grande partie ou intégralement au lycée. Cette spécificité ne favorise pas les échanges et le partage de bonnes pratiques entre les futurs professionnels du travail social, créant ainsi des barrières artificielles dès la formation initiale.

Un dispositif de certification complexe et insuffisant

Le rapport met également en exergue la complexité du dispositif de certification. Il souffre d’une double compétence des Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et des rectorats. Cette situation, couplée à un manque de moyens de ces institutions, conduit à un contrôle lacunaire de la qualité des formations estime la Cour. (Il est déjà paradoxal de voir que la CDC qui a toujours visé à rentabiliser et compresser les budgets de ces services de l’État, parle ici de manque de moyens)

Mais il faut aussi considérer que ce constat fait écho aux conclusions d’un précédent rapport. Celui de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en 2022, qui avait déjà souligné les faiblesses du système d’évaluation de la qualité des formations en travail social. Dont acte. La charge est sévère à l’encontre des centres de formation.

Des maquettes de formation qui seraient en décalage avec les réalités du terrain

Un autre point critique soulevé par la Cour des comptes concerne l’inadéquation partielle des maquettes de formation avec l’évolution du contexte d’intervention des travailleurs sociaux. Les réalités du terrain, en constante mutation, nécessitent une adaptation continue des compétences et des connaissances des professionnels. La cour des comptes semble oublier les temps passés dans les stages en sites qualifiants qui, fort justement, avec les allers-retours entre formation en cours et travail sur le terrain, permettent de répondre à ce sujet.

Face à ce constat, la Cour propose la création d’un tronc commun de connaissances pour les trois diplômes d’État, qui se traduirait par une année de formation identique. Cette approche vise à atténuer les cultures métiers considérées comme très marquées et à favoriser une soi-disant plus grande fluidité dans l’accompagnement des personnes.

La nécessité d’une culture de l’évaluation et du numérique

Le rapport insiste aussi sur un sujet qui là aussi montre la finalité de l’idéologie et de la culture du travail au résultat : Il demande de renforcer la culture de l’évaluation et du reporting chez les futurs travailleurs sociaux. Cette recommandation s’inscrit, selon la Cour, dans une volonté de professionnalisation accrue et de meilleure mesure de l’impact des interventions sociales.

Parallèlement, la Cour souligne la nécessité de consolider l’environnement numérique des travailleurs sociaux. L’objectif est de mieux répondre aux besoins des personnes accompagnées, en tirant parti des outils technologiques pour améliorer la qualité et l’efficacité des interventions. Là aussi la CDC semble ne pas prendre en compte les multiples outillages numériques dont disposent les travailleurs sociaux. Pour elle la qualité du travail passe par la maitrise des outils de reporting. Il n’y en aurait pas assez (!).

Des recommandations radicales et contestables

Face à ces constats, la Cour des comptes formule trois recommandations principales :

1. Mettre fin à la double compétence des Dreets et des rectorats, tout en assurant une coordination d’ensemble au niveau national et territorial.

2. Créer un diplôme unique du travail social pour les diplômes d’État d’assistant de service social, de conseiller en économie sociale familiale et d’éducateur spécialisé.

3. Renforcer dans les référentiels de formation les volets relatifs à la culture numérique, afin d’améliorer la qualité et le suivi des actions menées au profit des bénéficiaires.

Si les deux premiers points de ces recommandations étaient mis en œuvre, cela représenteraient une refonte majeure du système de formation. Cependant, ces préconisations soulèvent de nombreuses questions.

Évidemment, la proposition de créer un diplôme unique du travail social est la plus controversée. Une très grande majorité des professionnels n’en veut pas. L’argument de favoriser une plus grande polyvalence et de faciliter les passerelles entre les différents métiers du social est assez fallacieux. En effet, pas besoin de supprimer les différents diplômes d’État pour cela. La perte de spécificités se traduira inévitablement par une perte d’expertises propres à chaque profession au détriment des services rendus à la population.

Les défenseurs de cette approche arguent qu’un tronc commun permettrait de développer une culture partagée et faciliterait la collaboration interprofessionnelle. Ils s’appuient sur un constat inexact et une représentation qui a la vie dure : les professionnels ne travailleraient pas suffisamment ensemble alors que dans les services les équipes pluridisciplinaires sont une réalité depuis longtemps. Ils soulignent également que cela pourrait améliorer la reconnaissance et la valorisation du travail social dans son ensemble. Là, c’est une opinion qui n’a pas été vérifiée. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

Une expertise discutable due à une approche réductrice

La Cour des Comptes, bien que reconnue pour son rôle de contrôle des finances publiques, peut-elle réellement prétendre à une expertise suffisante dans le domaine spécifique de la formation et de l’exercice des métiers du travail social ? Cette question est d’autant plus légitime que le travail social est un champ professionnel aux multiples facettes. Il nécessite des compétences variées et spécialisées. Par exemple, la logique qui consiste à vouloir obtenir des résultats quantifiables qui vont au-delà la satisfaction des usagers peut-elle concrètement s’appliquer ? Il est nécessaire de réfléchir sur les critères correspondant à un travail « satisfaisant ». Il n’est pas sûr que ce soient les mêmes que ceux de la Cour des comptes.

La proposition de fusion des diplômes découle d’une vision principalement économique et administrative. Elle néglige les subtilités et la richesse des différentes branches du travail social. Cette approche ne peut que conduire à une uniformisation excessive des pratiques et des approches, au détriment de la diversité des compétences nécessaires pour répondre aux besoins variés des publics accompagnés. C’est une évidence de bon sens.

Ou alors, il faudrait dans un même temps construire des spécialités. On ne peut imaginer un seul métier qui permet de répondre à la fois aux problématiques sociales aussi diverses que la protection de l’enfance, des personnes handicapées, l’insertion sociale, la gestion des droits et des budgets, l’aide des salariés en entreprise, des allocataires du RSA, les violences conjugales et j’en oublie. Il faudra alors re-spécialiser le métier de travailleur social.

En outre, il n’est jamais pris en compte l’histoire de la construction des professions actuelles. Si celles-ci existent de la sorte, c’est bien parque qu’elles répondent et ont répondues à des nécessités qui n’ont pas disparu. Cette incapacité de comprendre pourquoi un métier se construit de telle ou telle façon et pourquoi les politiques publiques ont fait de tels choix par le passé nous montre combien une vision biaisée de la compréhension de ce qu’est le travail social peut produire de propositions inadaptées et partiales.

Enfin, ces préconisations sont issues d’une étude sur un seul aspect du travail : l’accompagnement social par les départements et les CAF. Quid de l’action éducative ? Que fait-on des services sociaux spécialisés tels ceux des entreprises, des ministères sociaux tels l’armée, l’Éducation Nationale, l’Hôpital ? Sont-ils exclus des recommandations alors que les décisions portent sur des transformations radicales des métiers et des formations ? On ne peut penser le travail social qu’à l’aune de celui qui est déployé dans les CAF, et les Départements, en excluant les CCAS et le secteur associatif.

La timide prise de position de l’UNAFORIS

l’Union Nationale des Acteurs de Formation et de Recherche en Intervention Sociale (UNAFORIS) a réagi à ce rapport de la Cour des comptes. Elle s’inquiète plus particulièrement d’un grand risque de fragilisation des établissements de formation. Notamment les plus petits en taille et en nombre d’étudiants.  Elle ne se prononce pas clairement sur la fusion des métiers.

Dans un communiqué publié par le Média Social, Marcel Jaeger adopte une posture plutôt prudente.  Il estime que l’idée d’un « tronc commun des formations initiales » représente une évolution significative par rapport au « socle commun » actuel. Cela justifie pour lui une réflexion approfondie. Faut-il considérer cela comme un avis positif rédigé en termes diplomatiques ?

Le président de l’UNAFORIS insiste sur l’importance de prendre en compte l’évolution des politiques publiques et les besoins des publics. Et il est vrai que l’on parle trop peu des besoins des personnes accompagnées. Il met en garde contre une mise en œuvre précipitée de mesures telles qu’une première année commune ou la création d’un diplôme unique de niveau 6. Il rappelle que ces métiers sont apparus à la suite de décisions de politiques publiques. Il appelle à une réflexion plus poussée sur la transversalité des problématiques. On est loin d’une opposition à la disparition des métiers pour les fusionner en un seul.

Son communiqué souligne aussi que ces potentiels changements dépassent le simple cadre des établissements de formation.  En effet, ces évolutions radicales touchent aux conditions d’accès à l’emploi, aux conventions collectives et aux statuts de la fonction publique. Face à ces enjeux, Marcel Jaeger exprime surtout la volonté de l’Unaforis de participer activement aux concertations nécessaires. Il précise aussi son organisation s’est particulièrement penchée sur la question de « l’universitarisation » des cursus en travail social. Il souligne l’existence d’un « fort dissensus » ou si vous préférez l’absence de consensus sur ce sujet.

En filigrane, on perçoit une approche très mesurée de la part de Marcel Jaeger. Il reconnait la nécessité d’une évolution, appelle à la prudence et à une réflexion collective approfondie avant toute mise en œuvre de réformes.

Renverser la table et faire fi de la lente construction des métiers et des formations ?

Si les recommandations de la Cour des comptes étaient adoptées, leur mise en œuvre soulèverait de nombreuses difficultés. Il faudrait repenser en profondeur les programmes de formation, former à nouveau les formateurs, adapter les structures d’enseignement et redéfinir les modalités d’évaluation et de certification. En outre, il faudrait accepter la disparition pure et simple des cultures professionnelles actuellement en vigueur. Cela fait beaucoup.

Toute réforme dans notre secteur doit être menée avec prudence et par étapes. Ici, le manque de concertation avec les acteurs du terrain est évident. Il est essentiel de trouver un équilibre entre la nécessité d’évoluer et de décloisonner, tout en maintenant des spécificités et de l’expertise propres à chaque métier du travail social. C’est d’ailleurs la voie que tente de prendre le bureau des professions sociales qui cherche  à redéfinir l’architecture des formations. 

En fin de compte, l’objectif de toute réforme devrait être de renforcer la capacité des travailleurs sociaux à accompagner efficacement les personnes en difficulté. La voie prise par la Cour des comptes n’en prend pas le chemin. Elle ne parle pas dans son rapport de justice sociale ni de construction d’une société plus solidaire, ni non plus d’ailleurs de cohésion sociale.  Ces oublis ont aussi de quoi surprendre mais aussi inquiéter.

Sources:

 


N’hésitez pas à apporter votre point de vue en commentaire sur ce sujet. Merci à vous.

Photo : Cour des comptes Pierre Moscovici lors de la rentrée solennelle de la Cour 22/09/2020 Certains droits réservés

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Une réponse

  1. Quid des EJE ? Les grands oubliés du travail social…
    A qui cette fois vont ils être rattachés ? Champ du social ? Champ du sanitaire ? Tous seuls dans leur coin ?
    Ces travailleurs sociaux œuvrent auprès des enfants de la naissance à 7 ans, en crèche mais aussi dans le champ du spécialisé (protection de l’enfance, handicap…), du social (CHRS, PMI…), associatif, écoles maternelles (dispositif passerelle…), jardin d’enfants, sanitaire (Pôle pédiatrique, hôpitaux), Ludothèques, Médiathèques, LAEP…

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