Que dire du plan de lutte contre la pauvreté présenté par Emmanuel Macron ?

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Le coût du plan de lutte contre la pauvreté d’Emmanuel Macron est équivalent à celui engagé par Jean Marc Ayrault en 2012

C’est un chiffre qui marque les esprits : 8 milliards d’euros en 4 ans soit 2 milliards par an. Cet effort de l’Etat est à comparer avec le plan pauvreté 2012-2017 initié par Jean Marc Ayrault alors premier ministre dont le montant des dépenses avait été évalué à 2,5 milliards d’euros par an soit 500 millions de plus que celui annoncé hier par le président de la République. Mais le contexte n’était pas à la réduction des dépenses publiques telle qu’elle se présente aujourd’hui. Nous sommes donc sur des montants relativement équivalents. Je n’oserais pas les comparer  au manque à gagner de l’Etat avec le CICE ce crédit d’impôts  aux entreprises de 21 milliards d’euros pour la seule année 2018. Mais est-ce à comparer. ? Ce n’est pas de l’argent qui sort des caisses de l’Etat, c’est de l’argent qui ne rentre pas.  Mais que dire du message de Ségolène Neuville ancienne ministre des solidarités ? « D’où viennent les 8 milliards du plan pauvreté sur 4 ans annoncés ? demande-t-elle, « c’est simple, des 8 milliards en moins sur 2 ans pour les APL, les prestations familiales et les retraites avec le blocage sous l’inflation ».  Bref c’est un plan qui selon elle coûterait zéro euros car il s’agirait simplement d’une réaffectation de sommes issue de ces budgets de solidarité récemment revisités.

Beaucoup de mesures annoncées sont particulièrement bienvenues

Il y a par exemple les mesures  pour l’ouverture de nouvelles crèches, des fonds pour financer des petits déjeuners dans les écoles ou encore les tarifs sociaux dans les cantines. Cela ne s’attaque pas aux causes de la pauvreté mais c’est important : des enfants viennent à l’école sans avoir déjeuné et ce n’est pas par caprice. C’est important. Ces mesures sont concrètes.

On ne peut qu’être d’accord sur l’action en direction des jeune notamment l’extension de la garantie jeune gérée par les missions locales qui, il faut bien le dire, ont fait un travail remarquable grâce à leurs accompagnements personnalisés. Voilà un dispositif qui fonctionne, qui a des résultats, même si il peut y avoir des couacs ci et là. (les missions locales tirent la langue et ne sont pas toujours avec des budgets équilibrés).

Les jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance vont pouvoir être accompagnés plus longtemps (jusqu’à 21 ans) et ce n’est que justice. Le top aurait été qu’ils puissent l’être jusqu’à l’âge 25 ans mais bon, 3 ans d’accompagnement en plus ce n’est pas rien et vraiment cette mesure était plus  que nécessaire. Ils ne seront plus « abandonnés » à leur sort dès l’âge de 18 ans.

Il a  aussi été annoncé que la CMU (couverture maladie universelle) sera étendue à plusieurs millions de personnes pour qu’elles bénéficient d’une complémentaire santé. Là aussi on ne peut que s’en satisfaire car de nombreuses personnes ne se soignaient plus. Mais cela n’enlève pas des risques d’abus de consultations qui malheureusement existent. (plusieurs médecins  l’ont fait remarquer en insistant sur ce sujet).

Là où j’applaudis des 2 mains est le soutien annoncé aux structures d’insertion par l’économique. J’ai suffisamment travaillé avec certaines d’entre elles pour connaitre leur engagement et le travail qu’elles engagent avec les allocataires du RSA et les jeunes. J’en connais qui, travaillant avec des jeunes sortant de prison, ont réalisé un travail remarquable d’insertion qui a évité bien des risques de récidive. Elles ont permis à ces jeunes de (re)mettre le pied à l’étrier. Ils  « se sont rangés ». Sans ces structures d’insertion c’est la désespérance qui risquait de les conduire à nouveau vers les voies de la délinquance, car oui il existe une délinquance directement issue de l’absence de vivre dignement et de disposer de revenus suffisants pour vivre. Chantiers d’insertion, territoires zéro chômeurs, Travail alternatif payé à la journée (Tapaj)… L’ambition est d’étendre ces dispositifs à 100.000 bénéficiaires supplémentaires d’ici 2022, contre 140.000 aujourd’hui. Çà aussi c’est très positif.

Un discours qui a dit des vérités…

On peut  apprécier certains aspects de la prise de parole d’Emmanuel Macron notamment lorsqu’il parle de la pauvreté : « Avec la pauvreté, vient la peur, la peur de ne pas pouvoir donner autant qu’on le voudrait à ses enfants, la peur d’être jugé, l’épuisement pour conserver sa dignité. Etre pauvre, ça n’est pas une situation, c’est un combat de chaque instant pour tenter de survivre. J’ai été frappé à chaque fois que j’ai entendu des personnes témoigner dire leur vie, dire exactement le contraire de ce que nombre de nos concitoyens, avec beaucoup de sincérité, pensent, pensent qu’être pauvre, vivre avec le RSA, c’est un droit qu’on a donné aux gens, vous avez démontré le contraire,… » Ce n’est pas faux évidemment alors que de nombreux Français continuent de penser que les pauvres sont des profiteurs qui plus est des étrangers.

… mais qui dit aussi des choses  discutables

Mais quelle drôle d’idée ce développement sur les premiers de cordée qui sonne comme une justification : « Un premier de cordée, il a une corde et il est rattaché à d’autres, et c’est à dessein que j’ai employé cette formule » précise Emmanuel Macron  « Il y a toujours des gens pour ouvrir une voie, il y a des gens plus véloces, il y a des gens qui ont plus de chances, il y a tout un tas de raisons. Mais il en faut ! Et tirer sur la corde pour qu’il monte moins vite n’aidera pas ceux qui restent en bas, c’est faux. » ça se discute a-t-on envie de répondre : ce qu’on aimerait bien c’est que ceux qui sont en haut de la corde tire un peu dessus et donne un peu de leur personne pour aider à faire monter ceux qui sont en bas.  même si Emmanuel Macron précise que « c’est ce qu’on fait, depuis des années parfois : tirons la corde du premier qu’il n’aille pas galoper dans les hauteurs de la montagne, des fois qu’il aille voir le col et passer derrière, ça n’aide en rien ceux qui restent en bas de la montagne ».  Mais la solidarité c’est aussi réduire les écarts d’inégalités. Du bas vers le haut. Est-ce si impossible ?

Il y a toutefois de quoi avoir aussi des inquiétudes 

Le Revenu Social d’Activité : alors voilà un nouveau projet qui a de quoi interroger. C’est une mesure phare de ce plan.  Cela veut-il dire qu’une nouvelle condition apparaît pour percevoir un revenu qui par le passé était une garantie sans contrepartie (Ce qui est l’essence même de la solidarité) ? N’y a-t-il pas là un tour de passe passe, une entourloupe car en fusionnant plusieurs prestations on va en rendre certaines conditionnelles. Les retraités pauvres, les personnes handicapées ont du soucis à se faire, s’il faut qu’ils échangent du temps passé « à des activités » qui ne seraient pas du travail tout cela pour qu’elles puissent toucher un minima social. On est loin du revenu universel.  Et il y a un vrai risque comme je l’indiquais dans un billet récent

Si nous avons 3 millions de personnes « très pauvres » parmi les 8,5 millions de personnes pauvres ( les très pauvres sont au RSA et sont très loin des 50% du revenu médian. (Faites les comptes : le revenu médian est de 1750 € /2 = 875 € .  le RSA est de 551 €). Comment allons nous pouvoir mettre en place 9 millions d’emplois ou d’activités pour les personnes dont aucun employeur ne veut ou ne peut embaucher ?

Car c’est là une grande faiblesse de ce plan : laisser croire que les personnes peuvent sortir de la pauvreté par l’emploi même avec un accompagnement social et professionnel réhabilité. Rappelons le : il n’y a que 400.000 emplois non pourvus en France et plus de 5 millions de personnes inscrites sur les fichiers de Pôle Emploi. la grande majorité d’entre elles est en recherche active de travail. Ne vous étonnez pas si elles ne parviennent pas à toutes à en trouver : il n’y en a pas suffisamment pour répondre aux besoins de tous. C’est mathématique. C’est bien l’emploi qui manque et qu’il faut pouvoir développer. Des emplois accessibles. Sinon nous sommes juste dans la lutte des places.

Certaines activités sont à valoriser car elles apportent une reconnaissance sociale et sont prisée par certaines personnes privées d’emploi, les rendre obligatoires pour tous est tout autre chose. Cela va se traduire par ce qui se passe en Angleterre qui a mis en place une une politique punitive vis à vis des « récalcitrants » qui ne viennent pas aux rendez vous qui leur sont fixés. (j’y reviendrais avec un article fort édifiant que j’ai traduit d’une journaliste de la BBC) L’Angleterre constate au final une croissance de la pauvreté qui démontre que ces pratiques de punition sont contre productives.

Les personnes pauvres ont aussi besoin de bienveillance et de bientraitance, elles ont aussi besoin qu’on les laisse  parfois un peu tranquille (c’est ce que plusieurs m’ont dit avec de mots un peu plus crus, si vous voyez ce que je veux dire) . Elles ont aussi besoin d’avoir  de quoi améliorer leur ordinaire pour elles et leurs enfants. Ce plan y répondra pour une part mais pour autant je ne vous pas comment la pauvreté va pouvoir diminuer si on ne s’attaque pas à ses véritables causes qui n’ont pas été abordées ( la principale étant le manque d’emplois disponibles et adaptés)

Merci à vous si vous êtes arrivé à lire jusqu’au bout cette analyse qui est loin d’être complète au regard de l’ensemble des mesures annoncées.

 

Photo d’écran issu du reportage de la chaîne Euronews 

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