Quand la bienveillance envers soi devient un acte professionnel

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Il est tentant de se montrer d’une sévérité implacable envers soi-même et les autres dans le tumulte quotidien du travail. La moindre erreur, la présentation ratée, l’entretien manqué, ou la mission imparfaitement exécutée deviennent alors des motifs de ruminations. Cela peut aller jusqu’à l’auto-flagellation et bien évidemment un sérieuse remise en question.

Cette tendance à l’autocritique excessive existe bien et elle ne fait que nourrir un mal-être profond. Elle n’améliore jamais la situation ni ne contribue à la progression professionnelle. Au contraire, elle enferme le professionnel dans une spirale contre-productive, où la valeur personnelle se confond dangereusement avec la réussite ou l’échec ponctuel.

C’est un grand classique en travail social. Nombre d’entre-vous ont en tête l’image parfaite du professionnel idéal, celui qui ne se trompe pas, qui reste toujours calme et avenant. Pour autant vous n’appliquez pas la bienveillance que vous réservez spontanément à vos collègues ou à vos proches.

Cette capacité à relativiser leurs faux pas et à les rassurer, pourrait devenir une ressource précieuse si vous appreniez à la diriger vers vous-mêmes. Selon une étude de l’université d’Austin au Texas, les personnes capables de compassion envers elles-mêmes abordent l’échec comme une opportunité d’apprentissage. Elles se concentrent plus efficacement sur l’accomplissement de leurs tâches. Cette « douceur » envers soi (ma collègue parlait de « chaudsdoudous »), cette douceur ne relève pas de la complaisance, mais d’une intelligence émotionnelle qui permet de rebondir, de se donner l’élan nécessaire pour progresser.

La compassion envers soi, levier d’efficacité et de cohésion

Être doux avec soi-même comme avec les autres ne signifie pas renoncer à l’exigence.  Cela ne veut pas dire que l’on se contente de résultats qui ne nous satisfont pas. Au contraire, celà nous apporte une énergie, qui donne de l’élan et permet de s’améliorer. Pour cela, il faut savoir écouter sa petite voix intérieure, la raisonner et prendre soin d’elle.

Ce changement de posture a des répercussions directes sur le collectif. Un(e) professionnel(e) moins sur la défensive, moins en proie à l’hypervigilance, prend de meilleures décisions et s’avère au final plus efficace. Surtout, il ou elle contribue à instaurer un climat de confiance et de sécurité psychologique, où chacun peut oser, expérimenter, se tromper et apprendre. Cela vaut pour le management des équipes. Un(e) encadrant(e) sévère avec elle même, pourra masquer sa difficulté en reportant sur ses adjoint(e)s une exigence excessive qui insécurise les personnes qu’elle encadre hiérarchiquement.

Les travailleurs sociaux, ne devraient pas tomber dans ce travers.  Pourquoi ? Ils connaissent la valeur de cette dynamique : leur métier exige une capacité d’écoute, d’empathie et de remise en question permanente, mais aussi une solidité intérieure pour ne pas s’effondrer face à la détresse ou à la complexité des situations accompagnées. Pourtant me disent certaines collègues. Le cordonnier peut être le plus mal chaussé. Entendez par là que si nous sommes à l’écoute envers les autres, on peut tout autant ête très sévère envers soi même et ses collègues.

L’empathie, une boussole pour se traiter avec douceur

femme tasse a cafe ecoute une autre personnePour amorcer ce mouvement vers plus d’indulgence, il s’agit d’abord d’identifier les moments où l’on se montre injustement dur envers soi-même. L’empathie, que l’on déploie si naturellement envers autrui, devient alors un outil précieux : il suffit de se demander si l’on tiendrait les mêmes propos blessants à un collègue ou à une personne chère. Cette prise de conscience permet de mesurer la violence de certaines auto-critiques et d’envisager une autre manière de se parler à soi-même. ( c’est ce que j’appelle le dialogue avec sa petite voix intérieure)

Il nous faut savoir reconnaître l’inconfort et accepter de traverser des émotions négatives sans s’y complaire. Ce n’est pas si évident qu’il n’y parait. Il faut pouvoir plutôt se réconforter plutôt que de s’enfoncer : c’est un changement de paradigme. Il ne s’agit pas de nier l’erreur, mais d’accepter qu’elle fasse partie intégrante du processus d’apprentissage. S’accorder une pause, s’offrir un moment de plaisir ou de réconfort, c’est aussi se donner la possibilité de repartir du bon pied, sans alourdir inutilement sa charge mentale.

Rompre avec l’auto-flagellation et les croyances limitantes

Les pensées automatiques du type « Je suis nul(le) », « Je n’y arriverai jamais » sont non seulement infondées, mais elles contribuent à vous installer dans l’échec.  Pourquoi réussir si vous êtes convaincu ne pas en être capable ? Ces croyances limitantes ferment la porte à toute évolution. Les mots ont un pouvoir : il faut pouvoir s’interdire les formules extrêmes et bannir les jugements à son propre égard. C’est un premier pas qui ouvre un espace à la réflexion constructive et à la nuance.

Il s’agit de savoir prendre du recul et de poser un regard global sur la situation. Pour cela il est utile de se poser les bonnes questions (« Pourquoi ai-je fait cette erreur ? De quoi ai-je besoin pour que cela ne se reproduise plus ? »). Cela permet de transformer l’échec en levier d’amélioration, plutôt qu’en stigmate indélébile. Une fois l’analyse faite, il est essentiel de clore le sujet, de ne pas s’enfermer dans des ruminations qui n’apportent rien. Ruminer, c’est à dire revenir sans cesse à des pensées négatives après un évènement que l’on juge néfaste est aussi un frein important. C’est une boucle mentale qui vous empêche d’aller de l’avant. Je sias, cela ne se commande pas. Mais en prendre conscience est un premier pas.

Renforcer l’estime de soi pour mieux traverser les tempêtes

L’auto-dénigrement consiste à généraliser une erreur et à la reporter sur l’ensemble de sa personne. Or, il est fondamental de dissocier l’événement ponctuel de la valeur intrinsèque de l’individu. Travailler sur son estime de soi, c’est revoir les fondations de son système de valeurs, accepter que la performance ne soit qu’un indicateur parmi d’autres, et non le reflet absolu de sa dignité.

Ce travail de fond peut s’inscrire dans la durée, à travers la psychothérapie ou le coaching, si les troubles sont sévères et récurrents. mais tout commence par une prise de conscience : la qualité de votre intervention varie selon votre état émotionnel et votre forme physique. les préoccupations du moment et le contexte entrent aussi en ligne de compte. L’erreur n’est ni une fatalité, ni une honte, mais une étape inévitable d’un parcours professionnel, surtout dans les métiers où l’humain est au centre.

Les travailleurs sociaux : vigies de l’indulgence et de la résilience

Dans le secteur du travail social, l’indulgence envers soi-même n’est pas un luxe, mais une nécessité. Les professionnels de l’aide sont confrontés à des situations complexes, à la souffrance, à la précarité, à l’échec parfois et même quelquefois au désespoir. Ils savent, mieux que quiconque, que l’accompagnement ne se mesure pas à l’aune d’une réussite immédiate. Ils savent que les changements sont graduels, fait d’aller retour. Ils aident à tenir, à persévérer, à se remettre en question sans se briser.

Valoriser leur travail, c’est reconnaître cette force tranquille. La capacité à faire preuve de d’indugence et de non jugement envers soi permet aussi de rester disponible à l’autre. C’est aussi rappeler que la bienveillance, loin d’être une posture naïve, est une stratégie professionnelle qui permet de tenir, mais aussi d’innover et de tisser des liens de confiance avec les publics accompagnés.

Contre la positivité toxique, pour une authenticité assumée

En écrivant cela, je pense qu’à  l’opposé de cette bienveillance constructive, il y a la « positivité toxique ». Tout va bien tout le temps. Ceux qui en sont prisonnier vous diront toujours que tout va bien. Dans certains services  cette injonction à afficher un bonheur permanent et à taire toute difficulté peut être délétère. J’avais été surpris dans mon travail d’apprendre combien de collègues prenaient des médicaments pour « tenir » tout en affichant une attitude zen, tout sourire fort peu naturelle.

Cela mène tout droit à l’épuisement professionnel. Comme le rappelle un  article de Welcome to the Jungle, cette culture du consensus à tout prix, qui refuse la négativité et la critique, finit par étouffer la créativité, la résolution de problèmes et la capacité d’innovation.

La vie professionnelle, comme la vie tout court, n’est pas un long fleuve tranquille. Vouloir à tout prix gommer les aspérités, c’est se condamner à l’insatisfaction perpétuelle et à la culpabilité. Il s’agit donc de trouver un équilibre : travailler sur soi, oui, mais sans sombrer dans l’obsession de la perfection. Savoir reconnaître ses limites, demander de l’aide, repenser son organisation, voilà autant de gestes d’humanité qui contribuent à notre santé mentale et à la qualité du travail accompli.

Lutter contre la peur du jugement, une clé pour l’épanouissement collectif

La peur inconsciente d’être jugé au travail, alimentée par la necessité d’obtenir des résultats est un facteur majeur de stress. Cette anxiété  pousse à se conformer, à taire ses doutes et ses difficultés. Elle nuit à l’épanouissement personnel et au dynamisme collectif. Cette peur relève avant tout d’un déficit d’estime de soi. Apprendre à s’en affranchir, à se détacher du regard des autres, c’est aussi renforcer sa capacité à innover, à proposer, à s’engager pleinement dans son travail.

Les travailleurs sociaux, là encore, montrent la voie : leur engagement repose sur une éthique de la relation, qui suppose d’accepter l’imperfection et l’incertitude. Ils savent généralement se montrer indulgent. Leur expérience rappelle que l’authenticité, la capacité à reconnaître ses erreurs, à les partager, à en tirer des enseignements, sont des ressorts puissants pour la cohésion et la créativité au sein des équipes.

Conclusion : Pour une culture du travail fondée sur la bienveillance et l’apprentissage

Si je devais réumer mon propos, l’indulgence envers soi-même n’est ni une faiblesse, ni une excuse face à une difficulté non résolue. C’est une posture lucide, exigeante, qui permet de transformer l’échec en apprentissage. Dans un monde du travail où la pression à la performance et à l’optimisation permanente menace la santé mentale de nombreux professionnels, il est urgent de réhabiliter cette façon d’être envers soi. Il faut pouvoir la valoriser comme une compétence clé, au même titre que l’expertise technique ou la rigueur organisationnelle.

Les travailleurs sociaux, par leur expérience et leur engagement, sont bien placés pour comprendre cette révolution silencieuse. Ils nous rappellent chaque jour que la bienveillance, envers soi comme envers les autres, est le socle d’une société solidaire, créative et résiliente.

À nous, désormais, d’en faire un moteur d’action et de transformation, au service de l’épanouissement de chacun et du bien commun. Et tant pis pour celles et ceux qui ne le comprennent pas ! (là je ne suis pas indulgent)

Sources

 


Photo : Voyagerix Auteur Voyagerix sur depositphotos

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Une réponse

  1. Merci pour cette pause réflexive sur notre travail éducatif.
    Il est porteur d’encouragement et d’espoir pour être plus soi-même avec ces zones lumineuses et ces zones d’ombres dans un environnement plein de relief lorsqu’il s’agit d’accompagner des personnes vers un mieux-être intérieur et avec les autres.
    Merci beaucoup!

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