Protection de l’enfance : l’État sommé d’agir, l’heure de la refondation a-t-elle sonné ?

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La publication du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la protection de l’enfance, le 8 avril dernier, marque un tournant. Excusez-moi d’y revenir, mais cela me parait trop important. Ce document, fruit d’un an de travail, dresse un constat implacable : notre système de protection de l’enfance est à bout de souffle, miné par des dysfonctionnements structurels et un désengagement chronique de l’État. Pour les travailleurs sociaux, cadres et directeurs de structures, ce rapport n’est pas seulement un énième signal d’alarme. Il est un appel à la mobilisation collective, à la réflexion et à l’action. Cela n’empêche pas le Gouvernement de faire le dos rond. La pression doit être maintenue pour que les choses bougent vraiment

Un système qui craque de toutes parts

La commission d’enquête, présidée par Laure Miller et rapportée par Isabelle Santiago, n’a pas mâché ses mots : « L’État est le premier parent défaillant de France ! » Derrière cette formule choc, une réalité incontournable : l’action publique est jugée « profondément et structurellement dysfonctionnelle », la volonté politique absente, la vision globale de l’enfance inexistante. Les lois sont pourtant nombreuses. Elles sont trop peu appliquées ou tardent à l’être, faute d’un véritable choix politique et surtout d’un manque de moyens structurel. Le pilotage de l’État est qualifié d’« absent ». Il laisse les départements seuls face à des responsabilités écrasantes, dans un écosystème complexe où le renvoi de balle est devenu la norme.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 1998, le nombre de mesures d’aide sociale à l’enfance (ASE) a bondi de 44 %, atteignant près de 397.000 mesures fin 2023.  Dans le même temps, la population des moins de 21 ans n’a augmenté que de 1,6 %. Plus de la moitié de ces mesures prononcées sont des placements, l’autre moitié des mesures éducatives. Cette inflation s’explique, selon le rapport, par une judiciarisation considérée comme excessive et un recours trop fréquent au placement institutionnel au détriment de l’accueil familial. Cet accueil familial qui manque est lié au non-renouvellement des assistantes familiales qui partent à la retraite. Le métier ne fait plus rêver. Il demande un engagement de tous les jours que beaucoup redoutent désormais. Pourtant, cette forme d’accueil est reconnue par l’ONU comme la forme la plus protectrice pour l’enfant.

Il faudrait aussi pouvoir s’interroger sur des tendances de fond. Pourquoi autant de familles dysfonctionnent ? Je pense notamment à celles qui souhaitent ne plus assumer la charge de leur progéniture et qui sont prêtes à confier à l’ASE leurs enfants qu’ils ne maitrisent plus depuis bien longtemps. Ce sujet est très peu abordé. Combien d’entre-elles sont devenues violentes ou maltraitantes psychologiquement et pourquoi ? Voilà autant de questions sur lesquelles il serait utile de se pencher.

L’inertie publique provoque un coût humain et social exorbitant

Ce « naufrage institutionnel » n’est pas sans conséquences. On le sait aujourd’hui, les enfants issus de la protection de l’enfance sont surreprésentés parmi les personnes sans-abri, connaissent davantage le chômage, la pauvreté, et un accès restreint aux études supérieures.

Le coût pour la société est colossal, tant sur le plan humain que financier. La commission d’enquête alerte : sans action rapide et structurelle, les inégalités de destin continueront de se creuser, et la société toute entière aura à en paiera le prix.

Face à ce constat, le sentiment de fatalité peut prédominer. Mais ce serait trahir notre mission. Car, comme le souligne le rapport, les idées existent, il faut maintenant agir et vite. L’heure n’est plus aux demi-mesures, mais à une réforme d’ampleur, recentrée sur les besoins fondamentaux de l’enfant.

92 recommandations pour une refondation

Le rapport ne se contente pas de dénoncer : il propose. Pas moins de 92 recommandations.  Elles sont articulées autour de quatre axes majeurs : la gouvernance, la prévention et le repérage, la prise en charge, et l’attractivité des métiers. Certaines de ces propositions ont été reprises par la ministre Catherine Vautrin, signe d’une petite prise de conscience politique, mais la route reste longue dès lors que la volonté de mobiliser des moyens n’existe pas.

La première urgence, selon la commission, est de replacer l’État au cœur de la politique de protection de l’enfance. Cela passe par une stratégie nationale et interministérielle, dotée de financements pluriannuels, pour accompagner et renforcer les départements. Il s’agit aussi de reconnaître les victimes des manquements institutionnels, via la création d’une commission nationale de réparation.

La connaissance sur ce qui se passe dans le monde réel avec les décisions et les placements doit être sérieusement étudiée. Pour cela, rien de tel que de s’appuyer sur un conseil scientifique de l’enfance placé auprès du ministre chargé de l’enfance, afin d’ancrer les politiques publiques dans la recherche et les données probantes.

Il faut pouvoir investir massivement dans la prévention

Le rapport prône un changement de paradigme : faire de la prévention primaire et universelle la priorité. Ce n’est pas une mince affaire. Car là aussi il faut pouvoir accompagner les publics vulnérables, repérer les fragilités, surtout soutenir la parentalité.

Il faut aussi pouvoir lutter contre la pauvreté en prenant le problème à la racine. Un plan ambitieux de soutien à la périnatalité et à la parentalité jusqu’aux cinq ans de l’enfant est proposé, dans une approche écosystémique et multidimensionnelle. L’objectif : éviter autant que possible le recours au placement, en agissant en amont.

Vers une réforme de fond : législation, structures et contrôle

La commission d’enquête appelle à une loi de programmation pluriannuelle sur l’enfance, pour engager une réforme de fond. Là aussi, la tâche est immense tant le secteur a été délaissé. Il est nécessaire de renforcer les moyens de la justice des mineurs et de construire de nouvelles structures d’accueil adaptées (petites unités).

Les parlementaires qui ont validé ce rapport insistent sur la nécessité de publier rapidement les décrets relatifs aux taux et normes d’encadrement. Des mesures évidentes sont à mettre en œuvre comme celle qui consiste à systématiser le contrôle des antécédents judiciaires de tous les intervenants. Il manque aussi une autorité de contrôle indépendante qui ait les moyens de sa mission.

Enfin, notons au passage, qu’il est recommandé d’interdire la gestion de structures de protection de l’enfance par des acteurs du secteur privé lucratif.  Laurence Rossignol, sénatrice PS du Val de Marne en parle bien et ses propos sont relayés sur le blog de Michel Abhervé «Je ne vois pas, en effet, ce que le secteur privé à but lucratif peut faire de mieux en termes de prise en charge, tout en étant moins disant, que les associations à but non lucratif», dit-elle, « sauf à ne pas appliquer le droit du travail et la convention collective du secteur ».

Cette analyse s’appuie aussi sur de tristes précédents. Voulons-nous pour des enfants placés aller vers un nouveau scandale après celui des Ehpad et d’Orpea et celui des crèches et de People & Baby ? Non évidemment.

Garantir la qualité de l’accueil et l’accompagnement des enfants

Un autre objectif vise à garantir la sécurité et la qualité de l’accueil des enfants. À ce titre, la commission recommande de recentrer les actions à domicile, pour que les enfants de zéro à trois ans soient accueillis en famille et non plus en collectif. Elle insiste sur la nécessité d’un projet individualisé pour chaque enfant,

Ce projet devrait permettre un accès effectif à la santé et à l’éducation pour chacun des enfants protégés.  Il est aussi demandé un développement de centres d’appui à l’enfance sur tout le territoire. L’accompagnement du handicap doit de son côté être repensé autour de la pluridisciplinarité.

L’attractivité des métiers : un enjeu essentiel

Le secteur de la protection de l’enfance fait face à une pénurie dramatique de professionnels : 303000 postes manquants dans le médico-social. La commission plaide pour une réforme profonde de la formation.

Elle recommande une spécialisation accrue des professionnel(le)s. Certes les besoins de formation sont importants dans le secteur et l’on ne peut se staifaire de professionnels non diplômés. Mais il y a aussi ce besoin rapide d’une revalorisation des rémunérations et des conditions de travail. Sans cela, aucune réforme ne pourra aboutir. Les travailleurs sociaux, en première ligne, attendent des actes, pas des promesses.

L’exigence de Claude Roméo

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Claude Romeo par @F.Rondot

Dans le débat actuel Claude Roméo, ancien directeur départemental Enfance-Famille appelle à inscrire la protection de l’enfance dans la Constitution. C’est un moyen permettant de lui conférer une valeur juridique suprême et de garantir la pleine effectivité des droits de l’enfant sur tout le territoire. Cette demande va bien au-delà des réformes techniques ou des ajustements budgétaires.

Pour lui, cette inscription constitutionnelle permettrait de consolider les engagements internationaux de la France, notamment ceux issus de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Elle imposerait à toutes les collectivités publiques une exigence de protection, réduisant ainsi les inégalités territoriales et les disparités de traitement. Il s’agirait d’élever l’intérêt supérieur de l’enfant au rang de principe fondamental.

Sa volonté, loin d’être purement symbolique, vise à sortir la protection de l’enfance de l’ornière des bonnes intentions non suivies d’effets. Cetes le projet est ambitieux mais il permettrait de placer notre pays face à ses responsabilités historiques. Pour Claude Roméo, il en va de l’avenir de notre société et de la place que nous voulons accorder à nos enfants.

Un appel à l’action : OK mais on fait quoi ?

Face à l’ampleur des défaillances et à l’urgence d’agir, les professionnels ne restent pas silencieux. Le collectif Les 400.000, qui rassemble associations, institutions, fédérations et citoyens engagés, appelle à une mobilisation nationale pour une protection de l’enfance digne et équitable. Ce collectif tire son nom du nombre d’enfants qui, chaque année, devraient être protégés par les pouvoirs publics, mais dont beaucoup voient encore leurs droits bafoués, leur sécurité compromise, leur avenir incertain.

Les chiffres sont implacables : plus de 3.000 enfants vivent à la rue, 130.000 subissent des violences sexuelles, 8.000 anciens enfants placés sont sans domicile fixe, et 10.000 jeunes sont abandonnés à leur majorité, malgré la loi. Derrière ces statistiques, ce sont des vies brisées, des parcours entravés, des droits fondamentaux ignorés. Les travailleurs sociaux, en première ligne, font face à une saturation des services, à des moyens insuffisants, à une reconnaissance sociale trop faible, alors même qu’ils incarnent la solidarité nationale

Le collectif invite donc chaque professionnel, chaque citoyen, chaque structure à se mobiliser le 15 mai prochain. Il s’agit de refuser la résignation, de porter haut la voix des enfants, de rappeler à l’État et aux décideurs leur devoir d’agir. Cette mobilisation, après celle du 25 septembre 2024, veut marquer un tournant : exiger des mesures concrètes, immédiates, pour que plus aucun enfant ne soit laissé pour compte.

bandeau des 400.000jpg« Je me mobilise pour une protection de l’enfance digne – pour les droits des enfants – parce que je ne me résigne pas »

À l’heure où la protection de l’enfance vacille, la mobilisation des 400 000 est un appel à la conscience collective. Elle invite chacun à prendre part au combat, à refuser l’indifférence, à exiger une société qui protège réellement ses enfants. Parce que l’enfance n’attend pas, et que notre

Pour conclure provisoirement

Le rapport parlementaire, adopté à l’unanimité, ne doit pas rester lettre morte. Il engage l’État, mais aussi l’ensemble des acteurs du secteur, à repenser collectivement la protection de l’enfance. Les professionnels, souvent épuisés, parfois désabusés, doivent pouvoir retrouver sens et reconnaissance dans leur mission. Les enfants, eux, n’ont pas le temps d’attendre.

La société française est-elle prête à regarder en face ses propres défaillances plutôt que de taper médiatiquement sur des boucs-émissaires telle que l’ASE ? Est-elle prête à accepter le coût que cela représente ? À investir dans l’avenir de ses enfants ? La balle est dans le camp des décideurs, mais aussi dans celui de chaque citoyen, de chaque professionnel engagé. Car la protection de l’enfance ne peut pas être la simple affaire d’un ministère, d’un département ou d’une commission : c’est l’affaire de tous.

Sources :

 


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Une réponse

  1. Excellent écrit sur une situation dramatique. Il faut dire également que la prise en charge de familles et d’enfants en difficulté exige souvent une intervention pluridisciplinaire associant des cliniciens. Cela aussi est négligé et souvent impossible.

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