Une politique de repérage des jeunes pour décider ensuite entre professionnels ce qui est bon pour lui de ce qui ne l’est pas est une façon d’agir assez éloignée des pratiques du travail social. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas des propositions en matière de prévention de la délinquance juvénile. En voici quelques unes issues d’un travail de réflexion que j’avais pu conduire avec des collègues dans le cadre de l’ANAS, l’association nationale des assistant(e)s de service social…
Pour agir efficacement et prévenir la délinquance il est nécessaire d’engager un travail de proximité avec les familles et un travail collectif au niveau des cités et des quartiers. Les problèmes des personnes et familles en difficultés, pour certaines précarisées par le chômage, ne peuvent trouver solution dans une approche de repérage ciblé et à des injonctions moralisantes. Seule une volonté d’aide et d’action globale peuvent apporter des solutions et prévenir efficacement les problèmes de violence et d’incivilités.
Les propositions sont : une aide personnalisée, des réponses collectives au plus près des familles, un renforcement du partenariat au sein du milieu scolaire et la prise en compte directe de la parole des parents.
Des réponses individuelles et collectives ouvertes à tous et non stigmatisantes.
Il peut être utile de rappeler certains fondements de l’intervention sociale qui permet d’agir dans le champ de la prévention avec notamment :
- L’accompagnement personnalisé des familles en difficulté sur la base d’un contrat passé avec elles dans le respect de leurs choix et de leur vie privée.
- La prise en compte de la globalité des besoins affectifs, relationnels, financiers, de logement, travail, éducation, santé, loisirs, etc.
- Une priorité portée à l’accès à l’emploi et au logement, qui sont aujourd’hui les deux causes majeures de difficultés sociales et de désœuvrement des jeunes adultes.
Pour autant certains aspect de la prévention devraient aussi porter sur des aspects plus collectif :
1 Généraliser des Réseaux d’Aide et de Soutien à la Parentalité.
Les REAAP sont présents dans certains départements, ils organisent des animations, des groupes de parole pour des parents, du soutien scolaire, un accueil petite enfance, des lieux de jeux et d’apprentissage de la relation au petit enfant pour les jeunes parents. Des exemples de réalisations dynamiques existent, notamment dans le département du Var. Les différentes structures sont nées d’initiatives associatives et bénévoles mais ont du mal à survivre et s’institutionnaliser par manque de pérennisation de financements.
2 Renforcer lorsqu’elle existe, la vie associative créant du lien social intergénérationnel et soutenir des structures de quartier tels que les centres sociaux ou les maisons de jeunes en leur fixant des priorités.
Les associations dans les quartiers et les cités sont source de dynamisme dans la vie locale, ce sont des réseaux de création de liens et d’utilité sociale. Les associations de locataires, sportives, de femmes de la cité, d’échanges de savoirs et services, sont à favoriser et à soutenir dans leur développement et leur action dès lors qu’elles agissent auprès de l’ensemble de la population sans aucune discrimination.
Lieux de socialisation et d’apprentissage, les centres sociaux et maisons de quartiers « captent » des publics parfois désœuvrés et les mobilisent sur des projets qui favorisent leur expression et reconnaissance dans l’espace public. Toutefois, dans certains cas certaines structures excluent les jeunes qui posent problème au lieu de les intégrer même si cela est souvent difficile. Il apparaît nécessaire de former les professionnels de l’animation à l’action auprès des publics jeunes en difficulté et en rupture de lien social.
3 Prendre en compte les besoins de services de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Ils dépendent du Conseil Général sont présents dans tous les départements. L’aide éducative à domicile, administrative, est exercée par un travailleur social à la demande des familles et sur décision de l’inspecteur de l’enfance. Certains services AED reçoivent de plus en plus de demandes des parents en difficultés pour éduquer leurs enfants. Les services de Prévention Spécialisée qui exercent leur mission au cœur des quartiers notamment avec leurs équipes d’éducateurs de rue, contribuent aussi à la mission de l’Aide Sociale à l’Enfance. Il s’agit de renforcer les services existants et de leur donner les moyens d’exercer valablement leur rôle d’aide et de prévention. La réforme de la protection de l’enfance, les modalités de gestion qu’elle demande, et le processus de déjudiciarisation provoquent une pression très importante sur les travailleurs sociaux des Conseils Généraux.
Aujourd’hui ces services rencontrent de plus en plus de difficultés pour faire face aux sollicitations des familles qui demandent à être aidées. Il leur est donc difficile de pouvoir répondre aux demandes institutionnelles d’intervention auprès des familles non demandeuses d’aides et de soutien,
4 Les enseignants ont besoin d’être soutenus
Il est nécessaire de renforcer les équipes pluridisciplinaires autour et dans le milieu scolaire :
- Renforcer la médecine scolaire pour qu’elle puisse d’avantage dépister précocement les situations à risques pour la santé des enfants
- Au sein des lycées le Service Social auprès des élèves a un effectif très réduit d’Assistants de Service Social qui ne peuvent répondre à l’ensemble des besoins. Souvent un seul professionnel se partage entre plusieurs établissements scolaires, le suivi régulier des élèves rencontrant des difficultés est devenu difficile voire dans certains cas impossible. Un Service Social plus étoffé,avec notamment la charge d’un seul établissement par professionnel en Zone d’Enseignement Prioritaire serait un grand pas pour une prévention précoce et efficace auprès des jeunes.
- Les difficultés commencent très tôt dans la vie des enfants et arrivés au lycée bien des problèmes sont déjà installés. Nous proposons de revenir à un service social en faveur des élèves dès l’école maternelle ce qui permettrait d’une part un travail d’équipe efficace avec les instituteurs et d’autre part une véritable action préventive au cœur même des premiers symptômes de difficulté sociale. Ce service social pouvant alors aussi s’articuler avec les services de PMI et de secteur
- Il ne faut pas sous-estimer la place que peuvent avoir des groupes de parole entre enfants où à travers des thèmes très divers, l’enfant apprend à s’exprimer et exprimer ses émotions, à écouter la parole des autres et à la respecter, à prendre en considération les différences et les ressemblances entre les membres du groupe. Des expériences style «groupes d’enfants médiateurs » au cours de la recrée, animés par des adultes qualifiés (travailleurs sociaux, psychologues, instituteurs) ont montré l’intérêt d’une telle démarche participative en complément des cours d’éducation civique plus structurés. Leur généralisation serait aussi un plus pour une véritable prévention. Pour les plus jeunes, un service de soutien scolaire personnalisé reste aussi prioritaire afin d’éviter le rejet de l’institution et l’absentéisme.
5 Prendre en compte la parole de la population concernée :
Dans la recherche de solutions pour prévenir la délinquance la parole des habitants est certainement à rechercher et à écouter. En prenant appui sur le réseau de services sociaux et médico-sociaux de terrain il serait possible d’auditionner directement les personnes habitant des cités et des jeunes issus de ces quartiers. Leur parole, sur leur vie et sur les évolutions souhaitées pour résoudre ces problèmes, serait un apport certain à l’amélioration des situations et à la recherche des solutions efficaces.
Nous proposons que les services sociaux départementaux soient invités à permettre aux travailleurs sociaux d’organiser des rencontres entre habitants d’un même quartier pour recueillir leurs paroles et propositions dans une perspective de résolution des problèmes au plus près des réalités rencontrées.
En effet il apparaît que la question des incivilités résulte aussi de la très grande difficulté des générations à vivre ensemble dans le respect de chacun. C’est à dire à communiquer, à s’écouter et à échanger. C’est pourquoi un travail dans les quartiers qui vise à restaurer le dialogue entre les différentes générations des habitants doit être une priorité.
Face à cet enjeu, il est nécessaire que les travailleurs sociaux des Conseils généraux puissent être déchargés de certaines tâches administratives qui embolisent leur travail auprès de la population.
Ainsi dans tous les départements ou presque, le nombres de visites à domicile tend à diminuer tant la demande sociale se fait pressante. Il serait nécessaire de ré-interroger la place des professionnels et l’organisation des services afin de les rendre plus disponibles aux actions de terrain. Pour cela il serait aussi nécessaire de renforcer la formation continue dans le domaine de l’intervention sociale d’intérêt collectif
6 Prendre en compte les demandes d’aide des parents de façon individuelle et collective
Contrairement à de nombreuses idées reçues, les parents dans une grande majorité ne sont pas démissionnaires mais ils sont disqualifiés comme le sont d’ailleurs également fréquemment les personnes qui vivent avec les minima sociaux. Cette disqualification se traduit par des attitudes de repli et des stratégies d’évitement lorsque leurs enfants sont désignés comme « à problème » voire comme délinquants. Il est donc nécessaire d’engager un travail auprès de ces parents afin de leur permettre de retrouver leur légitimité auprès de leurs enfants. C’est pourquoi le développement d’actions en leur direction qui renforcent leur capacité et leur parentalité devrait être particulièrement favorisé. Des groupes de paroles aux maisons des parents des expériences existent un peu partout en France mais celles-ci sont limitées. Elles peinent à être pérennisées et sont limitées dans leurs moyens.
7 Ecouter ce que nous disent les enfants et les adolescents
Les professionnel(le)s qui rencontrent régulièrement les mineurs savent qu’ils posent fréquemment les bonnes questions. Ils attendent des réponses que souvent les adultes ne leur apportent pas. Renouer le dialogue avec les jeunes les plus précarisés et écouter ce qu’ils ont à nous dire est une priorité. Les adultes autour d’eux doivent rester cohérents et agir avec discernement ce qui n’est pas toujours le cas. Un travail pour une mise en cohérencedes acteurs.
Le rapport de Mme Hermange Sénateur de Paris et M. Rudolph Inspecteur Général de la Police Nationale décrit ensemble de facteurs externes aux familles qui favorisent les mécanismes de violence et d’incivilité. On ne peut donc faire porter aux seuls jeunes et à leurs parents le poids des actes posés mais on ne peut non plus les « excuser ». La question de la sanction à l’égard des auteurs de délits et d’incivilités est actuellement fortement posée mais elle a des limites. Il faut que puisse aussi être garanti quelle que soit la décision prise par l’autorité judiciaire, la possibilité pour chaque personne et notamment les mineurs d’être aidée et soutenu afin qu’ils puissent évoluer.
C’est pourquoi même si cette question est difficile en terme de risques, nous sommes réticents à l’enfermement des mineurs dans des structures fermées. Ils ne peuvent alors apprendre en vivre en société étant inscrits dans un huis clos qui les « déconnectent » de la réalité sociale dans laquelle il leur faudra plus tard prendre place. Il semble que les centres semi-ouverts articulant expériences de vie encadrés soient plus efficaces en terme de résultat.
8 Bien positionner la place des institutions et celle des acteurs de la prévention de la délinquance
Nous estimons particulièrement contre productif le mélange des genres. La lutte contre la délinquance et le maintien de l’ordre public doivent rester du ressort de la police et de la gendarmerie.
L’accompagnement des personnes et familles relèvent du travail social. La décision judiciaire s’impose à tous. Chacun doit pouvoir faire son travail à la place qui lui est assignée. Un travailleur social ne pourra pas remplacer un policier. Un policier qui s’inscrit dans le registre du travail social peut perdre rapidement toute légitimité.
L’expérience de travailleurs sociaux qui interviennent dans les hôtels de police et les gendarmeries démontre que les professionnels peuvent travailler en bonne intelligence et dans le respect des procédures de travail de chacun.. Ainsi nos collègues indiquent que le secret professionnel des travailleurs sociaux en commissariat est respecté et compris par les gendarmes et les policiers sans que cela ne pose problème à qui que ce soit.
9 Le partage d’information est un faux problème qui s ‘appuie sur un diagnostic mal posé
La connaissance qu’ont les travailleurs sociaux des familles n’est pas si différentes que celle des autres acteurs qui sont en contact avec elles, et notamment des élus lorsque ceux ci rencontrent leurs administrés. La différence porte sur les modes d’intervention et les finalités du travail engagé. Ce n’est pas la connaissance de l’information qui permet de résoudre une difficulté mais la volonté de la personne concernée de vouloir améliorer sa situation et la conscience qu’elle a d’elle même et des actes qu’elle pose. C’est pourquoi partager l’information en dehors de la personne directement concernée contribue simplement à « tourner autour de la difficulté » sans directement prendre les moyens de la traiter. En ce sens les capacités de médiation des travailleurs sociaux pourraient être mise en œuvre alors qu’un partage d’information mal maitrisé peut être très contre-productif tout en portant atteinte au respect de la vie privée,
Une prévention de la délinquance qui modifierait les règles et protocoles de travail des acteurs risque de générer des interventions incohérentes et déplacées susceptibles d’ajouter de la confusion auprès des personnes en perte de repères. Afin d’aider à leur structuration, il reste nécessaire qu’elles sachent à qui elles s’adressent en leur proposant des dispositifs clairs et non ambigus.
10 La place des élus : concertation et pilotage dans une articulation respectueuse de la place de chacun
Le maire, 1er magistrat dans sa commune est garant de la sécurité de ses concitoyens. Il est justifié qu’il soit en capacité de piloter une politique d’action de prévention qui concerne tous ses administrés. Le conseiller général agit lui aussi dans l’intérêt de la population et a en charge la question sociale. Il contribue à la mise en œuvre d’une politique départementale dans de multiples domaines. Le secteur social est le plus important quant au budget déployé. Il nous apparaît nécessaire que ces 2 acteurs puissent agir dans le respect de leurs attributions respectives. Pourquoi ?
Le président du Conseil Général est légitime auprès des travailleurs sociaux (même si les Conseils Généraux sont appelés à disparaître). Il est un acteur incontournable de la prévention. Engagé financièrement et politiquement, il ne peut ni ne doit, à notre avis, être dessaisi de son champ de compétence : le social
Le maire représente une plus grande proximité avec la population. Il est souvent interpellé par des groupes d’habitants qui représentent des sommes d’intérêts particuliers alors qu’il reste le garant de l’intérêt général. La gestion de la prévention de la délinquance remise entre ses seules mains peut ainsi à terme se révéler pour le maire très délicate pour lui.
Dans les petites communes, notamment les communes rurales, sa proximité peut le conduire à intervenir directement auprès des familles mises en cause car il n’a pas les moyens de déléguer ses fonctions. S’il doit le faire (ce qui nous semble à éviter), il recueille des éléments de la vie privée des familles. Il devra alors en tenir compte. Or ces éléments qui entrent dans l’appréciation d’une situation peuvent ne pas pouvoir être exposés sur la place publique. Le maire est d’abord une personnalité publique et il est attendu sur ce terrain et non pas sur celui de la vie privée. Nos collègues qui travaillent en polyvalence de secteur nous rappellent fréquemment que de nombreuses personnes demandent la plus grande confidentialité sur leur situation à l’égard du maire et de ses représentants. Il ne s’agit pas de défiance, Il s’agit pour chacun de garder sa dignité et sa citoyenneté. Ainsi par exemple un commerçant en grave difficulté financière, un bénévole de club sportif dont la famille se sépare, un salarié de la ville dont le fils «fait des bêtises» tous ceux qui sont engagés dans l’espace public et qui ont un lien quelconque avec leurs élus ne supportent plus le regard de ceux qui les représentent dès lors que ceux ci connaissent des aspects de leur vie personnelle voire intime. Nous avons ainsi des exemple de personnes qui changent de commune après la perte d’un statut professionnel ou social dès lors que leur situation est officiellement exposée au regard des élus et de leurs concitoyens
Le maire garde son pouvoir de police. Les travailleurs sociaux restent investis par le président du Conseil Général via l’encadrement. Et chacun déploie les actions dans le champ de compétence qui lui est propre. Maire et Conseiller Général évaluent les actions engagées à partir des orientations qu’ils ont impulsées.
Ces 10 propositions ne paraissent pas irréalistes. En tout cas elles sont respectueuses des principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) adoptés et proclamés par l’assemblée générale dans sa résolution 45/112 du 14 décembre 1990.
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