La question mérite d’être posée notamment après ce que nous venons de vivre collectivement. Les frères Kouachi sont d’anciens jeunes protégés : «Les années passées au foyer ne les ont pas aidés mais de là à tomber aussi bas!» a même précisé un de leur ancien compagnon de foyer. Pendant leur adolescence ils détestaient déjà les français même si la religion n’avait pas cette emprise sur eux. Ils étaient radicaux dans toutes leurs façons d’agir.
Combien de jeunes accompagnés par les services socio éducatifs sont dans cette posture de révolte à tout ce qui représente la moindre autorité ? Cette radicalité est une constante dans la jeunesse mais cela se calme au bout d’un moment mais ce n’est pas le cas pour tous. Cette question mérite d’être posée car que ce soit la délinquance, le grand banditisme ou aujourd’hui le radicalisme religieux, il y a bien quelque chose qui s’est construit de travers malgré l’intervention des travailleurs sociaux.
La commission d’enquête du rapport sénatorial intitulé « Délinquance des mineurs : la République en quête de respect » considère qu’une action globale conciliant l’éthique et la réalité doit être entreprise pour limiter la délinquance des mineurs. Une telle action ne peut passer que par la conjugaison de l’éducation et de la sanction. Elle propose un certain nombre d’évolutions, de pistes d’action, autour de dix principes essentiels :
1 – on n’agit bien que si l’on connaît bien ;
2 – responsabiliser et soutenir la famille ;
3 – diversifiez l’école, vous fermerez une prison ;
4 – des quartiers à reconquérir ;
5 – être impitoyable à l’égard des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions ;
6 – justice : redécouvrir la dimension éducative de la sanction ;
7 – inventer des parcours éducatifs : mettre de la contrainte dans l’éducation, de l’éducation dans la contrainte ;
8 – PJJ : l’humain contre la bureaucratie ;
9 – des partenariats responsables ;
10 – évaluation à tous les étages.
Rappelons que le travail social n’existe que dans des États de Droit. C’est bien l’État qui fait appel à des professionnels pour mettre en œuvre une politique sociale qui vise à protéger les personnes les plus fragiles mais aussi à éduquer ceux qui sont à la marge et qui ne s’intègrent pas dans la société. En tout cas il s’agit aujourd’hui d’être clair sur les valeurs républicaines qui nous animent : L’universalisme républicain, couramment appelé pacte républicain en France, est un des principes fondamentaux qui même sérieusement « secoué » reste une valeur fondamentale pour le travail social. Il s’appuie sur le triptyque Liberté- Egalité – Fraternité.
Liberté : d’aller et venir, d’exprimer une opinion, d’écrire, de poser des actes dans le respect des lois en vigueur…
Egalité : pour les hommes et les femmes de vivre et de travailler ensemble. De disposer des mêmes services… notamment sociaux
Fraternité : ce pour quoi agissent les travailleurs sociaux. La fraternité républicaine est bien dans l’idée que l’Etat ne laisse pas les plus faibles, les plus désaffiliés sans secours ni aide. Il s’agit d’agir avec eux comme s’ils étaient nos frères (ou nos sœurs) nous ne les abandonnons pas…
Mais le pacte républicain va au delà :avec la reconnaissance des valeurs des droits de l’homme qui transcendent notre démocratie et concernent tous les hommes et femmes qu’ils soient ou non de nationalité française. Les Droits de l’Homme sont inscrits dans le préambule de la Constitution Française. « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789″.
La première déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 a posé dès son premier article l’universalité des droits quelle que soit la citoyenneté de la personne. Cette citoyenneté n’étant pas définie, elle peut s’entendre comme s’appliquant à toute personne vivant sur le territoire français. Dans cette déclaration, l’universalité est bien présente également « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : [tous les hommes sont créés égaux] ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur ».
Les travailleurs sociaux sont témoins de tout ce qui empêche la liberté et la recherche du bonheur. Ne faut il pas en revenir à nos fondamentaux ? la question mérite elle aussi d’être posée.
Concluons avec cette phrase d’ Hannah Arendt.
« L’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité, et de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement de jeunes et de nouveaux venus »