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«L’aller-vers» est-il au cœur des métamorphoses du travail social ?

Vous le savez le concept « d’aller-vers » est en train d’entrer dans le langage commun des travailleurs sociaux. La stratégie nationale de lutte contre la pauvreté en a fait un axe de travail en demandant aux professionnels de se former et de s’engager dans cette démarche qui vise à aller à la rencontre de celles et de ceux  qui se tiennent éloignées des politiques sociales et de  santé, afin d’établir un lien avec elles et d’améliorer leur accès aux droits  et aux services.

Dans un article particulièrement documenté, mon ami Cyprien Avenel, sociologue, chercheur associé à l’École urbaine de Sciences Po Paris, nous explique que « L’aller-vers » est au cœur des métamorphoses du travail social. Pourquoi et comment ? Voici en quelques lignes les éléments clés que j’ai retenu de cet article publié par la Revue de Droit Sanitaire et Social.

« L’aller vers » n’est pas une pratique nouvelle

Faut-il le rappeler ? Cette pratique renvoie aux fondamentaux du  cœur de métier du travail social et de l’intervention sociale. La visite à domicile  constitue l’exemple le plus traditionnel  en service social et le travail de rue incarne un des incontournables du secteur de la prévention et de l’éducation. L’emprise des dispositifs  dans l’activité quotidienne des travailleurs sociaux s’est déployée dans le contexte d’un encadrement plus étroit des pratiques professionnelles avec des règles, des normes et des procédures qui se  sont empilées. Cette logique a profondément modifié l’activité des travailleurs sociaux, au détriment même de l’établissement d’une relation.

« Aller-vers » réhabilite la logique de prévention. C’est un levier permettant de combattre à la source la pauvreté et les inégalités, afin d’intervenir plus en amont, avant que les difficultés ne soient installées. C’est une volonté d’agir préventivement plutôt que de  réparer. Il s’agit de promouvoir les droits fondamentaux et l’autonomie des personnes,  tout en réhabilitant la participation de celles-ci à la société.  Comment ne pas être d’accord ?

Pourquoi « aller-vers » ?

Nous savons qu’il existe une partie non négligeable de la population qui n’accède pas aux  prestations ou aux services qui lui sont  destinés. « L’aller-vers » est alors conçu et défendu comme une réponse pertinente adaptée aux défis sociaux actuels  et au décrochage de catégories de la population qui bien qu’ayant des droits, ne les demandent pas.

Toute une armada de dispositifs techniques et réglementaires s’est mise en place ces dernières années, si bien que les professionnels finissent par occuper plus de temps à gérer la complexité bureaucratique et à instruire des dossiers suivant la logique des « files actives » qu’à se révéler être tout simplement présents avec les personnes, au risque d’une perte de sens de la mission.

Il s’agit d’opposer à la logique de « guichet » distributeur de prestations, une approche davantage préventive et ancrée sur le terrain. De ce point de vue, l’« aller vers » ne signifie rien d’autre que le retour au cœur de métier, là où le fonctionnement des institutions contribue à produire de la distance entre les travailleurs sociaux et les personnes en grande difficulté.

Cyprien Avenel nous rappelle aussi que la démarche d’aller au-devant des populations en marge se trouve dans les ferments de l’intervention sociale au XIXe siècle. Cela se traduisait par interventions de rue auprès des personnes qui n’ont pas de domicile (je vous passe les détails historiques forts bien documentés avec les modèles d’intervention « case-work » – Mary Richmond -, et communautaires avec les « settlement houses »)

L’aller-vers est aujourd’hui une tentative de réponse permettant de lutter contre le non-recours. Le sociologue estime que « l’intervention sociale a perdu le service de  la relation dans la relation de service ». « L’accès aux droits fondamentaux passe par une démarche qui nécessite de sortir de son bureau, pour aller physiquement vers les personnes, afin de contrebalancer les attitudes de renoncement, et d’isolement, dans un travail d’accès vers la citoyenneté. En ce sens  aussi, la relation d’aide devient une aide à la relation. La crise sanitaire et les gestes barrières n’ont pas non plus aidés dans ce sens.

Peut-on définir l’aller-vers ?

« Il n’existe pas de définition conventionnelle de l’« aller-vers ». Il ne s’agit pas non plus d’un concept scientifique mais d’une notion institutionnelle qui désigne une posture et des pratiques professionnelles. On ne trouve d’ailleurs quasiment pas de travaux universitaires en France sur cette notion, à l’exception de ceux qui sont réalisés dans le cadre de la thématique du non-recours. »

Cyprien Avenel reprend la tentative de définition proposée par Philippe Warin, qui a piloté un groupe de travail sur ce sujet dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté :

« L’aller vers est  à entendre comme une démarche qui se situe au-delà de toute intervention  sociale, qu’elle soit d’accueil, de diagnostic, de prescription, d’accompagnement. Cette démarche rompt avec l’idée  que l’intervention sociale ferait systématiquement suite à une demande exprimée. Elle permet d’intégrer dans les pratiques les situations de non-demande de certains publics (pas seulement des personnes vulnérables) et engage les acteurs à se situer dans une pratique pro-active, pour entrer en relation avec ces publics »

Aller-vers : un questionnement éthique

Cette pratique  pose directement une question d’éthique de la relation à l’autre et de l’accompagnement. Dès lors que certaines personnes refusent de répondre (sans abri par exemple), l’intervenant doit-il ne pas contraindre la personne (et la laisser, voire l’abandonner à son propre sort) ou bien forcer le  contact pour s’assurer qu’elle va bien ? La crise sanitaire liée à la COVID-19 a été un miroir grossissant de ces dilemmes ».

Il y a une forme d’ambivalence dans la pratique. Jusqu’où aller ? La démarche est paradoxale. Certes le devoir d’assistance et de secours justifie l’intervention, mais le travailleur social s’approche aussi de ce que l’on appelle l’aide par la contrainte, voire le contrôle social.

L’auteur nous rappelle aussi qu’il existe une grande diversité des pratiques. Les actions sont souvent
tournées vers des publics très ciblés, mais pas que. Les maraudes se développent aujourd’hui à partir d’un référentiel de compétences bien établi. La nécessité d’entrer en relation révèle d’avoir pensé l’acte en amont. Pour étayer son propos, Cyprien Avenel prend de multiples exemples issus du terrain que ce soit dans le cadre de l’insertion, de la politique de la ville, ou encore de la prévention spécialisée en psychiatrie avec ses équipes mobiles. 

Le sociologue nous parle aussi des enjeux de la formation. Ils sont importants. Il fait aussi état  d’une autre réalité qui ne manquera pas d’interroger les praticiens. En effet,  cette pratique est parfois positionnée comme une stratégie de pilotage de l’action sociale et de management  des organisations.

Dans sa conclusion l’auteur tente d’avancer une hypothèse par laquelle « l’Aller-vers » se constitue comme un nouveau pilier du cœur des métiers avec « l’accompagnement social ». Pour ma part, je crains que cette pratique utile et pertinente de « l’Aller-vers » perde son sens en s’institutionnalisant. Le risque serait grand alors que les travailleurs sociaux y perdent leur latin. Aujourd’hui on n’en est pas là et l’aller-vers reste à mon avis une formidable opportunité pour renouer avec un travail social de proximité, attentionné et humain comme il aurait toujours dû être.

 

Article à lire dans le numéro de la Revue de droit sanitaire et social RDSS – juillet – août 2021 – pages 577 à 764

 

Photo : capture d’écran vidéo issu de l’interview de Cyprien Avenel et de Denis Bourque à l’occasion de la présentation aux éditions Dunod de leur livre « Les nouvelles dynamiques du développement social »

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2 Responses

  1. Bonjour; l’aller vers pourrait s’appliquer surtout aux équipes des services des centres médicaux sociaux des départements ou dans certains services hospitaliers qui prônent encore pour beaucoup que c’est à la personne à aller vers, à solliciter; nous sommes parfois face à des situations ubuesques et cela me met en colère;

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