Didier Dubasque
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Maryse Tannous Jomaa : « Aller vers »… 3 défis pour les travailleurs sociaux

J’ai eu le plaisir de rencontrer récemment Maryse Tannous Jomaa, professeure associée à l’Ecole libanaise de formation sociale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et vice présidente de l’Association Internationale pour la Formation, la Recherche et l’Intervention Sociale – AIFRIS. C’est à cette occasion que nous avons pu échanger sur le concept « aller vers ».  Elle  apporte des éléments de réflexion très intéressants sur cette question qui se pose  dans notre pays. Invitée à la journée nationale du travail social organisée par le HCTS et la DGCS à Paris dans les salons de l’hôtel de Lassay, Maryse Tannous-Jomaa a pu  nous apporter un regard décentré de nos préoccupations franco-française. Sa vision de l’aller vers mérite que l’on s’y arrète.

Aller Vers ou les  marges de liberté des Travailleurs sociaux 

« Je proviens d’une région du monde (le Moyen-Orient) aux prises avec des guerres, des conflits politiques et militaires ainsi que des crises humanitaires aigues (déplacements forcés de réfugiés). Dans ce type de région, il y a peu de place à la protection et au développement social. Les politiques sociales sont fragmentées et peu appliquées contrairement á celles que l’on retrouve dans les États-providence au-delà des critiques qu’on leur attribue. Par conséquent, les droits sont inégaux et souvent bafoués ».

En l’absence du rôle protecteur de l’État, ce sont les forces vives de la société qui militent et innovent pour trouver des solutions adéquates aux problèmes sociaux. Ce qui procure une grande marge de liberté aux travailleurs sociaux puisque ces derniers œuvrent le plus souvent dans le secteur associatif sur lequel l’État n’a qu’une très faible emprise. C’est une sorte de logique inversée par rapport à l’Europe ou la France par exemple. Cependant l’effort de la société civile incluant les travailleurs sociaux n’est pas non plus garante des droits, ce qui incite ces derniers à adopter un positionnement plus militant et plus engagé pour revendiquer et surtout pour s’impliquer comme acteur, partenaire de l’État dans l’élaboration et la mise en place de politiques. Du coup, ceci évite au travailleur social une posture passive d’exécutant de politique inappropriée aux besoins réels et le transforme en acteur de changement positif. »

Certains enjeux et  facteurs macro-sociétaux  empêchent d’aller vers..

Avant d’aller plus loin, il est utile de repérer les freins à l’aller-vers. « Dans le contexte d’où je proviens, la notion d’aller vers.. ne se pose pas initialement comme objet à débattre, ni au niveau socio-culturel, non plus au niveau professionnel. En effet, nous sommes au Liban un pays pluriel composé d’une mosaïque de religions et de confessions (Il y en a 18). Nous sommes hôte de centaines de milliers de réfugiés ».

Le vivre-ensemble était naturel avec des valeurs fortes d’acceptation mutuelle, d’hospitalité, de chaleur humaine, de solidarités familiales et communautaires, de générosité, partage et fierté. Donc le aller vers.. était naturel jamais questionné. Cependant nous nous sommes heurtés à plusieurs facteurs macro – sociétaux qui nous ont empêché d’aller vers..
– Les guerres civiles en ce qu’elles provoquent comme brisures du lien social.
– La faiblesse des politiques sociales qui créent des inégalités sociales et de discrimination
– La faiblesse de l’éducation à la citoyenneté qui cède la place à l’indifférence, au désengagement ou à la méfiance de l’autre.
– Les discours et messages politiques qui stigmatisent des groupes sociaux… »

Le aller vers.. n’est plus un acte naturel et spontané, il devient une opération difficile, artificielle qui perd de son authenticité. Cela se ressent dans la relation d’aide professionnelle. En somme c’est pour vous dire 2 choses :
– L’excès de l’interventionnisme de l’État et l’instrumentalisation du rôle du travailleur social ne sont pas les seules entraves à l’aller vers, d’autres facteurs ont un rôle négatif.
– Il ne suffit pas de vouloir aller vers mais aussi de pouvoir aller vers…  et ce pouvoir nous pourrions le développer à travers la qualité de la formation professionnelle et les bonnes pratiques du terrain ».

Aller vers.. Quelle signification pour le Travail social ?

J’aime beaucoup cette citation: “le Travail social est un métier qui fabrique de l’humanité”. Dans la relation d’aide, le travailleur social témoigne aux personnes accompagnées de sa compassion, de son écoute, empathie, respect des besoins… Il se doit respecter la culture de l’autre (par exp dans notre région on peut insulter une personne accompagnée en refusant simplement un cadeau de sa part comme accepter une laitue de son potager). Ce sont des attitudes de base enseignées au niveau de la formation et que les travailleurs sociaux traduisent dans leurs actes professionnels.

Cependant Aller vers.. en travail social ne se limite pas à une simple attitude non plus à une simple volonté. Elle nécessite un but : celui de changer une réalité indésirable pour y induire des changements positifs. C’est là où réside le sens profond de l’accompagnement social. Ce changement positif ne se réalise pas uniquement au niveau de la relation d’aide (micro)mais s’effectue surtout au niveau macro, c’est à dire dans la sphère publique des politiques sociales ainsi que dans le lien avec le contexte international. On ne peut plus se plaindre des politiques inadéquates mais plutôt penser contribuer à leur élaboration.

Le travailleur social est bien placé pour porter la voix des plus vulnérables, il l’est aussi pour leur trouver des solutions adéquates avec les instances de l’Etat. Tout cela nous emmène à nous interroger sur quel travailleur social voulons-nous former? Est-ce un fonctionnaire chargé d’exécuter de lourdes procédures, tassé derrière son bureau attendant l’heure du départ? Ou alors un véritable acteur de changement, un stratège capable de projeter une vision, un concepteur voire un ingénieur social capable de jouer dans l’arène publique tout en Co-construisant des projets durables avec une ouverture au monde international ?

Quelles pistes pour favoriser le Aller vers.. pour les travailleurs sociaux ?

Nous sommes confrontés à 3 défis majeurs :

– Le premier défi se situe au niveau de la formation, le développement de la scientificité est de rigueur (cela renforce l’expertise et la reconnaissance scientifique du métier). À travers la recherche qui créait de l’impact social, à travers la connexion aux universités, à l’enrichissement des programmes de formation, les projets pilotes entre lieux de formation et lieux de pratiques.

-Le second défi aborde le niveau stratégique ou politique, favoriser un partenariat entre le secteur public et le secteur associatif. Aujourd’hui on parle de bonne gouvernance dans les affaires publiques basé sur le partenariat privé/public. Ceci requiert de l’État non pas une démission de ses rôles traditionnels mais une transformation de la posture de l’Etat qui reconnait la force de la société civile et l’associe comme partenaire à part entière dans la conception et la mise en place des politiques sociales. Inversement, ceci requiert de la société civile un renforcement de son rôle pour s’élever au rang attendu d’elle comme partenaire de l’État.

– Le 3eme défi pour Aller vers.. c’est sortir de l’entre soi. C’est de faire un pas vers l’autre différent, pouvant être un autre lieu contexte géographique; pour aller vers l’international, explorer d’autres cultures, d’autres façons de penser et d’agir tout en s’enrichissant mutuellement.

« Nous avons à répondre à tous ces défis pour construire ensemble un monde meilleur et vivable pour tous ».

 

Merci Madame pour vos propos empreints de sagesse et d’humanité

photo : Maryse Tannous – Jomaa lors de sa venue à l’hôtel de Lassay à Paris

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