Voilà un roman appartenant à ces récits dont il est difficile de se décoller, avant d’avoir tourné la dernière page. Sans doute parce qu’il est à la fois terrifiant et optimiste, désespérant et encourageant, mélancolique et réjouissant.
Jules Bonneau (patronyme qu’il fallait inventer, l’auteur l’a osé !) passe devant la justice à l’âge de douze ans. Comme le veut la loi, son âge ne lui permet pas d’être pénalement sanctionné, car considéré comme ayant agi « sans discernement ». Il n’en est pas moins envoyé à la colonie pénitentiaire de Belle-Ile.
On ne finira jamais de décrire les effrayantes ignominies que cet immonde bagne imposa à des enfants dès son ouverture en 1880. Et il ne faudra jamais cesser de remuer encore et encore le souvenir de cette monstruosité infligée à une jeunesse coupable d’avoir été abandonnée, d’avoir volé un pain ou d’avoir été pris à vagabonder. Chenapan, voyous, bandits : entre 12 et 21 ans, ils vont tous vivre au quotidien la violence, les passages à tabac, les viols, la torture, les cachots, le travail forcé, le froid, la faim entre les mains de gardiens avinés et sadiques, brutaux et cruels. Les cent premières pages raisonnent d’une férocité indicible. Il faut les lire, pour se rappeler à jamais ce qu’une société peut infliger à des enfants.
Puis, vient ce 27 août 1934, fameux pour la révolte qui explose. Chauffé à blanc par les pages qui précèdent, comment le lecteur ne peut-il pas se projeter dans ce feu qui crépite, dans ces fenêtres qui explosent, dans ces meubles qui se fracassent sous la colère déchaînée d’une émeute qui éclate enfin. Ils sont 56 « pupilles » (puisque c’est ainsi que sont dénommés les jeunes bagnards) à s’échapper, s’éparpillant sur une île cernée par la mer. Toute la population s’y met pour les capturer.
Jacques Prévert en a fait un inoubliable poème (La chasse à l’enfant) :
« C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s’y sont mis
Qu’est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil. »
Faut-il donc désespérer de l’espèce humaine, la voyant réduite à une bande d’excités prêts à lyncher tout ce qu’elle croisera s’il n’y avait à la clé une récompense de 20 Francs ? Sur les 56 évadés, 55 seront repris, battus, renvoyés en enfer. Le 56ᵉ disparaitra sans n’être jamais retrouvé.
Et c’est l’histoire de Jules Bonneau imaginée par Sorj Chalandon. À compter du tiers du livre, l’horreur s’estompe, la fraternité surgit, la bienveillance l’emporte. Le récit nous fait renouer avec une humanité n’ayant pas totalement déserté la planète folle des hommes. Le lecteur peut souffler, reprendre espoir et s’apaiser. Non que la destinée de cet enfant perdu soit exempte de violence.
On ne se relève pas si facilement que cela de la barbarie qu’on a subie pendant tant d’années. Mais, au moins, Jules Bonneau reprendra sa vie en main, enfin libéré de la férule despotique sous laquelle il a passé son enfance. Ce roman animé par une rage et une colère si contagieuses constitue l’un des plus bel hommage à la générosité et l’une des plus poignante condamnation de la malfaisance ordinaire dont puisse se rendre coupable le monde adulte à l’égard des jeunes générations.
- L’enragé (Grand format – Broché 2023), de Sorj Chalandon | Grasset Sorj Chalandon, Éd. Grasset, 2023, 407 p.
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Il est signé Jacques Trémintin
Lire aussi :
1. Le bataillon des nuisibles. Les pupilles de la colonie pénitentiaires de Belle-Ile-en-mer (1880-1918) Julien Hillion, Jadis Editions, 2022. Voilà une plongée réaliste et terrifiante sur un épisode peu glorieux de notre passé : le livre de Julien Hillion réactive notre devoir mémoriel.
2- Le gosse, Véronique OLMI, Éd. Albin Michel, 2022, 295 p.,Il faut lire ce roman stupéfiant qui décrit le destin de Joseph, orphelin à 7 ans, expulsé de l’Assistance publique à cause de ses fugues, enfermé dans la prison pour enfants panoptique de La Petite Roquette, pour ensuite être envoyé à la Colonie pénitentiaire de Mettray.
3- Une enfance en enfer,Jean FAYARD, Le Cherche Midi, 2003, 282 p., Ce que Jean Fayard nous décrit de son enfance est proprement hallucinant. On a du mal à imaginer qu’un homme victime à ce point de l’acharnement et de la violence aie pu survivre sans devenir un psychopathe assoiffé de vengeance.
4- La chasse aux enfants, Jean-Hugues LIMES, Le cherche midi, 2004, 267 p., Depuis que sa mère l’a abandonné, Raymond a été ballotté d’orphelinat en orphelinat. A 13 ans. Il est condamné à séjourner jusqu’à ses 21 ans dans la colonie pénitentiaire de Belle Ile
5- Une institution publique d’éducation surveillée : Belle-Ile-en-Mer (1945-1977), Sous la direction de Thierry Fillaut, Éd.CNFE-PJJ, 1996, 122 p. Un groupe d’éducateurs de la région Bretagne/Pays de Loire de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, a tenté avec l’aide d’un universitaire de redonner vie au souvenir d’une institution disparue il y aura bientôt 20 ans.
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Une réponse
Merci pour ce partage M. DUBASQUE. J’ai eu l’occasion de le lire et je confirme tout le bien qui est dit de ce livre. Le récit est brut, émouvant et donne à voir de la façon dont la société française traitait ses enfants il y a moins d’un siècle. Pour qui connaît Belle Ile en Mer de plus, vous y trouverez l’occasion de revisiter l’ambiance et les paysages locaux.
Comme tous les livres de S. CHALANDON, le récit est direct et l’auteur sait nous faire partager les turpitudes de chacun des personnages. Bonne lecture à toutes et tous. Jean-François