Voilà une plongée réaliste et terrifiante sur un épisode peu glorieux de notre passé : le livre de Julien Hillion réactive notre devoir mémoriel.
Porter son regard sur son passé permet de mesurer combien notre société a été pendant si longtemps des plus violente envers sa jeunesse. Elle a pratiqué et légitimé une cruauté et une brutalité éducatives qui n’ont commencé à être combattues que finalement très récemment.
Certes, on ne peut que se réjouir de constater combien le sort des enfants de justice d’aujourd’hui est incomparablement différent de celui d’hier. Mais ce constat ne doit pas nous exonérer du souvenir de cette infinie souffrance imposée à tant de générations. Il doit nous inciter à nous montrer vigilants contre toute tentation de régression vers de tels extrêmes.
La première colonie pénitentiaire pour mineurs ouvre ses portes à Metray en 1839. Cette initiative privée se donne pour objectif de mettre un terme à leur confinement carcéral avec les adultes. Mais aussi de les réhabiliter par l’apprentissage d’un métier agricole.
L’article 9 du Code pénal de 1810 acquitte systématiquement les délinquants de moins de 16 ans, pour manque de discernement. Inappliqué jusque-là, les tribunaux vont désormais continuer à les relaxer pour la mendicité, le vagabondage ou les petits larcins dont ils sont accusés. Mais en décidant parallèlement de les enfermer jusqu’à … leurs 20 ans !
Ils deviennent « pupilles » par substitution à leurs familles jugées défaillantes, pour cause de paresse, d’ivrognerie, de misère ou d’indiscipline. « Graine de bagnard », « parias de la société » « gibiers d’échafaud », autant de « nuisibles » bénéficiant de peu de mansuétude qu’il faut soumettre à une « orthopédie morale et de redressement »
Après l’avènement de la 3ᵉ République, l’État entend se réapproprier le droit de punir sa jeunesse. Il reprend donc en main la mission correctionnelle. En 1880, l’administration pénitentiaire ouvre à Belle-Ile-en-mer une colonie destinée aux mineurs âgés de 12 à 20 ans.
Montrée en exemple dans chaque congrès pénitentiaire international et même lors de l’exposition universelle de Paris en 1889, la réalité de cet établissement est bien plus terrifiante. Derrière la vitrine d’un modèle idéal, règnent des conditions d’hébergement déplorables et d’hygiène lamentables. Environnement qui ne cessera de se délabrer, par manque de crédits.
Les principes de fonctionnement s’abreuvent au triptyque : stricte discipline, obéissance sans réserve, épuisement physique. Des journées de 11 heures s’égrènent dans la sueur et les larmes, le sang et la puanteur. Tel est le régime quotidien que subiront les 3 415 pupilles redressés à la force du poignet entre 1880 et 1910.
Le jour sur les chantiers maritime, agricole ou industriel, la nuit chaque pupille est enfermé dans des cages individuelles grillagées. Le tout agrémenté de rares heures de scolarité et des promenades extérieures au pas cadencé, au son du tambour ou du clairon. Le régime du caïdat s’impose : les plus faibles échangent leur protection contre des faveurs sexuelles.
La discipline est confiée à d’anciens militaires passés par les maisons centrales pour adultes. La violence est permanente. Les coups pleuvent à tout instant. Un chuchotement, une marche inadaptée, un travail trop lent… Tout est prétexte aux mauvais traitements.
Une première campagne de presse dénoncera cette réalité en 1911. Elle sera sans effets. Il faudra attendre celle menée par Alexis Danan en 1934, pour que l’opinion publique se sensibilise. C’est une révolte de trop qui provoqua cette prise de conscience alimentée par le célèbre journaliste.
L’échec de la colonie pénitentiaire n’est pas seulement moral aux yeux de la conscience historique. Sa faillite est aussi celle de l’ambition d’alimenter les rangs de l’armée. Tout au long de son existence, seuls 20 % des pupilles contracteront un engagement.
La monographie de Julien Hillion passe au scanner tous les aspects de cette institution correctionnelle, détaillant avec précision son fonctionnement disciplinaire et humain, administratif et financier.
Jacques Trémintin
Lire aussi sur le site de Jacques Trémintin :
1- Le gosse, Véronique OLMI, Éd. Albin Michel, 2022, 295 p., Il faut lire ce roman stupéfiant qui décrit le destin de Joseph, orphelin à 7 ans, expulsé de l’Assistance publique à cause de ses fugues, enfermé dans la prison pour enfants panoptique de La Petite Roquette, pour ensuite être envoyé à la Colonie pénitentiaire de Mettray.
2- Une enfance en enfer, Jean FAYARD, Le Cherche Midi, 2003, 282 p., Ce que Jean Fayard nous décrit de son enfance est proprement hallucinant. On a du mal à imaginer qu’un homme victime à ce point de l’acharnement et de la violence aie pu survivre sans devenir un psychopathe assoiffé de vengeance.
3- La chasse aux enfants, Jean-Hugues LIMES, Le cherche midi, 2004, 267 p., Depuis que sa mère l’a abandonné, Raymond a été ballotté d’orphelinat en orphelinat. A 13 ans. Il est condamné à séjourner jusqu’à ses 21 ans dans la colonie pénitentiaire de Belle Ile
4- Une institution publique d’éducation surveillée : Belle-Ile-en-Mer (1945-1977), Sous la direction de Thierry Fillaut, Éd.CNFE-PJJ, 1996, 122 p., Un groupe d’éducateurs de la région Bretagne/Pays de Loire de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, a tenté avec l’aide d’un universitaire de redonner vie au souvenir d’une institution disparue il y aura bientôt 20 ans.
5- Les enfants de la République. L’intégration des jeunes de 1789 à nos jours, Ivan ABLONKA, Le Seuil, 2010, 357 p. L’auteur éclaire la vision contemporaine d’une jeunesse dangereuse, en jetant un regard rétrospectif sur la façon dont l’enfance abandonnée et délinquante est devenue une affaire d’État.
Bon Pasteur : du refuge à l’enfer (Article) : Le Bon Pasteur fut, au XXème siècle, l’une des principales institutions à accueillir des filles et des adolescentes en difficulté. La publication d’un recueil de témoignages d’anciennes pensionnaires fait tomber sur cette communauté un éclairage des plus effroyable.
Bonus vidéo :
Belle-Ile-en-Mer l’Enfance en pénitence 1880-1950
Souce : Belle-Ile-en-Mer l’Enfance en pénitence 1880-1950 from ENPJJ on Vimeo.
Photo en une : extrait de la couverture du livre
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