Livre ouvert | Services publics : chronologie d’une liquidation

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Les services publics se sont développés à compter de 1820 pour répondre aux pressants besoins d’infrastructures (routes, chemin de fer, télégraphes, canaux …). Ils n’ont cessé de s’étendre depuis.

la valeur du service public

Une brutale remise en cause est intervenue au début du XXIᵉ siècle. Avec pour commencer la révision générale des politiques publiques (RGPP) adoptée le 20 juin 2007 par un gouvernement de droite a d’abord décidé du non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Ce qui a eu pour effets toute une cascade de restructurations, de fusions et de relocalisations faisant péricliter les équipements des services publics. Fermeture de 178 tribunaux d’instance et de 21 tribunaux de grande instance, de multiples maternités et d’hôpitaux, suppression de 65 000 postes d’enseignants et de 13 000 postes de policiers, recours massifs à l’emploi précaire dans la fonction publique.

Juin 2012, le nouveau gouvernement de gauche met un terme à la RGPP. Mais c’est pour la remplacer par la Modernisation de l’action publique (MAP) qui conditionne qui impose un redressement budgétaire tout aussi drastique. Les impératifs comptables ont survécu à l’alternance. Les économies réalisées permettront de financer le coûteux crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) qui n’aura qu’un effet des plus modestes sur l’emploi, mais bien plus important sur les profits des grosses entreprises.

Le 6 août 2019 était votée la loi portant transformation de la fonction publique. Son objectif ? Chercher à dé-fonctionnariser les services publics en favorisant la mobilité avec le privé et en multipliant des emplois contractuels.

Changement dans la continuité

La volonté constante des politiques de tous bords est donc bien de s’attaquer aux services publics. Il n’est jamais question de progrès social, mais toujours de coûts à réduire, de réformes à mener pour les rentabiliser, les optimiser et les rationaliser. Il y a toujours trop de fonctionnaires… mais il n’y a jamais assez de services publics !

Entre autres illustrations des conséquences induites, les auteurs nous parlent des effets de la disparition des 160.000 lits d’hospitalisation. Ils décrivent la fin de ces fonctions de directeurs en tant qu’agents du service public, transformés en chef d’entreprise, les yeux rivés sur les seuls critères financiers. Ils évoquent l’éloignement spatial de ces services, distanciation encore aggravée par la généralisation croissante du tout numérique. Ils dépeignent la réapparition d’une différenciation de traitement selon le niveau de revenus.

Ce qui est ainsi remis en cause, c’est la construction historique de ces services publics et ce qui fonde leurs valeurs. L’égalité d’accès, tout d’abord, pour tous les citoyens, qu’ils habitent la plaine ou la montagne. La continuité, ensuite, d’un service qui ne doit pas s’interrompre mais toujours assurer une disponibilité. La neutralité, encore, tant politique et idéologique que religieuse. L’adaptabilité toujours aux situations les plus diversifiées qui se présentent à lui.

Venue de bonnes familles et formée dans d’excellentes écoles de cadres où elle prend pour exemple le monde des affaires, la noblesse managériale public-privé pilote ces opérations de dépeçage, avec systématisme et conviction. Leur volonté de moderniser les services publics est sans faille, quitte à les massacrer.

 

 

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


Lire aussi :

  • Qui veut la peau des services publics ? Jacques Cotta, Éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2011, 348 p. Les gouvernements successifs qui n’ont eu de cesse de proclamer leur intention de préserver le modèle social français, sont les mêmes qui n’ont pas arrêté de tenter de le détruire.
  • Face à l’insécurité sociale. Désamorcer les conflits entre usagers et agents des services publics, Suzanne Rosenberg et Marion Carrel, édition La Découverte, 2002, 250 p. Bus dégradés, mobilier urbain détruit, gifle donnée à l’instituteur, émeute urbaine s’attaquant aux services publics symboles de l ‘Etat, les violences faites aux biens communs et aux agents des collectivités sont multiples et diverses. L’une des réponses possibles est répressive. D’autres solutions existent pourtant, comme le montre cet ouvrage
  • La casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public, Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent, Éd. Asions d’agir, 2020, 186 p. L’analyse, ici, est limpide et la démonstration est implacable. Les politiques hospitalières ont suivi une remarquable continuité depuis les années 1980 : transformer chaque établissement en structure autonome et flexible et de confier leur direction aux experts du New Management Public qui avaient déjà fait leur preuve dans le privé.
  • Déontologie de la relation à l’usager – Dans les services et établissements sociaux, Yves Le Duc, Dunod, 2000, 166 p., Les années 80 ont connu une prise de conscience tout à fait nouvelle dans la vision de l’usager : derrière la personne objet de l’aide se dresse un sujet de droit  qu’il faut respecter en tant que tel, au-delà de ses difficultés.

 


Bonus  (Billet mis en ligne sur le site de Lien Social en pleine pandémie le 13 mars 2020)

Promesses présidentielles sans lendemain ou véritable tournant ?

Cela fait des décennies que le service public est détricoté, maille après maille. Depuis les années 1980, tous les gouvernements qui se sont succédé de gauche comme de droite ont participé à sa déstructuration.

Les dépenses sociales étaient trop élevées, pesant sur la compétitivité de notre économie. Il fallait réduire les charges des entreprises et diminuer leurs impôts pour abaisser leurs coûts de production ; assouplir le code du travail, véritable carcan étouffant l’initiative privée ; flexibiliser l’emploi pour favoriser les embauches (et les licenciements) ; retarder l’âge de départ à la retraite, par manque de moyens pour la financer ; ne pas dépasser le mythique 3 % de déficit public (pourquoi pas 2 ou 4 % ? Ce chiffre a été fixé en référence avec la Sainte trinité chrétienne !) ; prendre des mesures d’austérité courageuses ; amaigrir le train de vie de l’État en supprimant massivement des postes de fonctionnaires ; fermer les services, les lits et les établissements sanitaires non rentables ; introduire des règles de gestion des administrations calquées sur l’entreprise privée dotée de toutes les vertus ; lutter contre la dette ; imposer au travail social une obligation de performance ; soumettre l’action publique aux critères de rentabilité ; introduire les pratiques de compétitivité au cœur de l’aide aux plus démunis ; conditionner le financement des associations aux preuves de leur efficience ; calquer l’offre de soin sur la gestion des stocks à flux tendu… en un mot comme en cent tout ce que le paradigme néo-libéral pouvait véhiculer comme prêt à penser, largement diffusé par nos médias, éditorialistes et autres commentateurs.

« La santé n’a pas de prix »

Et puis, et puis, voilà que tout ce beau discours bien huilé qu’on nous a servi depuis quarante ans commence à craquer sous l’effet d’un Coronavirus ! Celui qui s’en était fait le champion proclame : « La santé n’a pas de prix, le gouvernement prendra tous les moyens nécessaires ». Disparu le refrain sur l’impérative nécessité de tenir les déficits et de freiner l’endettement de notre pays ! Mais, le meilleur était à venir : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie. » Nous avons bien entendu hier soir, ce message de notre Président qui donne raison aux discours tenus à contre-courant, depuis des décennies : les secteurs du soin, du social et de l’éducatif ne peuvent et ne doivent être gérés à l’aune de la marchandisation. Ils doivent être sanctuarisés par rapport aux exigences de rendement du secteur privé. Ils n’ont pas, par essence, à être lucratifs et on ne peut réussir à mesurer leur rendement. Ces perspectives de changement qu’Emmanuel Macron affirme être prêt à assumer relèvent-elles de ces « ces promesses (qui) n’engagent que ceux qui les reçoivent » ? Une fois la menace passée, le néo-libéralisme reprendra-t-il tous ses droits ou assiste-t-on au début de la fin d’une idéologie qui, pour avoir permis aux nantis de s’enrichir sans limites, a causé tant de malheurs pour les plus démunis ? Seul l’avenir le dira.

Jacques Trémintin


Photo : avatar DC Studio

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Une réponse

  1. Merci, article qui récapitule ce que j’ai observé depuis 35 ans dans le social,
    il nous reste le cœur du métier bien que ?

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