Les travailleurs sociaux ont la réputation de ne pas réussir à écrire sur leur métier. Cet ouvrage dément cette idée reçue.
Il n’est pas rare de lire les mémoires d’anciens éducateurs, moins souvent les récits de collègues en exercice. Quant à ceux d’étudiants en formation ou à peine diplômés, ils sont exceptionnels. Les témoignages de jeunes professionnels publiés ici confirme le propos de Corneille voulant que « la valeur n’attend point le nombre des années » !
Ils sont quatre jeunes professionnels décrivant leur travail en protection de l’enfance. Leur secteur d’intervention est la prévention spécialisée, une maison d’enfants à caractère social, un foyer d’accueil d’urgence et même une école élémentaire dans la banlieue de Manchester.
Leur diplôme ne leur a pas apporté de certitudes, ni de bonnes réponses. Elle leur a enseigné l’humilité. Qu’on en juge par ces propos glanés tout au long des pages. Se former, dit l’un, ce n’est pas apprendre des vérités, mais découvrir la somme des réflexions qui permet d’adapter sa pratique à la variété des situations rencontrées.
Faire évoluer l’autre passe par une infinité de riens, de flottements, de temps morts et de tâches à accomplir. Mais on a parfois du mal à mesurer, sur le moment, l’intérêt éducatif, affirme l’autre. Il s’agit de semer une multitude de graines que seul l’usager choisira ou non de faire éclore.
Pour travailler, constate un troisième, il faut parfois accepter de ne pas être accepté. Certains usagers n’ont que défiance face à ceux qui prétendent vouloir les aider. Il faut pourtant continuer à les accompagner malgré les insultes, les crachats, les coups, les mises en danger physique. Seules la continuité, la permanence et la fiabilité peuvent créer cette confiance si fragile à conquérir, à amplifier et à consolider.
Et de continuer par une métaphore théâtrale et musicale. Le travail éducatif relève plus du théâtre d’improvisation que d’un texte à réciter par cœur ; du choix de piocher dans toutes les notes disponibles celles qui s’avèreront les plus justes plutôt que de suivre une partition déjà écrite. À chaque instant, il faut varier ses modalités d’action, choisir celle qui semblera la plus adaptée, s’ajuster aux circonvolutions des problématiques.
Un public accompagné trop souvent écorché vif qui possède à la fois toutes les qualités et tous les défauts du monde. Ces mômes peuvent se montrer, tour à tour, câlins et violents, insupportables et adorables, compatissants et moqueurs, drôles ou moqueurs, intelligents ou méchants. Le savoir-faire et le savoir-être professionnels consistent justement à réussir à se confronter au quotidien à tous ces comportements provocateurs, fuyants et parfois désespérés.
Ces jeunes ne sont pas là pour devenir de meilleures personnes. Pas plus que pour réguler leur comportement ou pour mettre fin à tous leurs dysfonctionnements, mais pour être sécurisés, écoutés et (ré)confortés. C’est cette bienveillance qui leur permettra de panser et penser leur passé, leur présent et leur futur.
La qualité réflexive de leurs commentaires ne peut que rassurer sur la valeur des jeunes générations. Elle démontre que l’on peut compter sur celles et ceux qui prennent le relais, mais aussi sur l’excellence de la formation reçue. Le lecteur s’en convaincra lui-même en se plongeant dans les récits de haute volée qu’ils/elles nous proposent.
- Récits d’apprentissages en terres éducatives – Salim Behloul, Léna Francina, Fabien Bitoun, Thomas Carreau, Naomi Negoce Éd L’Harmattan, 2024, 113 p.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
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