Livre ouvert : Perdre sa vie à la gagner

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Ces dernières décennies, le travail a changé, s’accélérant et devenant de plus en plus exigeant. Il suscite autant de souffrance que de bonheur.

couv le travail est malade

Bien sûr que le malaise ressenti n’est pas comparable à celui des ouvriers de Zola. On est loin de ces exténuantes douze heures par jour. Il se manifeste plutôt sous la forme d’épuisement professionnel, de trouble anxieux et de dépression. Maxime Bellego, psychologue clinicien, nous en dresse un diagnostic précis et lucide.

Sa mise en garde est claire : il ne faut pas se tromper en ciblant le travailleur qui serait malade, mais prendre conscience quec’est le travail lui-même qui est en cause. La violence qui lui est associée vient de loin. L’avènement du taylorisme, à compter de 1880, se concrétise par la dépossession du savoir-faire, la parcellisation à l’extrême des tâches, la privation de toute créativité et initiative.

Près de cent cinquante ans après cette organisation scientifique du travail, la situation s’est encore aggravée. Intensification du rythme et des conséquences émotionnelles induites, manque d’autonomie, insécurisation, conflits de valeurs… L’accomplissement professionnel, corollaire de l’estime de soi, est trop souvent synonyme de burn-out, poussant ceux qui le subissent vers la trilogie du « worklessness » (je ne vaux rien), du « helplessness » (personne ne peut m’aider) et du « hopelessness » (désespoir).

Même si chaque sujet est confronté à ses propres fragilités et difficultés d’adaptation, il est trop facile de le culpabiliser, en le rendant seul responsable de son malheur. Car, les efforts individuels pour s’ajuster sont vains, quand la contamination vient d’un milieu malade et d’un contexte dysfonctionnel. Ce sont à la fois les facteurs intrinsèques et extrinsèques qu’il faut analyser pour comprendre les mécanismes de la souffrance au travail et non pas la renvoyer uniquement vers un problème personnel.

Entre 2006 et 2011, l’auteur a vécu de l’intérieur la gestion des ressources humaines de France Télécom, à l’origine d’une trentaine de suicides. Cette stratégie managériale a valu aux dirigeants qui l’ont organisée une condamnation pénale. Ce terrible vécu associé à son expérience de thérapeute du travail lui permettent d’identifier les défenses à mettre en place pour prévenir l’épuisement professionnel.

Au niveau collectif d’abord. Le collectif, l’équipe le groupe professionnel sont importants à solliciter et à interpeller, en ce qu’ils permettent de se décentrer de sa personne et d’interroger l’organisation globale du travail. Mais le rôle du soutien familial, amical et extra professionnel est tout aussi essentiel, pour que l’activité menée ne vienne pas envahir les autres sphères de l’existence.

Au niveau personnel ensuite. Identifier la nature du stress auquel on est confronté : celui qui peut être considéré comme aigu étant bien moins problématique que celui qui est chronique (alors même que c’est ce dernier qui est le signe distinctif de la compétence). Reconnaître les émotions induites et accepter la fatigue inhérente comme une anomalie. Tenter de repérer les points de rupture et s’arrêter avant de les atteindre. Changer les règles du jeu Se rendre disponible à soi et prendre soin de soi. Et surtout à la fois savoir travailler sur ses défauts, ses limites, mais aussi et tout autant tenter d’agir sur les conditions de travail, le sens qu’il prend, les gratifications qu’il apporte.

Bien sûr que le travail peut transformer une vie, transcender une existence et conduire à un épanouissement. Mais, il peut aussi transformer son quotidien en enfer, plonger dans une grave dépression et plonger dans une incessante réalité traumatisante.

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


Lire aussi :

  • Travailler. La grande affaire de l’humanité, James Suzman, 2021, Éd. Flammarion, 474 p., S’il est un mythe tenace, c’est bien celui de l’homo economicus : nous serions des créatures égoïstes, coincées entre nos désirs infinis et nos moyens limités, contraintes à travailler toujours plus pour produire des richesses et consommer plus de biens.
  • Le refus du travail, David Frayne, Ed. du Détour, 2018, 300 p., Notre société est centrée sur le travail, source de revenus, d’identité et de reconnaissance. Pourtant, il n’en a pas été toujours ainsi. Longtemps, il fut considéré comme une affliction indigne de tout homme libre.
  • En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic,  Antonio A. Casali, Ed. Seuil, 2019, 399 p., Chaque époque produit ses mythes. L’auteur déconstruit l’une des prophéties les plus radicales contemporaines dans un ouvrage solidement argumenté : le grand remplacement technologique qui condamnerait près de la moitié des professions bientôt remplacées par l’intelligence artificielle.
  • Se doper pour travaillerr, Renaud Crespin, Dominique Lhuilier, Gladys Lutz  (sous la direction), Ed. érès, 2017, 348 p., La consommation de substances psycho actives sur son lieu d’exercice professionnel a trop longtemps été reliée soit à un problème personnel, soit à une inadaptation à son poste de travail. L’implication du contexte d’activité était niée, permettant aux employeurs de se délester des méfaits qui y étaient liés
  • Va-t-on payer pour travailler ? Valérie Segond, Ed. Stock, 2016, 302 p., Les employeurs se montrent très créatifs, quand il s’agit d’accroître la part du travail gratuit.
  • Le travail passionné. L’engagement artistique, sportif et politique, Marc Loriol et Nathalie Leroux (sous la direction), Éd. érès, 2015, 346 p., Un certain nombre d’activités professionnelles sont vécues à la fois comme un travail et comme une passion, allant bien au-delà de la simple recherche de rémunération.
  • La comédie humaine du travail, Danièle Linhart, Éd. érès, 2015, 158 p., La chronique de la déprofessionnalisation systématique des travailleurs est au coeur de l’histoire du travail salarié. Le management a toujours cherché à déposséder les professionnels de leur expérience, à limiter le plus possible leurs capacités à peser sur l’activité et à réduire leur maîtrise du processus de travail. Avec le même objectif : contraindre les salariés à se plier aux normes les plus rentables du point de vue de l’employeur.
  • Travail, les raisons de la colère , Vincent De Gaulejac, Éd. du Seuil, 2011, 335 p., Le travail occupe une place centrale dans l’existence. Au-delà des ressources financières qu’il procure, il fournit un statut, une position sociale et constitue l’un des principaux facteurs d’accomplissement de soi. Mais si l’activité salariée peut privilégier l’avènement du sujet en répondant à sa quête identitaire et en assurant tant son émancipation que son épanouissement, elle peut tout autant produire son assujettissement, dès lors où elle s’accomplit dans la contrainte, la servitude ou l’aliénation.

 


Photo : Gratisography.com

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