Livre ouvert : « L’éducateur et le psychanalyste » L’égotisme a-t-il gagné ?

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Notre époque a-t-elle fait disparaître le vivre ensemble sous les coups de boutoir du gonflement d’un Moi hypertrophié ? L’individu n’est-il pas convaincu d’être l’auto-entrepreneur de lui-même ne devant rien à la société qui a pourtant fait de lui ce qu’il est ? La question a souvent été débattue depuis quelques décennies. Il n’est jamais inutile de s’y replonger.

202501135418l educateur et le psychanalysteLes effets délétères de cette individualisation débridée sont connus. Sentiment de toute-puissance de géniteurs revendiquant leur droit à l’enfant sans avoir à se soucier des conditions sociales de son avènement. Difficultés pour certains parents de réussir à opposer un « non » à leur enfant, par crainte de contrarier son sacro-saint épanouissement individuel. Assimilation de l’éducation positive à la renonciation à toute frustration et de toute contrainte.

C’est justement cette problématique à laquelle chacun(e) d’entre nous peut potentiellement être confronté, tant dans son quotidien personnel que professionnel. Sa genèse, sa force et son devenir font justement l’objet d’un débat dynamique et réactif entre un psychanalyste, ancien président de l’Association lacanienne internationale à la presque vingtaine de publications, et un éducateur spécialisé en milieu ouvert, devenu chef de service de prévention, lui aussi auteur éminent.

Le premier débatteur, Jean-Pierre Lebrun revient sur les dérives qu’il ne cesse de dénoncer, depuis vingt ans. La perte d’autorité, conséquence de l’ébranlement radical de la verticalité provoqué par mai 1968. La confusion des genres biologiques qui trouve son origine dans la chute du patriarcat. Le triomphe de la jouissance immédiate qui a débuté avec la maîtrise de la procréation médicalement assistée. La promotion de la seule émancipation individuelle qui vient détruire le lien au collectif. Autant de mutations qui, selon l’auteur, ont subverti en seulement trois générations toute verticalité au profit de la seule horizontalité. Ce qui vient, pour lui, menacer directement l’acte civilisateur.

Le second débatteur, Xavier Bouchereau, est un fin analyste de la clinique éducative, maniant bien la complexité et la nuance. Son souci premier est de partir de la pratique professionnelle qu’il côtoie au quotidien, la théorie qu’il manie avec habileté ayant toujours pour ambition d’y revenir. Toujours attentif, il dialogue avec son compère, dénonçant avec force ce néolibéralisme qui prétend calibrer les accompagnements comme on le fait d’un produit industriel. Il analyse avec finesse les conquêtes et les dérives du wokisme. Il mesure avec justesse les avancées et impasses de l’éducation positive. Il dénonce avec pertinence cette volonté de changer les problèmes par des solutions mesurables et chiffrables.

Nos deux auteurs s’interpellent, se complètent, se nuancent. Ils posent de vraies questions sur l’impact de l’individu tout-puissant et sur ses enjeux en termes d’éducation, de vivre ensemble et de travail social. Le style est fluide, équilibré et accessible aux non-lacaniens. La lecture en est agréable et le dialogue proposé est enrichissant. Mais qu’en est-il du fond ?

Faut-il y voir « un regard tourné vers le passé, vers un modèle éducatif uniquement fondé sur la discipline » comme le craint Xavier Bouchereau  (p. 135) ? Ou est-ce plutôt un salutaire appel à la vigilance nous incitant à faire notre deuil de notre position de toute-puissance infantile, son renforcement étant plutôt ce qui se pratique trop souvent (p.172) ?

S’agit-il là d’une vague de fond globalisante qui menace de submerger notre société ou d’une tendance aux effets certes délétères, mais que vient contrecarrer une contre-culture solidaire et collective ? Celle-là même qui, pour se déployer à bas bruit, n’en chemine pas moins. À l’image des 1.370.000 associations actives dans notre pays ou encore des 40% des 18-30 ans qui s’engagent bénévolement.

 

 Il revient au lecteur d’en décider, en soupesant les arguments de nos deux débatteurs qui ne manqueront ni de le faire réfléchir, ni de le faire réagir.

 

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin

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Photo Capture d’écran du dialogue entre Xavier Bouchereau et Jean Pierre Lebrun

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