La pédagogie est, en général, pensée et pratiquée en milieu fermé, homogène, protégé d’un monde extérieur perçu comme potentiellement menaçant, voire dangereux. Éduquer impliquerait un espace purifié, préservé de toutes mauvaises influences. Pourtant, qu’on le veuille ou non, la société ne cesse de travailler cet univers clos ou qui se rêve comme tel.
Ce que nous fait découvrir l’auteur, c’est cette école de la vie, cette éducation par le monde. Cette pédagogie du dehors est pratiquée par des enseignants, des animateurs et des éducateurs spécialisés qui veulent ouvrir les enfants sur l’hétérogénéité du monde social.
Oser aller vers, dépasser la peur de la rencontre gratuite, provoquer l’hospitalité, telle est la démarche utilisée par ces pédagogues peu conventionnels. Contrairement aux réticences qui accompagnent cette rencontre-qui-ne-va-pas-de-soi, plus on s’ouvre sur l’extérieur, plus l’extérieur s’ouvre à soi.
Bien sûr, la donne s’en trouve profondément modifiée. Car, cela implique de tenir le cap en eau agitée, car le hors-les-murs, l’absence de local, le refus de disposer d’un espace dédié nécessitent de s’ajuster en permanence, de bousculer le temps linéaire et de fabriquer de la discontinuité. Autant de facteurs qui s’avèrent propices aux expériences et aux découvertes non prévues, non attendues, non balisées.
On se situe là dans la rupture avec les positions du maître, de l’animateur, de l’éducateur dominants. Tous ceux qui savent, qui choisissent et qui éduquent un public qui reçoit, qui subit et qui absorbe passivement. On est dans un tout autre registre : celui de mises en situation qui rendent possibles des interactions sans présumer de ce qu’elles engendreront ou pas.
C’est la fin des programmations pré-mâchées faisant disparaître les signaux faibles venant d’un territoire. Ce que la pédagogie du dehors cherche au contraire, c’est d’écouter ces opportunités, afin de les amplifier, de les déployer et de les stimuler. Ce qui signifie renoncer à tout maîtriser en laissant la place au hasard. L’imprévu l’emporte, l’inattendu domine, le contingent s’impose.
Ultime précaution, réduire le groupe qui ne doit pas dépasser quatre ou cinq enfants à la fois. Cette précaution a pour ambition de ne pas délocaliser leurs manières d’être, mais à l’inverse de les amener à s’adapter aux comportements des espaces fréquentés.
Être affecté plutôt qu’affecter, agir dans la proximité plutôt que dans la distance, se situer dans la réciprocité plutôt que donner dans le service rendu, multiplier plutôt qu’unifier, hétérogénéiser plutôt qu’homogénéiser… Ces axes de l’action menée permettent d’ouvrir à de multiples sources de connaissances : telles sont tant l’aboutissement que les supports de la pédagogie sociale décrite ici. Une démarche déstabilisante s’il en fut, mais combien tonifiante et revigorante.
- La Joie du dehors (Guillaume Sabin & les GPAS), Guillaume Sabin, Les éditions Libertalia, 2019, 285 p.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert ».
Il est signé Jacques Trémintin
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Photo : auteur ArturVerkhovetskiy