S’il y a bien quelque chose que toutes les sociétés ont en commun est cette peur de l’autre. Michel Agier tente d’en percer les raisons.
L’inventaire des peurs qui parcourent la société serait interminable et disparate. Michel Agier les répartit pourtant en trois groupes. Elles sont d’abord existentielles (appréhension de la souffrance, de la maladie ou de la mort), cosmiques (vulnérabilité à la puissance des éléments naturels bien peu maîtrisables), mais aussi sociales (confrontation à l’alien dont il faut se méfier).
De tels désarrois ont existé de tout temps. Ce qui est nouveau, c’est un paradoxe lié au climat anxiogène du moment. Si chacun peut constater qu’il est relié à la planète tout entière et au sort des (non) humains qui la composent, la peur de l’autre ne cesse de s’amplifier. Comment l’expliquer ?
Pour l’auteur, cela tient à une corrélation particulièrement déstabilisante entre d’un côté un individualisme promouvant la valorisation de soi et, de l’autre, une subjectivité envahie pas le sentiment d’abandon. Ceci en raison tout d’abord de la brèche dans la fonction protectrice de l’État prenant la forme de la dérégulation, de la précarisation et de l’affaiblissement des amortisseurs sociaux.
Mais aussi à cause de cette perte de l’entour communautaire qui se traduit par la fragilisation des ancrages familiaux, lignagers, claniques, territoriaux… Le détachement des cadres d’appartenance et d’identité pèse comme autant d’affaiblissement des enveloppes protectrices attendues.
Se sentant rejetés, la réaction en retour de celles et de ceux qui la subissent est de rejeter à leur tour. Ce qui se traduit par des tentatives pour immuniser les corps et les esprits des populations, les espaces et les territoires contre toute extériorité considérée comme fâcheuse. Se multiplie alors la phobie de tout ce qui est étranger, différent et inconnu.
L’indésirabilité est une identité sans réalité, une image sans substance d’un sujet sans nom, pourtant bien réel. L’indésirable est réifié à une assignation raciale et naturalisée. Il est rejeté au-delà d’une frontière, voir de murs, censés protéger contre des intrus transformés en ennemis génériques et multiples à la fois.
Comment se distancier de cette culture de la peur qui s’instille dans les subjectivités dépersonnalisées, induisant encore et toujours plus de protection et de sécurité contre un autre qui n’est vu que comme menaçant, si ce n’est dangereux par essence ?
Michel Agier fait appel à son expérience d’anthropologue pour rapporter la tradition ancestrale des langues Haoussa, Teranga ou Xosa pratiquées en Afrique. Chacune d’entre elles possède une notion proche : toute personne étant dotée d’une même humanité partagée, elle se doit d’être accueillie comme un autre soi-même, avec qui il est possible d’entrer dans un cycle de don et de contre-don.
S’ouvrir sur l’ensemble des possibles, plutôt que de s’enfermer dans l’entre-soi nécessite de s’emparer de cette boussole universelle autant qu’incontournable. Ce qui induit de traiter l’autre, quels que soient ses origines ethniques, géographiques ou sociales, comme son égal.
- La peur des autres | Rivages (payot-rivages.fr) Michel AGIER, Éd. Payot, 2022, 105 p.
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Il est signé Jacques Trémintin
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Photo : Michel Agier « Vivre avec la peur, la question des frontières et repenser la vie commune » Capture d’écran vidéo C/o Les Possédés et leurs mondes