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Livre ouvert : Ce n’est pas mon histoire… Mais presque !

couv la vie de ma mereMon premier est une plume acérée et ciselée. Mon second est un humour fin et irrésistible. Mon troisième est une saga familiale mouvementée et improbable. Mon tout est ce nouveau récit de Magyd Cherfi.

Si la fiction structure ce récit, elle trempe sans aucun doute son inspiration dans l’autobiographie.

On retrouve l’auteur de « Ma part de gaulois » dans ce qu’il a de meilleur : sa verve, son autodérision, sa lucidité. Certes, il y a de l’ethnologie Kabyle, de la sociologie de la famille, de la psychologie de l’immigration dans ces portraits tracés au cordeau et ces situations décryptées avec maestria. Rien ne semble échapper au regard de l’auteur qui perce à jour les hésitations, les retournements, les errances : les siennes tout autant que celles de ses proches. Mais jamais avec flagornerie ou suffisance, toujours avec humanité et empathie. Ce n’est pas d’une position haute qu’il témoigne, mais en s’y plongeant corps et âme, avec humilité et lucidité.

Slimane, le narrateur, avatar littéraire de Magid Serfy, est issu d’une grande fratrie : deux frères et trois sœurs. Il a aussi ses deux fils, grands adolescents. Tout ce petit monde va interagir tout au long des pages. Mais, il y a surtout sa mère, femme battue, femme sacrifiée, femme révoltée. Les relations sont tendues, l’agressivité est latente, le conflit sous-jacent. Après s’en être éloigné un temps, Slimane s’en rapproche, craignant de passer à côté de ses derniers mois d’existence. C’est l’enterrement du père de son meilleur ami qui a fait office d’électrochoc.

Hésitant, culpabilisé et confus, il nous la fait connaître, sa mère. Et l’on n’est pas déçu du voyage. Le choc est rude, la rencontre stimulante et la présentation singulière. Le style lapidaire de l’auteur va progressivement s’apaiser (sans jamais s’éteindre) ; le propos sarcastique se pacifier (sans jamais disparaitre), le ton s’attendrir (sans jamais vraiment s’affadir). Au fur et à mesure que le récit nous fait entrer dans les circonvolutions complexes de cette famille insolite, on se projette, on s’investit, on est impatient de tourner la page.

Rien n’est simple ou tranché dans ce récit. La nuance l’emporte, rejetant au loin tout jugement à l’emporte-pièce. La complexité des sentiments humains est préservée, presque sublimée. La capacité à s’adapter et s’ajuster aux situations problématiques est cultivée.

Il faut attendre les trois quarts du livre pour que ne soit révélé l’ultime retournement de cette famille, dont on ne livrera pas ici la teneur. Une surprise, que dis-je, une énigme, qui stupéfie autant le lecteur que les acteurs du récit.

Mais rien ne presse et l’on peut attendre avant d’y parvenir. On y arrive sans lassitude, passant d’une bosse de rire à une description relevant presque d’un scénario de film ; du cocasse de situation à l’émotion suscitée par la puissance de l’attachement qui couve sous le feu de l’agressivité ; d’une tension palpable et explosive à un moment de bonheur.

Alors non, il ne faut pas rater ce livre. Les premières pages lues, il est bien sûr toujours possible de ne pas accrocher. Mais si cela vous prend aux tripes, c’est une délectation garantie : on rit, on pleure et on s’émerveille.

 

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


Lire aussi :

  • Magyd Cherfi – Ma part de Gaulois | Ed. Actes Sud (actes-sud.fr), 2016, 250 p. « J’étais à l’écriture, ce que le mineur était au minerai, bien plus dans le concassage que dans l’épure ». Ainsi, commence le livre de Magyd Cherfi. On ignore ce qu’était alors la langue de l’auteur. Celle qu’il nous livre ici est à ce point ciselée et sensible qu’elle ravit sans jamais faire oublier la profondeur et l’intensité de ce qu’elle décrit.

 


Photo : Magyd Cherfi sur France Inter parle de sa mère

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