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Les entretiens du livre blanc du travail social : Que nous réserve l’avenir du travail ? (avec la sociologue Dominique Méda)

La philosophe et sociologue Dominique Méda invitée par le Haut Conseil du Travail Social a présenté sa réflexion issue de ses recherches sur l’évolution du monde du travail en France. Une façon de comprendre ce qui se joue aujourd’hui en tentant d’objectiver et de répondre à des idées reçues sur les origines de la perte d’attractivité des métiers. Son intervention s’inscrivait dans le cadre de la seconde journée de visioconférence des entretiens du livre blanc du travail social. Cette série d’interventions avait pour objectif déclaré de « (Re)penser le travail afin de pouvoir agir sur le social ».

Contrairement à ce qui se dit dans les médias, les salariés en France sont parmi les premiers en Europe à considérer que le travail est une valeur importante. Trois aspects leur apparaissent essentiels : 1. Pouvoir bien gagner sa vie, 2. Avoir un travail intéressant et 3. Connaitre une bonne ambiance avec ses collègues et sa hiérarchie. Toutes les classes d’âges sont concernée sur ces trois aspects. Ainsi, par exemple, 45% des Français trouvent qu’ils sont bien payés pour les efforts qu’ils fournissent alors qu’ils sont au Danemark  65% en Finlande, 61% en Allemagne, 68% en Hollande, 66% en Suède… On le voit sur ce sujet-là, la France décroche.

Contrairement aux idées reçues, les jeunes pensent la même chose que leurs ainés. Loin d’être « fuyants » voire « paresseux », ils se déclarent concernés par ces questions. Les jeunes comme l’ensemble des Français expriment des attentes importantes. Elles sont parmi les plus fortes exprimées en Europe. Or ces attentes « se fracassent sur la réalité » suite à une promesse d’autonomie non tenue. La dégradation des conditions de travail des salariés au fil des ans est très bien documentée. Seuls 36% des Français considèrent qu’ils disposent de suffisamment d’opportunités pour utiliser leurs compétences et leurs connaissances dans leur activité actuelle. C’est très peu.

Les conditions de travail en France sont dégradées

C’est aussi  l’intensité du travail au quotidien qui est en cause plus qu’ailleurs en Europe. La perte d’autonomie du salarié est aussi notée tout comme la perte de fierté du « travail bien fait ». Le sentiment de dégradation est partagé. Pour preuve, une enquête internationale sur l’indice de la qualité de l’emploi qui aborde des sujets tels les contraintes, l’intensité et la gestion du temps, nous montre que notre pays se situe en queue de peloton des pays européens avec la Pologne, la Slovaquie et l’Albanie.

Les accidents au travail révèlent cette mauvaise qualité : avec un ratio de 3,5 accidents mortels pour 100.000 salariés, la France occupe la première marche bien au-delà de la moyenne de l’Union européenne (1,7). En comparaison, le taux d’incidence est de 0,5 aux Pays-Bas, de 0,7 en Suède et de 0,8 en Allemagne. La France porte le bonnet d’âne en Europe avec près de 656.000 accidents du travail en 2019.

Dominique Méda dénonce l’idée que les Français et notamment les jeunes seraient soumis à une épidémie de flemme dans une société « ubérisée ». Cette réponse face aux emplois vacants est fausse, dit-elle. Il y a plus simplement une possibilité actuelle de quitter les métiers les plus difficiles et les plus mal payés et les salariés ne s’en privent pas. Ils vont là où on les paye le mieux et où les conditions de travail sont acceptables. La preuve, c’est que les démissionnaires ne restent pas au chômage, ils trouvent rapidement un autre emploi qui leur convient mieux.

Quand le numérique modifie les conditions de travail.

Les enquêtes sur les conditions de travail interrogent aussi certains usages liés à la digitalisation : « En l’absence de régulation, l’usage d’outils numériques peut contribuer à la détérioration des conditions de travail, d’autant que la rapidité et la facilité des échanges via le numérique ont favorisé l’émergence d’une culture de l’urgence et de l’immédiateté. la transition numérique démultiplie les atteintes à la santé des travailleurs (usure professionnelle, risques psychosociaux) lorsqu’elle se traduit par une réduction des marges de manœuvre et des capacités d’apprentissage, d’initiative et de reconnaissance pour l’individu.

Ce recours amplifie des tendances déjà engagées avec une externalisation croissante des tâches. Leur automatisation et digitalisation sont systématisées.  Cette façon de travailler se déploie avec la mise en place des alternatives au salariat (auto-entreprenariat, free-lance…). On assiste à une « plate-formisation »  du travail avec nouveau type d’entreprises mettant directement en relation offres et demandeurs de services, y compris des services jusque là assurés par des professions réglementées ou régulées.

C’est, nous explique Dominique Méda, une tâcheronisation du travail. Le tâcheron, c’est la plateforme dit-elle dans le sens où c’est un  entrepreneur qui se charge, généralement en seconde main, de l’exécution d’un travail, soit seul, soit avec le concours de quelques ouvriers. Au 19ᵉ siècle, un employeur prenait la marchandise et distribuait le travail à des tâcherons, des ouvriers payés à la pièce ou à des travailleurs à domicile (souvent des femmes). Celui qui faisait appel à eux, cherchait à les payer le moins possible. Aujourd’hui, l’entrepreneur via la plateforme distribue les tâches comme celui qui distribuait le travail aux ouvriers et les payait à la pièce réalisée. L’irruption du numérique entraine d’autres effets avec notamment une extension de la surveillance et du contrôle.  Elle impacte la productivité des professionnels ubérisés et percute leur vie personnelle.

L’usage de l’Intelligence Artificielle (IA) est utilisée pour trier et orienter les futurs étudiants (ParcoursSup). Elle est aussi un outil pour recruter, gérer, évaluer et sanctionner les travailleurs. Ils peuvent être exclus de la plateforme si leur rendement n’est pas satisfaisant. On assiste aussi à une forme de management s’appuyant sur des algorithmes. L’humain devient appendice de la machine. Cette réalité doit conduire à ce que les conventions collectives prennent en compte ces nouveaux défis. Le télétravail qui a ses avantages s’accompagne aussi de multiples inconvénients. Cela a déjà été traité ailleurs.

Trois scénarios pour le travail demain

Dans son exposé, Dominique Meda examine les scénarios possibles pour l’avenir du travail et leur capacité à répondre aux attentes des travailleurs. Elle en identifie trois principaux :

  1. Le premier scénario consiste à poursuivre la politique actuelle de « démantèlement du droit du travail ». Cette approche risque d’entraîner une forte dégradation des conditions de travail, avec des emplois précaires et mal rémunérés.
  2. Le deuxième scénario est celui de la « révolution technologique ». Bien qu’il puisse entraîner des pertes d’emplois, il est également susceptible de conduire à une croissance économique accrue et à un changement profond des modes de travail grâce à l’innovation technologique.
  3. Le troisième scénario est celui de la « reconversion écologique ». Cette approche consiste à repenser la manière dont nous produisons et consommons afin de lutter contre le caractère insoutenable de notre modèle actuel de développement et de répondre aux attentes en matière de travail. Ce scénario est considéré comme étant le plus compatible avec les enjeux environnementaux et sociaux.

 

Bien que présentés de manière isolée, ces trois scénarios ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils pourraient être combinés pour répondre aux enjeux actuels du monde du travail, précise-t-elle. Elle ne cache pas que c’est bien le troisième modèle qui a sa préférence. Et l’explique aisément.

Le troisième scénario, celui de la reconversion écologique, pourrait bien être la clé pour notre avenir. En prenant en compte les rapports sur le changement climatique, il propose une solution pour contrer notre modèle de développement insoutenable. Cette stratégie permet de satisfaire les attentes du marché tout en résolvant les problèmes sociaux et environnementaux. Les avantages sont considérables, notamment l’établissement de normes strictes pour assurer la protection de notre planète. Avec une organisation rationnelle et rapide, les sociétés seraient rapidement adaptées aux nouvelles contraintes, grâce à l’adoption d’indicateurs physiques, biologiques et sociaux pour réguler la production et combattre les inégalités de revenus et d’accès à l’emploi. Il est donc temps de considérer sérieusement ce scénario de reconversion écologique pour notre avenir commun.

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Une réponse

  1. Magnifique synthèse de la très belle et très dense intervention de Dominique Meda ! Merci

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