Le gouvernement a prévu de généraliser au 1er janvier 2025 une réforme du RSA qui soulève de vives inquiétudes. Sous couvert d’un « accompagnement rénové », la loi pour le plein emploi impose aux allocataires 15 heures d’activité hebdomadaires obligatoires, au risque de fragiliser encore davantage les plus précaires. C’est le constat alarmant que dresse un collectif d’association (le Secours Catholique, ATD Quart Monde et AequitaZ) dans un rapport publié ce 14 octobre dernier.
Une réforme qui ajoute de la honte à la pauvreté
Sur le fond, « l’esprit général de la réforme du RSA inscrite dans la loi pour le plein emploi met au défi l’allocataire de démontrer qu’il « mérite » son RSA. Il encourage un discours stigmatisant, décomplexé, qui ne fait bien souvent qu’aggraver l’angoisse du tête-à-tête avec le travailleur social ou l’agent France Travail ». C’est, expliquent les associations, « une angoisse d’être encore plus contrôlé, d’avoir encore plus à se justifier, d’être sanctionné et, in fine, de perdre ses maigres revenus : 536 euros en moyenne pour le RSA ».
La méfiance et la stigmatisation mettent à mal notre solidarité nationale. Il est nécessaire de rappeler que la vie au RSA est une vie de minimas : se nourrir a minima, se déplacer a minima, se protéger du mieux que l’on peut face à tous les risques. Nous n’avons aucun intérêt à produire des politiques publiques qui ajoutent de la honte à la pauvreté.
Un glissement progressif et dangereux vers le travail gratuit
Premier point d’alerte : le risque de voir se développer une forme de travail gratuit déguisé. Dans l’Eure par exemple, des allocataires sont missionnés pour végétaliser le cimetière d’une commune, faute de moyens pour embaucher du personnel. Une dérive qui pourrait se généraliser, au détriment de véritables emplois rémunérés.
Plus insidieux encore, le bénévolat devient une obligation déguisée. Des allocataires témoignent devoir désormais justifier de leurs activités bénévoles pour « rester dans les cases » et sécuriser leur maigre allocation. Une perversion totale de l’esprit du bénévolat, censé être librement choisi.
L’algorithme, le nouveau maître du jeu
Autre sujet d’inquiétude majeur : le recours croissant aux algorithmes pour orienter les allocataires. Dans la plupart des départements expérimentaux, un traitement automatisé des données détermine le parcours d’accompagnement, avant même tout entretien physique. C’est une forme de déshumanisation qui fait fi des réalités complexes vécues par les personnes. À vouloir gérer des flux de population, on en arrive à oublier la dimension humaine, qui est nécessaire pour permettre la réussite de tout accompagnement.
Autre risque à venir qui n’est pas évoqué : ce serait aux allocataires du RSA d’informer via une plate-forme gérée par une IA du contenu des 15 heures d’activité permettant de continuer de percevoir la prestation. Le risque est grand là aussi de déshumaniser les échanges et de laisser les allocataires dans la même situation que les demandeurs d’emploi de France Travail.
Les résultats sont d’ores et déjà là : des orientations souvent inadaptées, comme en témoigne ce chiffre édifiant : 26% des allocataires orientés vers le parcours « emploi » déclarent au moins deux freins majeurs à l’emploi. Le risque est grand de voir des personnes ballottées d’un dispositif à l’autre, sans prise en compte de leur situation réelle. J’ai connu il y a quelques années les entretiens d’orientations qui étaient menés conjointement par un travailleur social du Département ou de la ville avec un conseiller Pôle Emploi. Cette pratique avait fait ses preuves, mais prenait trop de moyens humains pour des résultats pourtant probants. L’algorithme désormais utilisé va remplacer ce que les professionnels étaient amenés à faire par le passé.
La machine à radier s’emballe
Plus grave encore, la mécanique des radiations semble s’accélérer dangereusement. En Côte-d’Or, 13,8% des allocataires accompagnés ont déjà été radiés pour simple absence de réponse. Un chiffre qui donne le vertige quand on sait que 47% des foyers sanctionnés ne bénéficient plus du RSA quatre mois plus tard. C’est une véritable machinerie à exclusion qui se profile.
Cette logique punitive risque d’aggraver le non-recours, déjà massif. Le Secours Catholique constate une hausse de 10,8% du non-recours au RSA en un an dans les départements expérimentaux, contre une baisse de 0,8% ailleurs. Un effet pervers qui pourrait bien être le véritable objectif inavoué de la réforme. En effet, le non-recours profite principalement aux finances départementales, mais aussi nationales qui compensent. À l’heure des économies budgétaires à tout-va, elles auront moins à débourser. Bien évidemment, de nombreux Départements et Agglomérations ne l’envisagent pas ainsi, mais il faut quand même s’interroger sur les effets d’un tel système et voir à qui il profite.
Un retour à l’emploi en trompe-l’œil
Enfin, les chiffres de retour à l’emploi mis en avant par le gouvernement masquent une réalité bien moins reluisante qu’annoncé. La majorité des contrats signés sont de moins de six mois, dans des secteurs en tension aux conditions de travail difficiles. En Mayenne par exemple, sur 43 contrats signés dans le parcours « socioprofessionnel », deux seulement sont des CDI.
Il faut noter aussi que cette approche fait l’impasse sur les problèmes de santé qui touchent massivement les allocataires du RSA. Selon la DREES, 16% d’entre eux se déclarent en mauvaise ou très mauvaise santé, soit trois fois plus que dans la population générale. Une réalité balayée d’un revers de main par une réforme obsédée par le retour à l’emploi à tout prix.
Face à ce constat affligeant, les trois associations tirent la sonnette d’alarme. Elles demandent la suspension immédiate de la généralisation prévue au 1ᵉʳ janvier prochain et l’ouverture d’un véritable dialogue avec les personnes concernées et les associations qui les représentent.
Il est urgent de repenser en profondeur cette réforme avant qu’elle ne produise des dégâts irréversibles sur les plus fragiles. Les travailleurs sociaux vont avoir beaucoup de travail pour tenter de renouer avec les futurs exclus du RSA qui ne disposeront plus de l’essentiel pour vivre.
Sources – Télechargez ici :
- Le communiqué de presse du collectif d’associations
- Le dossier : « Premier bilan des expérimentations RSA : 4 alertes pour répondre aux inquiétudes des allocataires » ( Secours Catholique, Aequitaz, ATD Quart Monde)
Une réponse
Un élément qui n’apparaît pas aussi est l’accompagnement d’insertion socioprofessionnelle dans le cadre du RSA . Qu’il soit fait en tant que travailleur social ou conseiller professionnel, cette injonction à l’emploi s’ajoute a une obligation de présence aux entretiens dans le cadre du RSA. Pour le travailleur social ou le conseiller cela vient entraver le temps de construction de la relation d’aide qui ne peut se faire sans un temps pour construire la relation de confiance.
Maintenant en me situant d’un point de vue en tant qu’assistante de service social, cela empêche la démarche » d’aller vers » en faveur des personnes en situation de précarité. Cette étape d’aller vers entravée impacte un temps important pour établir la relation d’aide, informer la personne afin de favoriser sa capacité à choisir, construire un projet et développer son pouvoir d’agir. Ce temps impacté empêche donc la construction d’une évaluation sociale et donc la coconstruction d’un projet d’ « insertion » (biens que ce terme me donne envie de développer encore le sujet). Ceci vient donc entraver la démarche clinique du travail social. Démontre l’incompréhension des politiques publiques sur les compétences, les savoirs faire et savoirs être en lien avec la profession d’ass. Le professionnel est réduit à une tâche d’action et plus d’évaluateur social et d’accompagnateur.
Par ailleurs, l’application des exigences des politiques sociales va à l’encontre des valeurs et des principes figurant dans le code déontologie des ass. Cela démontre encore une incompréhension de ce métier et du pourquoi on embauche des ass sur ces postes ? Cela va donc à l’encontre des valeurs de l’accompagnement social, envoie une information erronée de la profession envers le public accompagné. Cela entrave la confiance du public envers ce métier et vient donc empêcher un accompagnement sur le pouvoir d’agir des personnes pouvant être accompagné. En conséquence, le public renonce à un droit pécuniaire pouvant répondre à des besoins fondamentaux (alimentaire, logement, sanitaire, mobilité), mais les empêche de bénéficier d’un accompagnement social dans le cadre de ce type de dispositif.
Enfin les obligations du RSA avec l’application de réglementation sur les territoires, implique aux travailleurs sociaux d’informer des absences des personnes. Ceci a pour conséquence une suspension des droits des personnes. Par effet boule de neige précarise encore plus leur situation. Puis c’est le cercle vicieux, la personne renonce à son droit, perd confiance aux services sociaux, se rend invisible. L’ASS agit alors à l’encontre de l’intérêt de la personne, est en difficulté pour faire de « l’aller vers », n’a pas les moyens pour faire de la veille sociale et pour poursuivre l’accompagnement de la personne prenant en compte sa temporalité pour faire évoluer sa situation.
L’ass se retrouve dans un rôle de contrôleur et de dénonciateur, au lieu d’accompagnateur et d’évaluateur social. L’ASS n’a plus la possibilité d’agir sur la cohésion sociale, le développement des capacités de la personne afin de lui permettre d’agir et de se saisir sur toutes ses responsabilités = ENTRAVE LES ACTIONS AUX DÉVELOPPEMENTS DE LA CITOYENNETÉ.