L’engagement des travailleurs sociaux : qu’en est-il aujourd’hui ?

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L’ITES de Brest a organisé un colloque cette semaine sur le thème de l’engagement des travailleurs sociaux. J’y étais invité au titre d’intervenant en compagnie de Jean-François Gaspar sociologue et Jean Marie Vauchez président de l’ONES.  Nous avons pu chacun nous exprimer sur ce sujet de l’engagement professionnel à un moment où les mouvements sociaux en cours nous invitent à nous positionner. J’avais pour ma part proposé de poser la question  suivante : « Peut-on être travailleur social sans s’engager professionnellementé ?« . En effet je ne le pense pas et je me propose de vous expliquer ici pourquoi.

A l’origine des tensions

Les travailleurs sociaux sont soumis  à de multiples tensions : ils sont témoins d’injustices sociales, leurs affects et émotions sont plutôt niés et peu pris en compte alors qu’ils sont mis à rude épreuve. Ils se positionnent sans cesse même quand ils pensent ne pas le faire et ils sont confrontés en permanence à des situations qui font appel à leur réflexivité.

Ils sont aussi confrontés à  de multiples formes de bureaucratie administrative qui envahissent leurs pratiques notamment à travers l’utilisation d’outils numériques. Ils font face à un manque de moyens récurent avec une culpabilisation portée par les élus qui expliquent sans cesse que « le social ça coûte cher »  aux finances publiques (un pognon de dingue) alors que leurs revenus ne cessent de baisser tant ils sont « gelés » depuis plusieurs années. Les moyens manquent également pour les actions qu’ils mènent notamment sur les questions d’hébergement, de lutte contre la précarité ou encore la protection de l’enfance accusée elle aussi d’être un gouffre financier.

Mais il n’y a pas que cela. Certains sont désabusés quand il ont à faire avec  une hiérarchie souvent normative qui leur demande d’appliquer des procédures et des protocoles. La forme importe plus que le fond et surtout « pas de vague » voilà ce qui leur est souvent demandé. Leurs conditions de travail se sont aussi fortement dégradées comme l’a expliqué Jean Marie Vauchez exemples à l’appui.

Certains d’entre nous ont aussi envie d’un « confort professionnel » qui limite toute prise d’initiative. Il est parfois plus simple « d’obéir » à une commande, de ne pas « aller vers » et de rester dans son bureau sans trop se poser de questions qui dérangent. On comprendra très bien cette envie de rentrer chez soi dégagé des préoccupations et des stress du moment face à des situations critiques pour lesquelles on n’a pas de réponse.

Ajoutez à tout cela qu’il leur est constamment demandé de se taire au nom de la discrétion et du secret professionnel.

Vous avez là beaucoup d’ingrédients qui peuvent conduire au désarroi, à la déprime surtout si on est jeune professionnel, et que l’on découvre sur le terrain une réalité fort différente de ce qui est enseigné dans les centres de formation.

Mais à quoi servent les travailleurs sociaux ?

J’aime rappeler que l’État social n’est pas une simple vue de l’esprit. C’est un Etat qui protège le plus faible,lui apporte une espérance, s’intéresse à lui et l’encourage au lieu de le blâmer. –

« Les secours publics sont une dette sacrée » proclamait la Constitution du 24 juin 1793  « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ».  Ils sont nombreux ceux qui sont aujourd’hui hors d’état de travailler mais les politiques publiques estiment que tous doivent pouvoir travailler niant ainsi une réalité.

Les principes républicains arborent fièrement le triptyque Liberté, Égalité,  Fraternité. Les travailleurs sociaux comme les professionnels du soin font vivre cette fraternité érigée en valeur républicaine. Comme l’hôpital, la sécurité sociale, la protection sociale, les travailleurs sociaux  tentent de faire vivre concrètement cette fraternité si nécessaire aujourd’hui aux femmes et aux hommes que le système économique actuel laisse sur le bord de la route. Ce système et leurs promoteurs n’hésitent pas à  accuser les pauvres de tous les maux dont celui de paresse, de malhonnêteté, voire d’inculture pour ne pas dire plus.

Si les personnes fragiles sont disqualifiées, il n’est pas surprenant que ceux qui les aident le soient aussi nous a expliqué François Gaspar. J’ajouterai qu’on le voit par exemple à travers l’action des associations qui tentent de porter secours aux personnes qui embarquent à bord de bateaux de fortune pour traverser la mer méditerranée. Les sauveteurs ont été présenté comme des délinquants en Italie et de nombreuses associations ont jeté l’éponge. Ce n’est qu’un exemple significatif. Il en est de même pour ceux qui accueillent chez eux  des étrangers sans papiers.

Or les travailleurs sociaux restent très attachés aux principes d’universalité des droits fondamentaux. C’est d’ailleurs ce qu’indique la définition du travail social qui est là aussi pour le rappeler. Si cette définition ne précise pas qui sont les travailleurs sociaux, elle leur apporte des raisons particulièrement importante pour qu’ils puissent s’engager

Le sens de l’engagement des travailleurs sociaux

Ce sens  est inscrit dans la définition même du travail social du Haut Conseil du Travail Social qui a vu sa traduction dans le code de l’action sociale et des familles :

  • Le travail social « se fonde sur la relation à l’autre, dans sa singularité et le respect de sa dignité….»
  • Il « s’inscrit historiquement dans les valeurs républicaines, le respect des droits de l’homme et du citoyen et la Constitution» .
  • Les principes de solidarité, de justice sociale, de laïcité, de responsabilité collective, et le respect des différences, des diversités, de l’altérité sont au cœur du travail social.»
  • Il s’appuie aussi sur des principes éthiques et déontologiques et des savoirs

Au final les travailleurs sociaux se mobilisent pour faire vivre et respecter des valeurs :

  • Les valeurs humanistes : respect, écoute, autonomie, liberté, libre arbitre, dignité, aide, disponibilité…
  • Les valeurs fondées sur le droit : discrétion, confidentialité, secret professionnel, droit individuels et collectifs
  • Les valeurs démocratiques : justice sociale, valeurs républicaines, protection des personnes, primauté de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel…

Il ne sera donc pas étonnant que les travailleurs sociaux  s’engagent à partir de ces valeurs puisqu’elles sont inscrites dans la définition du travail social.

Outre le respect des droits des personnes et des familles, notre engagement auprès des personnes porte aussi sur

  • L’acceptation de la différence et de la diversité
  • Le respect de la vie privée et de l’intimité
  • Le refus de la catégorisation (chacun est unique et chaque situation nécessité une prise en compte)
  • Le rejet de la logique prédictive qui mécaniquement classe et trie des personnes selon des critères (notamment à travers l’usage des algorithmes) car nous sommes persuadés que chacun est un être en devenir.

C’est en quelque sorte là que se trouve une grande part de notre engagement professionnel. Il y a sans doute beaucoup à dire et à apporter pour compléter mon propos. C’est le rôle de l’espace des commentaires. N’hésitez pas à vous en saisir…

photo : logo  de présentation de la journée de l’ITES

 

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3 réponses

  1. Merci à toi Didier pour cette prolongation de notre journée de mardi dernier.
    Nous allons très prochainement mettre à disposition sur notre site Internet les éléments de rétrospective de cette journée. http://www.ites-formation.com
    A bientôt. Gilles.

  2. Merci pour ce bel article.
    Pour ma part, la question pourrait être la suivante:
    Comment restez engagé au sein d’une institution ?
    Comment continuer à aider les plus faibles quand les missions des travailleurs sociaux sont restreintes par l’institution même ? (A titre d’exemple mon employeur a pu me dire que ma mission première au sein de l’hôpital était de vérifier si les patients avaient bien une mutuelle avant de rentrer chez eux!)
    Il y aurait tant à dire…

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