J’ai eu le plaisir d’intervenir lundi dernier en ouverture d’un colloque qui s’est tenu à l’Hôpital Européen Georges-Pompidou à Paris. Son titre « Le Service Social Hospitalier : Parlons-en ! » était tout un programme à lui seul. La journée était organisée par la Direction des Affaires Juridiques et des droits des patients (DAJDP) et par le Centre de formation Continue Travail Social Éducatif de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris.
Ce temps de réflexion est arrivé à point nommé, dans un contexte où le rôle du service social hospitalier est à mon avis plus que jamais nécessaire. Face aux difficultés croissantes du système de santé, à la complexification des parcours de soins, et à l’augmentation des inégalités sociales de santé, il est devenu impératif de mettre en lumière et de valoriser le travail essentiel accompli par les assistants sociaux au sein des hôpitaux. La journée fut dense et variée, avec un programme qui a abordé de nombreux aspects de ce service social si particulier. Voici dans cet article l’essentiel de ma contribution.
La dimension sociale de la santé : une réalité souvent négligée
Dans un monde où la médecine ne cesse de progresser, où les avancées technologiques repoussent sans cesse les frontières du possible en matière de soins, une question fondamentale persiste : avons-nous réellement saisi l’essence même de ce qu’est la santé ? Au cœur de cette interrogation se trouve la dimension sociale de la santé, un aspect très important, mais trop souvent relégué au second plan dans l’approche des soins. Cette dimension, pourtant essentielle, met en lumière la différence subtile, mais significative, entre « soigner » et « prendre soin », deux concepts qui, bien que liés, ne sont pas synonymes.
Lorsque nous pensons à la santé, notre réflexe premier est généralement de l’associer à l’absence de maladie ou d’infirmité. Cependant, cette vision réductrice ne rend pas justice à la complexité de ce qui constitue précisément le bien-être d’une personne. La santé, dans sa définition la plus complète, englobe un état de bien-être physique, mental et social. C’est une toile complexe, tissée de nombreux fils interconnectés, représentant les différents aspects de notre vie : notre environnement, nos relations sociales, notre situation économique, notre éducation, nos habitudes de vie, et bien sûr, notre accès aux soins médicaux. Si l’on touche un seul de ces fils, c’est l’ensemble de la toile qui bouge et se déséquilibre.
Cette approche globale nous invite à élargir notre perspective au-delà du simple modèle médical. Elle nous pousse à considérer les déterminants sociaux de la santé, ces facteurs qui, bien que souvent invisibles dans le cadre d’une consultation médicale classique, ont un impact profond sur la santé des individus et des populations. Prenons l’exemple d’une personne souffrant d’hypertension. Une approche purement médicale se concentrerait sur la prescription de médicaments et le suivi de la tension artérielle. Mais une approche globale de la santé nous amènerait à examiner d’autres facteurs : le stress lié au travail de cette personne, sa situation de logement, son accès à une alimentation saine, ses possibilités d’exercice physique, ou encore son réseau de soutien social. La plupart des travailleurs sociaux connaissent cette réalité, mais il est bon quand même de la rappeler
Le service social hospitalier : un acteur clé trop souvent méconnu
C’est dans ce contexte que le rôle du service social hospitalier prend toute son importance. Pourtant, malgré son rôle, ce service reste souvent dans l’ombre, victime d’un manque de reconnaissance chronique. Les assistants sociaux hospitaliers sont trop généralement perçus comme de simples « gestionnaires de sortie » ou des « agents de l’administration », des clichés qui ne reflètent en rien la complexité et la profondeur de leur travail.
En réalité, le service social hospitalier joue un rôle de pivot, de médiateur entre le monde médical et la réalité sociale du patient. Il traduit les besoins médicaux en termes de réalité sociale et vice versa. Cette fonction est particulièrement utile pour assurer une continuité des soins une fois que le patient quitte l’hôpital.
L’assistant social hospitalier assure l’accompagnement d’un patient en prenant en compte l’ensemble de sa situation : sa vie familiale, professionnelle, son logement, ses ressources. Il évalue sa situation sociale et l’aide à accéder à ses droits, jouant parfois le rôle de véritable détective pour débloquer des aides dont il a droit.
Il a aussi un rôle d’interface avec l’équipe soignante, traduisant le « social » en « médical » et vice versa. Il alerte sur les conditions de vie du patient qui peuvent impacter sa santé et son traitement, des informations cruciales pour adapter le plan de soins à la réalité du patient.
Enfin, l’assistant social assure la coordination et le travail en réseau. Il fait le lien entre l’hôpital et l’extérieur. C’est un travail de tissage complexe, où chaque fil doit être solidement noué pour créer un filet de sécurité autour du patient.
Les défis éthiques du service social hospitalier
Le travail des assistants sociaux hospitaliers est également empreint de considérations éthiques complexes. Ils doivent naviguer entre les principes de l’éthique médicale (autonomie, bienfaisance, non-malfaisance et justice) et les valeurs fondamentales du service social, telles que la promotion de la justice sociale et la défense des droits humains. Ils sont soumis au secret professionnel et le partage des informations qu’ils sont susceptibles de partager sont strictement encadrés. Ils doivent en effet assurer le respect de la vie privée des personnes hospitalisées. Les informations partagées doivent être nécessaires à la poursuite de l’action engagée.
Ces professionnels sont souvent confrontés à des dilemmes éthiques délicats. Comment gérer une situation où les souhaits d’un malade entrent en conflit avec ceux de sa famille ? Comment équilibrer le devoir de confidentialité avec la nécessité de partager des informations sociales avec l’équipe soignante ? Ces questions complexes nécessitent une réflexion approfondie et une approche nuancée.
Un appel à la reconnaissance et à l’action
Malgré l’importance spécifique de leur rôle, les assistants sociaux hospitaliers font face à de nombreux défis. Le manque de reconnaissance, la surcharge de travail, le manque de moyens sont autant d’obstacles qui entravent leur capacité à assurer pleinement ce rôle de « prendre soin » dans sa dimension globale.
Il est pourtant temps de reconnaître la valeur de ce travail. Les travailleurs sociaux hospitaliers ne demandent pas seulement une meilleure rémunération, bien que ce soit important. Ils demandent surtout à être reconnus comme des acteurs à part entière de l’équipe de soin, à être associés dès l’élaboration du projet du patient, et non pas uniquement lorsqu’il s’agit de préparer la sortie.
Vers une approche renouvelée de la santé et du « prendre soin »
En conclusion, la dimension sociale de la santé n’est pas un luxe ou un supplément d’âme. C’est une composante essentielle d’une approche véritablement holistique des soins. Ignorer cette dimension, c’est passer à côté d’une partie de ce qui fait la santé et le bien-être d’un individu.
Le service social hospitalier, malgré les difficultés auxquelles il fait face, reste un acteur incontournable pour humaniser les soins. Il promeut la justice sociale au cœur des établissements de santé. Il est plus que temps de reconnaître pleinement son importance, de lui donner les moyens d’agir, et de l’intégrer pleinement dans notre conception des soins.
Car la question reste plus que jamais d’actualité : « Peut-on prendre soin de l’autre sans prendre en compte la dimension sociale ? » La réponse est clairement non. Et c’est à nous tous, de porter ce message haut et fort, pour une approche de la santé véritablement globale et humaine.
Lors des échanges, une assistante sociale a suggéré que soit mis en place, une fois par an, une rencontre nationale des services sociaux hospitaliers. Cela permettrait qu’ils puissent débattre et capitaliser leurs connaissances. C’est une excellente idée. L’APHP pourrait tout à fait être le promoteur d’une telle initiative.
J’ai profité de ce moment pour rappeler au public l’importance qu’il y a dans la profession de savoir valoriser ses réussites au quotidien. Pour cela, il faut savoir les repérer, les garder en mémoire et les analyser. En effet, nous savons bien voir ce qui ne va pas, ce qui fonctionne mal. Mais nous en arrivons à ne plus reconnaitre tous ces actes empreints d’humanité qui dénouent des situations tendues et difficiles. Si les travailleurs sociaux tenaient tous des « cahiers de réussite » pour noter ce qui a été positif dans leurs actions pour les usagers, il verraient alors combien ils sont utiles. Je pense même qu’ils seraient plus heureux et sereins au travail.
- Vous trouverez ici le fichier PDF qui retrace les grandes lignes de mon intervention : La dimension sociale de la santé
Photos : Julie GOEMINNE
2 réponses
Bonjour,
Si la reconnaissance au quotidien est celle des patients et des équipes avec lesquelles on travaille, les ASS hospitalières ont besoin d’une reconnaissance salariale!!
Les jeunes professionnels, malgré leur intérêt pour le travail à l’hôpital, partent vers d’autres fonctions publiques compte tenu de la différence salariale (+500 euros par mois), les avantages (mutuelle, chèques resto..) et du poids de charge..
Pour continuer nous remplissons mentalement notre « petit cahier de réussite »…ce qui nous permet de trouver du sens à notre travaill
Oui le service social hospitalier est fondamental. Il est aussi un des lieux fondateurs de la profession. Malheureusement aujourd’hui je crains que cette problématique soin/question sociale ne soit plus vraiment enseignée. Pour ma part mon expérience a l’hôpital Avicenne pendant 15 ans reste un souvenir inoubliable.