C’est un témoignage sincère et révélateur que nous livre Djaïdat Chanfi dans le numéro 293 de la Revue Française de Service Social. Étudiante à l’Institut du Travail Social PACA et Corse, elle nous raconte son parcours tumultueux vers la profession d’assistante de service social. Son récit, empreint d’espoirs, de rêves et de désillusion, nous plonge au cœur de réalités souvent âpres, tout en révélant la force de caractère nécessaire pour persévérer dans cette voie.
De l’euphorie initiale à la confrontation avec la réalité
Djaïdat débute son récit en nous parlant d’une euphorie palpable. Ancienne aide-soignante en reconversion, elle décrit avec passion son désir de devenir assistante sociale. Cette vocation naissante est nourrie par une rencontre déterminante avec une professionnelle du secteur, qui lui fait entrevoir les multiples facettes de ce métier. L’auteure nous fait partager son enthousiasme contagieux, sa vision idéalisée d’un métier qu’elle perçoit comme « l’oxygène de la société ». Elle en écrit même un poème qu’elle reliera plus tard dans les moments difficiles.
Car, la réalité ne tarde pas à rattraper notre aspirante assistante sociale. La recherche d’un stage se révèle être un véritable parcours du combattant. Sur 52 structures contactées, seules deux acceptent finalement de l’accueillir. Cette expérience, bien que difficile, renforce sa détermination et lui fait prendre conscience des obstacles qui jalonnent le chemin vers son rêve.
Une déconstruction des illusions
L’entrée en formation marque le début d’un processus de déconstruction des représentations idéalisées de Djaïdat. Il y a bien évidemment la réalité des stages. Ils sont si difficiles à trouver qu’il y a de quoi désespérer celle qui se considère n’être qu’un « soldat du dernier rang ». Cinq mois de recherches. Notre étudiante ne se plaint pas lorsque qu’elle voit la situation de certaines de ses camarades de promo qui ont sollicité en vain plus de 150 structures.
Djaïdat découvre aussi que le travail social n’est pas seulement fait de victoires et de transformations positives, mais aussi de situations dramatiques et parfois sans issue. Elle accompagne cette prise de conscience d’un questionnement profond sur sa propre sensibilité. Habituée à pleurer facilement, elle s’oblige à ne plus laisser couler ses larmes, craignant que cela ne soit perçu comme un signe de faiblesse. Ce conflit intérieur entre sa nature empathique et les exigences supposées du métier la plonge dans un état de confusion et de mal-être.
« Mon Idéalisme s’est brisé à partir du 16 octobre 2023. Dès nos premiers cours sur la pauvreté » écrit-elle. Cette découverte lui fait dire qu’en tant que travailleurs sociaux, nous ne sommes rien, mais nous devons donner tout ! Elle se rebiffe alors. « Qui a dit qu’être assistante sociale, c’est porter toute la misère des gens et du monde ? ». Elle ne le veut surtout pas.
La reconstruction d’un rêve plus réaliste
Malgré ces épreuves, Djaïdat ne renonce pas. Elle entame un processus de reconstruction, tant personnelle que professionnelle. Elle comprend l’importance de se connaître soi-même, citant Socrate : « Connais-toi toi-même » et « Je sais que je ne sais rien ». Ces maximes deviennent des piliers sur lesquels elle s’appuie pour reconstruire sa vision du métier.
Notre étudiante réalise que son rêve initial, bien qu’empreint de noblesse, nécessitait d’être confronté à la réalité pour gagner en substance et en profondeur. Elle apprend à conjuguer son idéalisme avec un réalisme nécessaire, sans pour autant perdre de vue ses aspirations premières.
Un témoignage qui interpelle
Le récit de Djaïdat Chanfi soulève des questions importantes sur la formation des travailleurs sociaux. Est-il nécessaire de briser les illusions des étudiants pour les préparer à la réalité du terrain ? Comment trouver un équilibre entre la préparation à la dureté du métier et le maintien de l’enthousiasme et de l’idéalisme qui poussent tant de personnes vers ces professions ? Son témoignage nous confirme les difficultés rencontrées par les étudiants. Il nous montre combien l’obtention d’un stage peut s’avérer non seulement épuisant, mais particulièrement démoralisant. Les professionnelles en activité ont une responsabilité à ce sujet.
Une leçon de résilience et d’espoir
Le parcours de Djaïdat Chanfi est une leçon de résilience. Malgré les désillusions et les moments de doute, elle persévère dans son projet, adaptant sa vision sans renoncer à ses valeurs fondamentales. Son témoignage nous rappelle que le chemin vers la réalisation de nos rêves professionnels est rarement linéaire, mais que les obstacles rencontrés peuvent nous permettre de grandir et d’affiner notre compréhension du monde et de nous-mêmes.
Ce récit touchant et honnête nous invite à réfléchir sur la nature du travail social, sur la formation de ceux qui s’y destinent, et sur l’importance de maintenir un équilibre entre idéalisme et réalisme dans nos aspirations professionnelles. Il nous rappelle que, même confrontés à la dure réalité, il est possible de reconstruire nos rêves sur des bases plus solides, nourries par l’expérience et la connaissance de soi.
Une question de compétences
Dans son témoignage, Djaïdat met en avant plusieurs valeurs et compétences qu’elle considère comme essentielles pour un travailleur social, en particulier pour une assistante de service social. Voici les principaux éléments que j’ai pu en retirer
- L’empathie et l’écoute active : Djaïdat souligne l’importance d’être à l’écoute et bienveillant. Elle évoque sa rencontre avec une professionnelle du métier qui a su démontrer « le savoir-être d’une travailleuse sociale engagée », notamment par son écoute attentive et sa disponibilité.
- L’engagement et la persévérance : son parcours nous montre la nécessité d’être persévérant face aux obstacles. Elle mentionne particulièrement la difficulté à trouver un stage, mais affirme que cette expérience a renforcé sa détermination à devenir assistante sociale.
- La capacité d’adaptation et la résilience : Face aux désillusions et aux réalités parfois difficiles du métier, Djaïdat met en avant l’importance de savoir s’adapter et reconstruire sa vision du travail social. Elle parle de « reconstruction » et de l’apprentissage d’un équilibre entre idéalisme et réalisme.
- La connaissance de soi : elle insiste sur l’importance de se connaître soi-même, citant Socrate : « Connais-toi toi-même ». Elle considère cette introspection comme essentielle pour pouvoir accompagner efficacement les autres.
- L’humilité et l’égalité dans la relation d’aide : Elle souligne aussi l’importance de ne pas se positionner au-dessus des personnes accompagnées, mais d’être « au même niveau que les autres ». Elle cite à nouveau Socrate : « Je sais que je ne sais rien », mettant en avant l’humilité nécessaire dans ce métier.
- La polyvalence et la capacité à orienter : Djaïdat valorise la capacité à intervenir dans différents domaines de la vie des personnes accompagnées et à les orienter vers les services compétents. Elle apprécie l’aspect multidimensionnel du métier d’assistante sociale.
- L’engagement éthique et la responsabilité : Elle évoque « la valeur de l’éthique dans nos propres responsabilités », soulignant l’importance d’une pratique professionnelle guidée par des principes éthiques forts.
- La capacité à gérer ses émotions : Bien que Djaïdat exprime des doutes sur la manière de gérer sa sensibilité, elle reconnaît l’importance de trouver un équilibre entre empathie et maîtrise émotionnelle dans l’exercice du métier.
- L’optimisme et la disposition à inspirer l’espoir. Malgré les difficultés rencontrées, Djaïdat maintient une vision positive du métier. Elle considère que le travailleur social doit être « le rayon de soleil dans ce monde misérable », capable d’apporter espoir et changement.
Concluons cet article par le poème que Djaïdat a écrit et relu dans les moments difficiles. Il peut tout autant vous concerner si vous souhaitez vous lancer dans la profession :
À mon futur métier,
« Tu m’attendais, mais je ne te connaissais pas.
Ton existence était ensommeillée en moi.
Peut-être attendais-tu que j’atteigne l’âge de maturité ?
Ou encore que je sois prête à t’accepter.
Ça y est, je me réveille et pars à ta découverte.
Toi, la sauveuse, silencieuse et discrète.
Toute ma vie, mon être a été dicté par tes convictions.
De tes objectifs, ancrés en moi comme une passion, pour ne pas dire obsession.
Donc, bien qu’il me faille trois ans pour t’attraper
Je finirai par y arriver, car de toi, je suis déjà imprégnée. »
Merci Djaïdat, de ce partage !
Vous pouvez découvrir l’article de Djaïdat Chanfi dans le numéro 293 de la Revue Française de Service Social intitulé : « à quel service social rêvons-nous ? Le service social vu par les étudiant(e)s ». Un numéro que je vous recommande au regard de la qualité des écrits qui le compose.
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